Chapitre 3 :
– Je suis désolée Laurène, fit Clara. J’aurai dû faire plus attention. J’ai mis tout le monde en danger, et toi plus encore.
– Ce n’est pas de ta faute. C’est celle de mon père. Puis on a été trop têtue avec les filles. Si on n’avait pas voulu absolument savoir, cela se serait mieux passé.
Les deux jeunes filles se trouvaient dans la chambre de Clara. Le bébé dragon dormait à moitié sur le lit et l’autre dans le vide. Pour plus de sécurité M. Gomez avait décidé qu’il resterait à l’étage. Laurène jugeait plus judicieux de le laisser gambader mais il était sous la protection des Gomez : rien ne devait lui arriver sinon ils seraient tenus pour responsables. Les deux jeunes filles passèrent le reste de l’après-midi à parler, Clara expliquait un peu plus le monde des dragons à sa meilleure amie, se confiait sur les préparatifs de son dépars, l’enjeu qui se cachait derrière. Laurène l’écoutait, aimait en savoir plus. Vers vingt heures, les parents de la Liée débarquèrent et cette dernière redoutait beaucoup leurs réactions. Allaient-ils bien réagir ? Et son frère, qu’allait-il devenir ? Elle lui souhaitait le meilleur et qu’il ne soit pas en danger. Malheureusement elle ne contrôlait pas la situation. Personne ne la contrôlait.
– Crois-tu qu’Anna et Valentine vont venir ? lâcha Clara en ouvrant la porte. Je n’ai jamais voulu partir seule… puis j’ai toujours pensé que ton père t’en parlerait et qu’on partirait ensemble. Quand j’ai compris que cela ne serait pas le cas, je ne parvenais plus à dormir le soir.
– Peut-être une des deux… Tant qu’une de nous ne se retrouve pas seule, c’est l’essentiel. J’espère que cela n’arrivera pas.
– Leau, je ne veux pas te forcer la main… mais tu devrais être formée pour pouvoir te défendre. Tu risques vraiment d’être en danger, très souvent même. Cela rassurerait tout le monde que tu saches combattre afin de rester saine et sauve.
– C’est-à-dire ?
– Si tu viens te former, les trajets entre chez nous et le centre de formation pourraient être plus périlleux que tu ne le penses sauf que tu serais accompagnée. Si tu continues ta vie comme si de rien n’était, personne ne te protégera.
Cela n’aiderait pas Laurène à choisir néanmoins elle resta de marbre face à cette information, consciente qu’elle devait vite s’endurcir même si elle ne s’en sentait pas capable. Clara décida qu’il était temps de partir et encouragea son amie puis elles descendirent rejoindre les adultes. Ils étaient debout formant un cercle ouvert. Le père des jumeaux leur avait transmis leurs yeux et ses cheveux blonds étaient plus foncés que ceux de M. Gomez. Sa femme avait les cheveux châtains et paraissait petite pour une adulte. Laurène savait que malheureusement elle ne la dépasserait pas ou alors de très peu. N’ayant pas vu ses parents le matin, elle les salua ainsi que la mère de Clara, une femme sévère et intimidante qui était le sosie vieillie et plus grande de sa fille. Laurène adorait le père de Clara, mais sa mère l’angoissait dès qu’elle se trouvait dans les parages. Ce n’était pas contre elle, mais elle dégageait certaines mauvaises ondes qui atteignaient Lauèrne. Lucas quant à lui resta dans son coin sans rien dire, blasé de se trouver ici. Laurène n’osait pas trop s’approcher au vu de ce qui s’annonçait mais Clara tenta de commencer une conversation avec lui. L’adolescent délaissa son portable petit à petit pour parler avec son ancienne amie. Laurène n’osa même pas les rejoindre, se demandant bien comment son frère la jugerait pour avoir tenu sa langue, pour ne lui avoir rien dit, pour l’avoir mis en danger à cause de sa stupide curiosité.
À table, l’ambiance était partagée entre joie et tension, tout le monde la sentait mais personne ne crevait l’abcès. La récente Liée aurait volontiers suivis ses jambes qui la tiraient loin de cette table. Laurène s’étonnait que ses parents ne se doutent de rien alors qu’ils avaient reçu l’invitation en pleine semaine et à la dernière minute. Plus étrange et suspect n’existait pas ! Comment pouvaient-ils ne pas avoir la puce à l’oreille ? La jeune fille croisa le regard de M. Gomez qui ensuite s’appuya sur Lucas en train de jouer sur son portable à côté d’elle. Laurène hocha légèrement la tête avant de soupirer : la tâche serait compliquée. Elle se pencha à l’oreille de son frère.
– Lâche ton portable deux secondes. Ne t’étonne pas si les parents t’engueulent pour ton comportement de ce soir. Tu manques de respect.
– Tu parles comme mamie, bougonna Lucas.
Le jeune homme la gratifia d’un regard noir cependant il rangea son portable, conscient que sa sœur avait raison. Même s’il n’était pas spécialement observateur il remarquait l’inquiétude de sa sœur sur son visage. Or d’apparence, il n’y avait aucune raison d’angoisser même si Laurène avait toujours tendance à se laisser emporter par ses émotions. Donc Lucas en concluait que quelque chose de peut-être intéressant se déroulerait et cela le poussa à rester parfaitement concentré sur la situation, à l’écoute, comme le souhaitait sa sœur. M. Gomez devint plus sérieux et se focalisa sur les jumeaux. Plus particulièrement sur Lucas et il le releva ce qui le tendit. Comme sa jumelle il n’aimait pas que cela se reporte à lui. Surtout que Lucas ne trouvait aucune idée sur ce qui pouvait le concerner.
– Dis-moi Lucas. Si tu devais changer soudainement de vie, choisirais-tu de le faire avec ou sans ta sœur ?
– Pardon ?
Lucas regarda sa sœur, intrigué et persuadé qu’elle était de mèche avec le père de Clara. Il jeta un coup d’œil à ses parents : son père avait pâli et sa mère cherchait le regard de Laurène alors que cette dernière évitait le sien. Lucas n’était pas dupe : la question ne devait pas être anodine et toute sa famille semblait comprendre le sous-entendu. Cela frustrait l’adolescent d’être le seul exclu, c’était toujours lui qu’il l’était quoi qu’il arrive dans n’importe quelle situation, et cela faisait mal.
– Ce que je voulais dire ; si tu devais partir loin d’ici pour une obligation, la même que ta sœur, éclaircit M. Gomez en parlant doucement. Choisirais-tu de le faire séparément ou avec elle ?
– Seb… tu avais dit que tu ne me forcerais jamais la main pour leur en parler, déclara M. Maguy.
– Je ne te force pas, je laisse le choix à Lucas car Laurène ne l’a pas eu à cause de toi.
Son père la regarda et Laurène fut submergée par la tristesse et la gêne d’être le centre de l’attention. Par pur réflexe elle s’empara du bras de son frère et le broya comme s’il était la bouée de sauvetage qui l’empêcherait de se noyer. Depuis toujours elle faisait cela dans ce type de situation et qu’il se situait à proximité immédiate d’elle. Lucas ne lui dit rien, voyant bien qu’elle paniquait et que ce geste la rassurait. Sa sœur ressemblait à un chiot blessé sur le moment et bien qu’il ne montrait jamais qu’il tenait à elle, ce n’était pas le cas. Sa sœur, sa moitié.
– Laurène, que se passe-t-il ? Est-ce que cela va ?
Cette dernière fut si surprise par la réaction de son frère qu’elle poussa une exclamation. Son frère en avait vraiment quelque chose à faire d’elle ? Malgré ce qu’il se passait, Clara sourit. Lucas, en quête de réponses se tourna vers ses parents. L’adolescent nageait dans l’incompréhension.
– Lucas tu dois savoir qu’il existe des d…
– Cela suffit ! Tu n’as pas le droit de différencier tes enfants d’une telle manière et de les séparer en favorisant l’un au détriment de l’une. Je rejoins l’avis de Laurène : c’est à Lucas de choisir.
– Je ne veux pas que mon fils soit en danger ! hurla le père des jumeaux. La sécurité de MON fils avant tout.
Laurène se leva brusquement et attrapa un verre qu’elle jeta en direction de son père. L’objet le frôla car elle lançait très mal à son grand soulagement puis se brisa au sol. Sa mère rouspéta mais elle l’ignora, trop enivrée par la colère pour être atteinte par ses reproches.
– Me mettre en danger ce n’est pas grave mais Lucas si ? Je pourrais crever demain tu t’en foutrais ? Ma vie est vraiment moins importante que celle de « ton » fils ? Ne serais-je donc pas ta fille aussi ? C’est uniquement de ta faute car tu savais bien qu’il y avait un risque que j’en vois en allant chez Clara !
– Laurène, chérie, ne le prend pas comme ça, plaida sa mère impuissante, les larmes aux yeux.
– Mais tu t’en foutais à ce point ? l’ignora Laurène qui pleurait à moitié. Écoute, Lucas devrait pouvoir choisir et non que tu lui imposes ce qu’il sera ! Et tu as intérêt à respecter son choix car c’est plus important que ce que tu souhaites. Je ne rentrerai pas à la maison ce soir… et peut-être bien que je n’y rentrerai plus pendant un long moment voire plus jamais.
Elle ne laissa pas le temps à ses parents de répondre une nouvelle fois. Elle n’accepterait même pas les excuses qu’ils pourraient lui présenter, si jamais ils s’excusaient, en tout cas, pas dans l’immédiat. Laurène n’imaginait pas son père faire cela. Peut-être se sentirait-il coupable mais il n’admettait jamais ses torts. Jamais. L’adolescente monta l’escalier et se réfugia sur le balcon de la chambre de Clara. Laurène pleura à chaude larme. Elle s’arrangeait toujours pour que personne ne la voit dans cet état lorsque cela arrivait. La jeune fille n’aimait pas paraître fragile même si elle savait pertinemment qu’elle l’était. Elle essaya de se stopper puis y arriva après de longues minutes à respirer profondément. Son père la décevait terriblement et une immense colère contre lui naissait. Laurène avait réellement eu l’impression qu’il préférait Lucas à elle. Cela l’avait profondément blessé. Plus qu’elle-même voulait le croire. Quand elle fut calmée, la jeune fille se sentit épuisée. Elle n’avait plus de force suite à cette journée. Sa famille venait de voler en éclat alors même que tout allait quasiment pour le mieux quelques heures plus tôt. Quelques heures plus tôt, elle était juste une simple lycéenne en conflit de temps à autre avec son frère avec des parents aimants qui ne lui reprochait pas grand-chose à elle. Désormais, il y avait elle et ses parents d’un côté séparé, et son frère ? Qu’avait-il fait ? Comment allait-il vivre tout cela ? Déjà que la relation de Lucas et ses parents ressemblaient à une succession de hurlement et de claquement de porte, la nouvelle Liée n’imaginait même pas ce qui aurait pu se passer. Laurène entendit la porte d’entrée claquer : ses parents partaient donc sans elle. Clara l’attendait sûrement ou préparait déjà le matelas gonflable. D’ordinaire, Laurène l’aurait aidé sauf qu’elle n’était pas d’humeur et ni en état pour ne pas inquiéter. Elle devait attendre un peu avant de se montrer. Elle s’apprêta à rentrer au chaud et vit son frère qui arrivait sur le balcon. Son jumeau, toujours sûr de lui, paraissait totalement perdu et un peu triste, néanmoins il lui offrit un faible sourire. Il tentait de la rassurer mais Laurène ne le saisit pas.
– Je ne t’ai jamais vu pleurer, affirma-t-il. Pas jusqu’à aujourd’hui.
Et il ne mentait pas, Laurène trouvait toujours un moyen de dissimuler son mal-être et son jumeau ne savait que trop bien comment faire lui aussi. Il s’avança vers sa sœur et lui essuya ses larmes avant de la serrer dans ses bras. Jamais il ne l’avait serré aussi fort. Puis cela restait étrange pour les deux : cela faisait bien cinq voire six ans qu’ils n’avaient jamais été aussi proches. Pas parce qu’ils ne s’aimaient pas au contraire, mais juste à cause de l’éloignement. Néanmoins cela faisait du bien aux deux. Les rancœurs et les conflits semblaient rapidement oubliés.
– Que s’est-il passé après mon dépars ? Qu’a-dit papa ? Es-tu toi aussi en danger ?
– Papa voulait aller te chercher, mais je lui ai dit que cela ne servait à rien. Il faut attendre que vous vous calmiez tout les deux. Puis, il n’a pas été très sympa, je dois bien l’avouer.
– Es-tu en danger ?
– Je le suis tout autant que toi… j’ai dit au père de Clara que je ne pourrais pas supporter ma vie sans toi. Je le pense Laurène. Peut-être qu’on n’est pas en bon terme mais tu es une des deux seules personnes importantes dans ma vie. Tu es ma sœur jumelle et jamais je ne pourrai te laisser seule, encore moins dans une épreuve pareille.
Il ne la regardait pas parce que cela le gênait mais sa sœur sentait qu’il était sincère. Cela la surprenait encore plus car ils ne communiquaient plus depuis longtemps. Au fond elle n’avait jamais cessé d’adorer son frère même après tout ce qui s’était passé. Ils pouvaient renouer, cela pouvait redevenir comme avant.
– Qu’est-ce qu’on va faire désormais ? questionna Lucas.
– Rester soudés tout les deux et se former pour survivre, c’est sûrement le plus important pour nous, jugea Laurène en soupirant. Personnellement je ne peux ignorer un monde dans lequel je pourrai vivre. Puis, il est hors de question que je rentre à la maison.
– Clara a dû retenir le bébé dragon car tu n’as pas fait attention, c’était assez drôle, tu aurais dû voir la tête de papa quand le dragon est apparu ! Mais plus sérieusement… je suis désolé pour ce que papa t’a dit. Il a été maladroit je pense. Tu lui en veux vraiment ?
– Pire que cela, grommela la jeune fille. Je n’accepterai pas ses excuses. Il est censé savoir se tempérer. Je ne veux plus le voir pour le moment.
– Eh bin… T’as choisi le pire moment pour faire ta crise d’adolescence mais je comprends puis tu ne le verras pas. Papa a été nul.
– Cela fait cinq ans que la tienne dure.
– Je sais, je me rends compte maintenant que je t’ai rendu la vie difficile, encaissa Lucas en grimaçant.
– C’était plus difficile pour les parents je pense, lança Laurène en haussant les épaules.
– Sauf qu’ils n’attendaient plus rien de moi et reposaient tout leur espoir sur toi, cela devait être stressant. Tu as toujours été l’enfant calme qui ne s’oppose à rien. Cela a dû faire un choc de te voir dans cet état de colère pour eux.
– C’est juste que je ne montre jamais mon sale caractère.
Lucas rigola. Il ébouriffa les cheveux de sa sœur et la prit par les épaules pour l’entraîner à l’intérieur. Laurène l’arrêta un moment et il la fixa surpris.
– Lucas… qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi tu as vrillé comme cela ? Qu’est-ce que j’ai raté ?
– Ce n’est pas de ta faute, vraiment, souffla Lucas en perdant son sourire baissant les yeux. Je sortais juste d’une période… compliquée. Mais je ne veux vraiment pas en parler. Je ne sais pas si je pourrais te le raconter un jour, peut-être… pas ce soir.
Laurène n’insista pas, voyant bien que cela rendait son frère presque malade. Son cœur se serra, elle avait la désagréable impression d’être une mauvaise sœur, d’être passée à côté de quelque chose, d’avoir raté quelque chose. Mais elle le laissa persister ce mystère. Lucas se confierait quand il se sentira prêt. Ils aidèrent Clara à gonfler les matelas et s’installèrent dans sa chambre. Cela remontait à leur enfance, en primaire un événement pareil ! Laurène avait beau être fatiguée par sa journée, elle pensait beaucoup trop pour s’endormir. Lucas non plus mais les deux ne pouvaient pas réveiller Clara qui dormait profondément. Le jeune homme se glissa près de sa sœur et se tourna face à elle dans le noir. Ils sentaient le souffle de l’autre rafraîchir leur visage.
– On devrait dormir, chuchota-t-il.
– Je ne sais pas si j’en serai capable.
– Il le faut Laulau.
– Je sais Lu’…
– Tu veux compter les moutons ?
– Je n’ai jamais compté les moutons, ricana doucement Laurène.
– Cela tombe bien, moi non plus.
– Tu crois qu’on pourra retrouver un semblant de vie normale ?
– J’en sais rien. J’en doute un peu sœurette. On va quand même traîner avec des animaux censés être fantastiques tout le restant de notre vie. Tu arriverais à te dire que c’est normal ?
– Je ne sais pas, concéda Laurène. J’aimerai bien je crois… je ne vais pas réussir à dormir je crois. Je pense trop à ce qui s’est passé, à papa, à maman. Pourquoi penses-tu qu’ils ont fait ça ?
– Je me demande si on le saura un jour. Mais je te jure, quand tu étais parti, qu’ils évoquaient cet univers, j’ai vu une souffrance dans leurs yeux Laurène. Maman paraissait si bouleversée, elle a arrêté de regarder le père de Clara d’un coup, papa avait les yeux brillants.
Sa confession fit mal au cœur de Laurène. Ses parents ne s’ouvraient pas dessus, elle ne pouvait pas deviner. Il n’empêchait qu’ils auraient dû leur en parler pour qu’ils soient tout deux en sécurité. Ils auraient été Dresseur, peut-être un peu hors la loi sans se faire former, mais moi en danger qu’en devenant Lié. Mais qu’avaient-ils pu se passer ? Il semblait soudain injuste à Laurène la colère qu’elle leur avait fait subir mais la menace des Liés qui planait balayait cette injustice comme une tornade.
– Nuit blanche ? proposa Lucas.
– Nuit blanche.
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