Rencontre d'un matin
Dévisagé tel une bête, il traverse la foule. Les cheveux sales, la peau griffée et les épaules voûtées, il marche d’un pas boiteux. Sa gorge se noie sous le sifflement strident et douloureux de son souffle saccadé. Son sac à dos se fait de plus en plus lourd. Personne ne l’aide, mais tous le regarde, horrifié par l’être qu’il pourrait représenter : un monstre, un tueur, un psychopathe, un pervers… Voyez à quel point l’humain peut-être abject, se gratifiant d’avoir repoussé l’homme jugé sans procès.
Pourtant, il n’en est rien. Martin est SDF depuis dix ans déjà. Une vie de nomade ! Une vie de rien pour certains ; une vie de tout pour Martin ! Il explore son pays, sac sur le dos, chaussures aux pieds et carte en main. Il ne manque de rien, il a tout avec lui !
Certes, l’expérience avait mal commencé. Viré de son travail – qu’il trouvait, de toute façon, merdique – endetté et incapable de payer son loyer, Martin devint ce déchet de la société. Pauvre, sale, affamé… Traversant la sombre expérience de l’alcool. Mais rien ne dure. C’est ce qu’il se disait chaque jour, jusqu’au jour où il rencontra Chloé. Petit bout de femme, pleine de joie et de vitalité.
« Tu es peut-être sans domicile fixe, mais tu peux te laver, manger et te faire de l’argent ! Rien n’est insurmontable, tu verras ! »
Et elle avait raison Chloé. En marche vers cette nouvelle vie, Martin trouvait la chaleur d’un lit tantôt dans les associations, tantôt dans de petits hôtels. Plus jamais il ne manqua un repas, se délectant parfois de mets gastronomiques. L’argent ? Il travaillait, ici et là, quand il en avait besoin. Martin expérimentait chaque parcelle que sa vie lui offrait et sincèrement, il l’adorait tel qu’elle.
Ce jour-là, Martin revenait au bercail. Revoir Chloé, après ses dix années… Rien qu’à cette pensée, le bonheur l’envahissait. Il en avait fait des rencontres sur sa route, toutes enrichissantes, mais aucune n’égalait Chloé. Parce que Chloé lui avait redonné ce goût pour la vie. Mais ce jour-là, Martin fini dans un fossé. Un chauffard l’ayant percuté.
Martin suffoque de plus en plus. La toux lui brûle la gorge, rendant sa cage thoracique encore plus douloureuse. Il cherche à accrocher, ne serait-ce qu’un regard, mais tous s’écartent. Il n’arrive pas à parler ! Il arrive près de l’endroit, son endroit. Là où tout a commencé. La boulangerie existe toujours et le glacier fait toujours fureur. Un léger sourire tente de s’immiscer sur ses lèvres gercées. Il reste un instant – ou peut-être plusieurs heures – ici. Puis…
« Tu veux de l’eau monsieur ? Lui demande une petite fille.»
Il cligne des yeux et secoue laconiquement un oui de la tête. Il attrape la bouteille des mains de la blondinette, qui aussitôt, se sauve. Mais elle revint, tirant par la main, une femme fluette, pleine de joie et de vitalité.
Ce texte est inspiré de l’homme que j’ai croisé un matin en allant au travail. Il faisait du stop et c’est naturellement que je me suis arrêtée, me demandant si son gros sac à dos allait passer dans mon petit coffre. Sur les quelques minutes que nous avons passées ensemble, il me raconta brièvement sa vie de SDF, l’alcool, le regard des gens, mais surtout, la belle expérience qu’il vivait depuis 10 ans. Ce fut bref mais enrichissant. J’espère qu’il continue sa route avec autant de joie que lorsque je l’ai rencontré.
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