Chapitre 16 :
La première semaine fut reposante pour l’adolescente. Sa blessure à la cheville la contraignait à moins bouger et l’interdisait de s’entraîner au combat. Le nouveau couteau serait donc inauguré plus tard. Lucas, Valentine et Anna prenaient de ses nouvelles tous les jours. Laurène hésitait à contacter le père de Clara mais elle jugea que ce n’était pas ses affaires et qu’il n’aurait pas été correct de lui demander à lui sans tendre des perches à Clara même si elle avait essayé. En plus, le père de Clara avait sûrement des choses plus importantes à faire que de s’occuper de querelle d’adolescente. La Liée espérait réussir à régler le problème par elle-même.
Le vendredi soir, les Liés partirent plus tôt pour rejoindre le sanctuaire. En effet, Laurène était toujours en béquille donc la montée devenait plus laborieuse et le serait encore quelques temps. La jeune fille n’avait encore jamais tenté de monter les escaliers avec ses béquilles.
– Je vais te porter, proposa Aaron.
– Non, déclara froidement Laurène en s’appuyant sur Joyce sans même le regarder. Je peux me débrouiller seule.
– Tu m’en veux toujours pour ce que j’ai dit l’autre soir…
– Oui, assura vivement Laurène qui ne voyait pas l’intérêt de mentir. Puis excuse-moi, même si tu es fort, je reste lourde et la montée longue. Donc je nous évite une probable chute ou des douleurs à tes précieux biceps même si ça t’aiderait à crâner encore plus.
– Je ne crâne pas, lança Aaron qui semblait pour la première fois exaspérée par cette blague. Mais tu te rends bien compte qu’on risque de passer une heure sur cette montée, non ?
– Merci, je sais que je suis nulle. Je n’ai pas besoin que tu me le rappelles. Je dois m’améliorer et apprendre à me débrouiller par moi-même.
« Tu ne pourrais pas mettre de l’eau dans ton vin des fois ? »
« Je ne veux pas essayer l’alcool. Et surtout je n’aime pas les hypocrites. Au moins je suis heureuse qu’il ait dit qu’il ne m’aime pas. Mais il n’a qu’à pas rester alors. Il ne me doit rien. »
« Vous deux, vous allez me casser la tête à vous étriper de la sorte. Et celle d’Aquaventus aussi. »
« On n’est pas violent ! Je te rappelle que c’est mon mentor, il est censé m’apprendre le combat, d’où le fait qu’on se batte. »
« Bien sûr, je te crois ! C’est pour cela que vos activités principales ensemble sont le combat ou l’art du clash. Tu sais que ça se voit que vous voulez vous administrer des bonnes claques, rien que quand vous vous voyiez ?»
Henry attrapa la main de Laurène pour la soutenir lorsqu’elle gravit les marches du sanctuaire. Sa main chaude transpirait légèrement mais cela réchauffa celle glacée de Laurène.
– La voyante aurait pu choisir une autre semaine, rouspéta Joyce. J’espère que ça n’impactera pas sur ta blessure.
– Je fais partie de ses personnes qui récupèrent bien, affirma Laurène en broyant la main d’Henry lorsqu’elle perdit l’équilibre vers l’arrière.
– Doucement, murmura le jeune homme en la stabilisant. Ça serait bête de tomber alors que tu es presque arrivée.
– Effectivement ! Merci Henry.
Il lâcha sa main, le visage cramoisi et les trois Liés regagnèrent leurs places assises, en attendant que l’heure d’histoire débute. Laurène et Aaron restèrent silencieux alors que Joyce et Henry discutaient à voix basse. Le directeur arpentait déjà la salle, surtout pour surveiller Aaron depuis la mésaventure avec ses parents afin d’éviter tout débordement. Depuis cet événement, l’adolescent se tuait au travail. Un soir, Laurène l’avait aperçu sortir du quartier après le couvre-feu, sûrement pour s’évertuer à contrôler le partage. Il avait pris sa perte de contrôle comme une victoire de ses parents et il ne pouvait l’accepter.
Une vieille dame débarqua dans le sanctuaire et vint à la rencontre du directeur. Elle avait de longs cheveux gris coiffé d’un bandeau qui recouvrait son œil droit. De son seul œil visible, elle fixa Laurène d’une manière beaucoup trop désarçonnante pour ne pas la rendre à l’aise. Dans tous les cas, elle n’avait pas dû annoncer de bonnes choses à Aaron qui la fusillait du regard. La séance serait longue et Laurène souhaitait déjà s’échapper loin.
– Je suppose que tu ne veux pas parler de ce qui s’est passé avec elle ? murmura la jeune fille.
– Toi même tu n’as pas envie de le savoir. Je te l’assure, grogna ce dernier.
L’adolescente ne l’interrogea pas plus, remarquant bien que cette dame empirait son humeur. Le directeur, lorsque tout le monde fut là fit un bref résumé sur le combat des trois Grands Dragons. Enfin, pour introduire l’invitée du jour, il raconta comment c’était passé la toute première vision partagée par une voyante.
– Voici Madame Berenice, notre voyante, et je la laisse expliquer tout ce qui est lié aux prophéties.
– Merci, lui dit-elle avant de se placer au centre. Bonsoir jeunes gens ! Je concède que tout ce thème vous semble rébarbatif et inintéressant, cependant il est important d’avoir certaines notions car vos vies reposent sur des prophéties, mais surtout l’avenir de notre communauté repose sur des prophéties, dont l’une des plus grandes, révélée il y a quasiment douze siècles, n’a pas encore été réalisée et possède beaucoup de détails la reliant à des prophéties plus ciblées.
Laurène se concentra sur ses paroles dans l’espoir d’en obtenir plus sur la fameuse grande prophétie. Elle ne savait pas si les voyants recevaient des directives d’une sphère plus élevée, mais peut-être que la vieille dame partirait du principe qu’elle devait savoir ce qui l’attendait dans le futur.
– Je vous rappelle que les sessions de prophéties ont lieu en mai, voire fin mars et en avril car je peux voir certaines nouveautés pour certaines personnes. Mon petit laïus a pour but de vous préparer à ça, car recevoir une prophétie n’est pas simple. Il faut s’y préparer mentalement. Je vous explique donc qu’il existe deux types de prophéties. Les prophéties générales, entraînant plusieurs personnes et offrant des conséquences directes sur notre société. Mais aussi des prophéties personnelles. Ces prophéties pour les personnes qui contribuent aux prophéties générales permettent souvent de mieux comprendre les événements même si ça peut rester très flou pour la suite. Chaque personne possède une voire des prophéties personnelles, mais certaines sont plus intéressantes que d’autres d’un point de vu historique. Les sessions organisées permettront d’apercevoir des visions et aussi de vous les révéler.
>> Libre à vous de les révéler à vos amis. Je ne le déconseille pas forcément, ça peut vous permettre de vous sentir mieux si ça vous pèse. Cependant, je trouve préférable pour les personnes aux destins importants de ne pas le révéler. Que ce soit à votre mentor ou votre petit-ami ou qui sais-je, il vaudrait mieux que votre prophétie reste secrète, bien à l’abri pour que l’ennemi ne vienne pas à le savoir un jour et ait l’idée de vous attraper. Néanmoins vous êtes libres de décider ce que vous voulez. Mais il est important de garder une longueur d’avance sur eux.
La voyante fixa particulièrement Laurène et Aaron, ce qui n’échappa pas aux deux concernés. Alors qu’elle réajusta son bandeau pour bien couvrir son œil, Mme. Amaro voulait entraîner Laurène hors du sanctuaire mais Aaron saisit l’autre bras de sa camarade et lança un regard noir à sa mentor. Il ne s’était jamais rebellé aussi directement à le cheffe du conseil des Liés.
– Lorsque vous pensiez que c’était moi, vous ne me l’avez pas caché. Elle a le droit de savoir ce qui repose sur ses épaules.
Ce n’était pas vraiment rassurant, mais de toute manière avec l’état actuel de sa cheville, elle ne pouvait pas partir comme ça. Mais Aaron avait raison : elle voulait des réponses. Elle voulait savoir. L’adulte la lâcha, agacée et rejoignit le directeur qui la regardait ahuri. Apparemment il n’était pas au courant de cette initiative. Combien désaccord la prophétie avait-elle fait naître ? La voyante s’éclaircit la voix pour parler.
– J’ai vu dans la nuit, des demi-dieux affaiblis et endormis. Le réveil pourra marquer la fin de ce monde ou le début d’une ère nouvelle ! Ce pouvoir m’a été conféré par la Déesse Mère et le Dieu Père ! Notre seul but est que la bataille finale soit notre victoire. Leurs renaissances marqueront ce dernier tournant décisif. Ce tournant qui entraînera le début d’une ère nouvelle. Le Néant ou notre Survie ou notre Soumission.
La plupart des gens restaient ébahis face à la grande prophétie mais d’autres furent si habitués qu’aucune réaction ne se lisait. Laurène voulait fuir, loin, le regard de la vieille dame portait sur elle tout du long et elle l’angoissait réellement. Elle sentait l’air lui manquer et son cœur battre à tout rompre. Peut-être que l’initiative de Mme. Amaro aurait été préférable finalement. Henry et Joyce aidèrent l’adolescente à descendre même si c’était plus facile que la montée. Laurène glissa plusieurs fois mais un des trois autres Liés réagissaient toujours avant la chute. Elle fut heureuse de retrouver le canapé du quartier qu’elle investissait quasiment toute la journée durant les vacances. Si les garçons partirent dans leurs chambres, Joyce resta avec son amie.
– Tu devrais peut-être aller voir la voyante seule. Elle avait l’air d’avoir, enfin de savoir des éléments sur toi. Je pense que tu aimerais les savoir.
– J’aimerai mais je ne sais pas si j’ai le droit. Puis en plus elle est totalement flippante ! Je ne veux pas rester seule avec elle.
– Elle est encore présente la semaine prochaine. Demande à Aaron de t’accompagner, suggéra la métisse.
Malgré qu’elle soit intriguée, Laurène ne se décida pas à aller voir la voyante. Sauf que Joyce avait raison : la jeune fille avait très envie de savoir. La deuxième semaine fut plus ennuyeuse pour Laurène avec l’absence d’Henry et Joyce cumulées à celles des autres même si elle pouvait communiquer avec son portable. Aaron lui parlait peu, juste histoire de savoir si sa cheville allait mieux. Au moins, son articulation guérissait bien à force d’être au repos et elle n’eut plus besoin des béquilles. Puis avec un peu de chance, elle pourrait reprendre les entraînements dès la reprise des cours. Le dernier vendredi des vacances, Laurène et Aaron se reposaient silencieusement dans le salon des Liés. Même si Aaron tentait de se faire pardonner sa maladresse, cela refroidissait toujours la Liée même si elle prenait sur elle. Néanmoins ses essaies pour être sympathique ne restaient pas sans effet. Malgré le fait qu’elle se montrait toujours froid, l’adolescente essayait de le comprendre.
« Tu t’ennuies à mourir. Pourquoi n’irais-tu pas faire un tour au sanctuaire pour parler à la voyante ? », déclara à un moment Ignisaqua.
« Pourquoi devrais-je la voir ? Tu es mon partenaire et tu connais des informations sensibles que tu ne veux pas divulguer. Pourquoi la voyante le ferait-elle ? »
« Contrairement à moi, les voyants ne sont soumis à aucune règle. Si elle veut te révéler quelque chose. Elle le fera. »
« Tu es le dragon le plus puissant mais tu es soumis à des règles c’est ridicule. », se moqua gentiment Laurène qui esquissait un sourire qu’Aaron ne comprit pas.
« Les comportements des voyants sont si surprenants et lunatiques que cela fait que les dirigeants ont peur qu’ils rejoignent l’ennemi donc les supérieurs ne leur obligent rien. »
« Les voyants ont de la chance. »
Elle le pensait vraiment. Laurène prit quelques minutes pour réfléchir avant de se lever pour avancer doucement. Elle ne pouvait pas se permettre d’être hyper rapide, il ne fallait pas empirer la blessure. La jeune fille s’arrêta devant le grand escalier, la mâchoire serrée. Les poings ouverts elle s’appuya sur une paroi de la falaise pour s’aider. A la moitié de son ascension, elle fit une pause, regrettant de ne pas avoir pris sa béquille. Elle sentit une main dans son dos et prenant doucement son bras. Depuis combien de temps la surveillait-il ? Laurène n’avait pas senti sa présence avant son intervention.
– Qu’est-ce que tu fous ? Tu es blessée, et personnellement si je l’étais je ne m’amuserais pas à monter un escalier aussi rude, lui reprocha Aaron.
– Je veux juste des réponses, assura Laurène. Et la vieille là-haut sera la seule personne qui pourra m’en donner. Au moins des choses qui éclairent la grande prophétie et mon rôle dedans !
– Je comprends. Et tu as le droit de le savoir. Ça te concerne.
Aaron l’entraîna avec lui en l’aidant. Laurène le voyait prêt à la porter mais il se rappela de ce que sa camarade lui avait dit et ne le fit pas. On lui demandait de faire ses preuves, qu’on l’aide à monter un escalier était déjà un signe de faiblesse pour elle. Juste le fait qu’on l’aide la déprimait. Elle se sentait profondément incapable. Aaron s’arrêta en haut et la laissa entrer toute seule dans le sanctuaire. La voyante était bel et bien là. Elle se trouvait agenouillée devant la sculpture du Père et de la Mère et semblait marmonner des mots. La vielle dame priait, sans doute. Refroidie, Laurène s’approcha doucement mais prit soin de laisser cinq mètres entre elle et la voyante. Après quelques minutes, la vieille dame se redressa et se tourna la Liée qui lâcha une faible salutation.
– Que puis-je faire pour toi jeune fille ? s’enquit la voyante.
– Je pense que vous savez très bien qui je suis, assura Laurène. Et j’ai remarqué comment vous m’avez regardé la semaine dernière lorsque vous avez énoncé la prophétie. J’aimerai que vous me partagiez des informations sur cette prophétie… si vous le souhaitez bien sûr.
La vieille dame sourit laissant découvrir des dents presque noires, avant de s’asseoir sur une chaise réservée aux Dresseurs. Laurène aussi s’y permit car sa cheville commençait à ne plus supporter son poids. Elle l’avait soumis à trop d’effort pour le moment.
– Je t’attendais, affirma la voyante ignorant la surprise de Laurène. Je me doutais que tu allais finir par venir un moment ou un autre. Alors je me suis questionnée sur ce que tu avais le droit de savoir ou non. J’ai eu des visions te concernant sur cette prophétie. Beaucoup de personnes y contribuent mais tu as une grande importance. Tu fais partie des trois personnes les plus importantes de la prophéties. Tu es celle qui la déclenche par ton existence dans notre société mais aussi celle qui la terminera.
– Vous connaissez l’identité des deux autres personnes ?
– Évidemment. Mais il est nécessaire que tu comprennes par toi-même de qui il s’agit. Tu dois savoir Laurène, que même en présence de prophétie, l’avenir n’est pas figé. Les vers sont souvent flous voire incompréhensibles ou quelquefois, comme dans la grande prophétie, proposent plusieurs cas de figures. Tu pourras changer l’avenir avec tes choix, Laurène. Tu détiens l’avenir de la communauté !
Cette piqûre de rappel contraria Laurène, ses dernières questions restèrent coincées aux fonds de sa gorge. Elle se leva, la remercia mais se retourna lorsqu’elle entendit des bruits étranges émanant du seul autre être vivant présent : la voyante.
– Toi ! hurla la voyante.
Sa voix raisonnait dans tout le sanctuaire et elle pointait du doigt Laurène. Tout le corps de la vielle dame tremblait. La Liée recula mais la voyante lui attrapa les poignets au niveau de la paume et les broya. La Liée commença à paniquer lorsque son interlocutrice psalmodia comme une folle. L’adolescente hurla quand l’œil visible de la dame devinrent blancs. Aaron, alerté par ses cris se précipita pour les séparer. La voyante s’écroula au sol, inerte.
– Qu’est-ce que… c’est… c’était quoi ? balbutia la jeune fille, s’appuyant sur son camarade.
– Ce qui devrait se produire à la fin du mois prochain, révéla Aaron. Elle a failli te révéler ta prophétie personnelle. Enfin… je pense.
Au moins elle en aurait été débarrassée. Aaron vérifia que la vieille dame était bien en vie avant de la porter à l’infirmerie. Le Lié avait déjà eu affaire aux voyants mais il n’en avait jamais vu faire une crise aussi violente que celle-ci. Soudain, la dame se redressa et il la lâcha par peur avant de reculer alors qu’elle cria :
– Les demi-dieux ! Regagnent de leur puissance suite à leurs réveils et réapparaîtront ! La menace est toute proche et imminente !
Sur ses phrases, elle s’évanouit de nouveau. Les deux adolescents restèrent bouches-bées et se regardèrent en chien de faïence. Tout deux ne savaient quoi penser. L’adolescente n’avait jamais vu son camarade aussi paniqué. Enfin Laurène aida Aaron à se relever et sortit son portable afin de trouver le père de Clara dans son répertoire.
– Attends… tu téléphones dans un lieu sacré ? lâcha Aaron.
– Oh ça va ! Fais pas genre, tu n’es pas plus croyant que moi. Et je ne crois pas.
– C’est toi qui me parlait de respect pour les autres.
– Actuellement on s’en fout ! Il faut appeler quelqu’un pour nous éclaircir sur ce… la petite crise de la voyante. Je ne demanderais rien à Mme. Amaro ou même au directeur.
– Oui Laurène ? Tout va bien ?
– Aucune attaque et je suis vivante, assura Laurène en s’efforçant de maîtriser sa voix. Mais la voyante nous a sorti des phrases étranges.
Est-ce que des phrases sensées pouvaient sortir de sa bouche, d’ailleurs ? M. Gomez s’isola et la Liée lui répéta tout. Elle activa l’haut-parleur pour permettre à Aaron de l’entendre. Il resta un moment silencieux avant de dire :
– Je vais prévenir des hauts-placés pour renforcer la sécurité. Ça ne fait aucun doute que l’événement le plus espéré et redouté de notre communauté arrive. Nous allons bientôt entrer en guerre.
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