Chapitre 28 :
Reprenant peu à peu conscience, les bips-bips ambiants martelaient sa tête et amplifiaient la douleur de son corps. Elle comprit qu’elle vivait encore. La jeune fille ouvrit doucement les yeux, les pupilles assaillies par la lumière. Lorsqu’elle avait fermé les yeux, son corps nageait dans son sang, elle avait pensé qu’elle ne les rouvrirait plus jamais. L’adolescente comprit où elle se trouvait et cela la rassurait : cela signifiait que le campus allait bien, qu’il n’y avait eu rien de grave.
Une paire d’yeux bleus océans, encadrés de cheveux roux entra dans son champ de vision. La patiente ouvrit sa bouche mais aucun son n’en sortit… pourtant elle n’avait pas été touchée à la gorge si elle se remémorait bien ce qui s’était passé. Tout lui semblait bien flou…
– Ne panique pas Joyce, murmura Anna de sa voix douce. On va te redresser pour que ce soit plus confortable. Val ! Chou, s’il-te-plaît va chercher Lucas. Cela va lui faire du bien de le voir. Elle en aura besoin.
Anna regarda Valentine partir puis se concentra pour redresser Joyce, ses bras, n’étant pas encore assez musclés pour y réussir aisément. Cette dernière poussa un cri car le mouvement ravivait sa douleur au thorax. Oui, c’était bien là qu’ils l’avaient blessé. Anna lui chuchota que cela allait aller, que la douleur serait passagère. L’apprentie Soigneuse ajouta quelques gouttes de morphine à la perfusion pour soulager la Liée. Ensuite, la rouquine cria à ses supérieurs que Joyce venait de se réveiller et ils lui donnèrent des indications qu’elle exécuta.
– Lucas, fit Joyce d’une voix très enrouée. Il… il est vivant !
– Bien évidemment qu’il est vivant, sinon je n’aurais pas demander à Val de le ramener, banane ! assura Anna avec un petit sourire. Et indemne physiquement qui plus est. Un luxe.
– Comment ça ?
– Notre mental à tous a été touché, tu sais. Surtout Lucas, Clara et Aaron. Quand tu seras rétablie, j’espère que cela nous réconfortera tous un peu. Il faut un peu trouver un moyen d’alléger tout cela, l’ambiance est devenue si lourde au camp.
– Que s’est-il passé ? s’enquit Joyce paniquant petit à petit. Quelque chose de grave ? Quel jour sommes-nous ?
– Joyce, commença Anna cherchant ses mots. On est en novembre, tu es restée quasiment trois semaines entre la vie et la mort. L’attaque commence à remonter maintenant.
Même si Anna avait essayé de prendre des pincettes, d’atténuer la révélation, cela eut l’effet d’un coup de massue pour Joyce. Combien d’événement avait-elle raté ? Son angoisse s’interrompit par l’irruption de Lucas. Ce dernier ne paraissait pas avoir énormément dormi ces derniers temps. Ce qui inquiéta automatiquement Joyce. Il saisit la main de Joyce et l’embrassa.
Anna s’éloigna, ne voulant pas tenir la chandelle, mais aussi voulant les laisser tranquille. L’adolescente fit signe qu’elle prenait une pause et se réfugia à l’entrée dans les bras de Valentine qui lui embrassa le front. Travailler l’aidait à ne pas penser à son amie disparue.
– Je n’arrive pas à me sortir Laurène de l’esprit, confia Valentine. On a vraiment aucun moyen de savoir ce qui se passe…
– Je sais, mais on doit rester positive, assura Anna en encadrant le visage de ses mains. Laurène a confiance en nous et il faut qu’on ait confiance en elle. Et le meilleur moyen de l’aider est de continuer nos formations.
Valentine se mordilla la lèvre en souriant et tortillant une mèche rousse entre ses doigts.
– Tu sais que je t’aime toi ?
Les lèvres d’Anna effleurèrent le cou de Valentine avant de l’embrasser. C’était le chaos en ce moment, cependant, elle savait bien qu’à partir du moment où Valentine resterait avec elle, tout irait bien.
***
Joyce sourit faiblement à son copain. Elle ne serait pas capable de cacher sa douleur mais Lucas avait bien conscience que la Liée ne se remettrait pas directement de sa blessure. Cela n’allait pas, et elle le connaissait. Ce n’était pas son état à elle qui le hantait terriblement, en tout cas pas entièrement. Lucas sentait tout le poids de la culpabilité en observant sa petite-amie dans le lit de l’infirmerie. Il s’en voulait de ne pas avoir été assez fort pour la protéger, et il aurait dû pouvoir la protéger.
– Dis-moi, Anna ne m’en a pas parlé mais je l’aperçois bien sur vos visages que quelque chose ne va pas. D’ailleurs, elle ne m’a pas parlé de Laurène. Comment va-t-elle ? Elle culpabilise de l’attaque je suppose… vous la rassurez au moins ? La connaissant elle doit vraiment fulminer contre les ennemis…
Il y eut un long moment de silence. Joyce se sentit très mal à l’aise. Elle remarquait bien que son copain semblait à fleur de peau, une bombe d’émotion à retardement qui pouvait exploser à tout moment. Lucas ne parvenait pas à effacer le visage de sa jumelle qui s’imposait dans son esprit. Il se mit à pleurer.
– Laurène est avec les ennemis et c’est totalement ma faute, sanglota Lucas entre colère et tristesse. Si je n’avais pas été aussi faible, peut-être qu’elle n’aurait pas eu à les suivre. C’est ma putain de faute !
– C’est de la faute aux ennemis, aux adultes incompétents, de la prophétie et aussi celle de Laurène un peu. Mais ce n’est pas de la tienne, le calma Joyce.
Elle aurait voulu le serrer dans ses bras, lui dire que tout irait mieux dans quelques temps, mais savoir Laurène chez les ennemis n’était absolument pas rassurant. Aucun d’eux, mise à part Aaron, était préparé pour cela.
M. Gomez débarqua à son tour, lui aussi avait pris un coup puisqu’il paraissait beaucoup moins serein qu’auparavant. Cela peinait Joyce de le voir dans cet état-là, lui qui prenait son rôle de protecteur, de conseiller très à cœur et qui excellait. Il voulait juste les protéger. Cet échec marquait profondément Sébastien. Surtout qu’il considérait Laurène un peu comme une seconde fille. Il ne pouvait plus laisser passer cela. Il ne pouvait plus laisser faire cela.
L’homme prit des nouvelles de Joyce puis demanda à Anna et Valentine de se préparer. Il s’assura du regard si Lucas lui avait fait un résumé, et il fit approcher un fauteuil roulant afin de transporter Joyce plus facilement puisqu’elle n’était pas en état de tenir debout.
– Les membres importants du ministère ont débarqué la semaine dernière, informa M. Gomez. Un conseil de guerre va se dérouler d’ici quelques minutes. On a besoin des proches de Laurène ainsi que de tous les Liés, toi y compris.
– Un conseil de guerre ? La situation est si grave ?
– Nous n’avons jamais été en paix, clarifia le Dresseur avec un sourire triste. Nous n’étions juste pas officiellement en guerre. Mais la donne a changé. Ils ont menacé un campus, un Lié et ont kidnappé Laurène. Le ministère ne peut tolérer cela une fois de plus, encore moins sur l’élue.
– Il n’y a aucun moyen de la récupérer ?
– À part attaquer à notre tour, provoquer une bataille, il n’y a pas d’autres moyens. Je sais que Laurène a gagné en puissance, néanmoins, je ne pense pas qu’elle puisse se libérer sans aide.
– Laurène est forte, assura Joyce. J’ai confiance en elle, elle peut le faire.
– Je le sais, mais face à autant de personne… les ennemis sont beaucoup, trop pour une seule personne.
Se lever fut horrible pour l’adolescente. Elle hurla de douleur, elle allait sûrement mettre quelques mois à se rétablir. Lucas l’aida à l’installer sur le fauteuil, déposa un baiser dans ses cheveux quand des larmes roulèrent sur ses joues à cause de la douleur puis il prit les poignets pour déplacer le fauteuil. Le jeune homme savait où aller.
Anna et Valentine emboîtèrent le pas lorsqu’ils arrivèrent à leur niveau. Lucas galéra à pousser le fauteuil sur l’herbe. Ils se dirigeaient vers le quartiers des adultes. Au loin, Joyce vit Aaron assit à l’entrée, le regard dans le vide. On ne voyait aucun impact physique sur lui, mais ses expressions et son regard parlaient pour lui. Il se tenait pour responsable de la perte de Laurène, tout comme Lucas. Il se leva en les voyant. Il prit la main de Joyce lorsqu’ils s’arrêtèrent à son niveau.
– Comment tu te sens ? demanda-t-il à la jeune fille.
– Comme quelqu’un qui n’est pas passé loin de mourir. Mais au moins je suis là.
– C’est Laurène qui t’a trouvé.
– Oui, je m’en souviens… c’est toi qui m’a emmené à l’infirmerie, n’est-ce pas ?
– Comment as-tu su ?
– C’est toujours toi qui porte les blessés à l’infirmerie ! Donc, encore plus dans une situation urgente.
Il sourit tristement, tout de même heureux de la revoir vers le chemin de la guérison. Aaron savait qu’il ne se serait pas pardonné si jamais sa camarade était morte. Il ouvrit la porte et se chargea de trouver Clara qui tentait de glaner des informations. La blonde arriva, beaucoup moins joviale qu’habituellement, le regard sombre. Depuis l’enlèvement de Laurène, l’apprentie Dresseuse essayait de connaître chaque projet lié à sa meilleure amie. Clara voulait la retrouver. Aaron et elle ne lâcheraient pas.
– J’ai tenté d’amadouer ta copine pour avoir une info, mais je pense que tu seras plus doué que moi dans ce domaine-là, déclara Clara à Aaron. Elle n’a rien voulu me dire cette… M. Gneiss m’a conseillé d’attendre. C’est surtout Mme. Amaro et le directeur qui débattent avec je ne sais quel ministre. Sauf qu’on connaît tous Mme. Amaro : elle n’a aucune pitié pour les ennemis. Elle serait capable de demander au dragon de feu de tout enflammer.
– Cela ne serait pas une si mauvaise idée, marmonna Aaron.
– Ne dis pas ça. Tu es juste en colère mais ce n’est pas la solution, souffla Joyce.
Sébastien Gomez les guida dans la salle afin de les placer au premier rang. Sara débarqua, toute joyeuse depuis le départ de Laurène, contente qu’elle ne tourne plus autour d’Aaron. Le contraste était perturbant, avec Aaron concentré et tourmenté. Il ne fit pas attention à sa petite-amie. Sara s’en énervait d’ailleurs, elle s’agaçait de la distance qu’il imposait depuis la fête. Et la Dresseuse ne se rendait pas compte que son comportement envers l’absence de Laurène horripilait pas seulement le Lié. Clara et Valentine se retenaient de ne pas la jeter du haut de la falaise.
Aaron fixa un grand homme chauve, portant un costard jaune moutarde et un chapeau orange pétant : Marc Delaroux, le premier ministre de la communauté des dragons. Le cinquantenaire se chargeait de faire des rapports sur la société au président de la république, et il dirigeait les ministres de son gouvernement tout en orientant la politique menée pour la communauté. Il menait tout, donc il annonçait tout ce qui allait se passer.
L’ambiance était fébrile, tout le monde se demandait ce qui allait se passer. Le premier ministre testa son micro alors qu’Aaron en profita pour expliquer aux autres l’importance de cet homme. Sara marmonna que des cours de politiques devaient être dispensés, ce que Clara répondit que cela faisait partie des cours d’histoire et qu’ils n’avaient juste pas encore abordé ce sujet. La jeune Gomez ne supportait pas les remarques piquantes et désobligeantes, presque des reproches systématiques de sa camarade. Peut-être aussi à cause du manque d’empathie de la plus vieille. Malheureusement Sara ne prenait pas part au duel, sinon Clara aurait pris un plaisir à lui faire mordre la poussière. Valentine ne s’en était pas dérangée quitte à recevoir un avertissement. Elle l’avait frappé et et lui avait collé une lèvre fondue. Néanmoins, Sara restait collée à Aaron, elle les voyait souvent à son plus grand damne.
Exceptionnellement, pour ce discours, les adultes installèrent une caméra, cela étonna tout le monde. Les informations passaient essentiellement par message privé à tous les membres de la communauté. Aaron devina, même s’il n’était pas certain. Il s’y était tout de même préparé, s’en doutant, afin de rester calme.
– Chers concitoyens, chères concitoyennes, commença Marc Delaroux. Merci à ceux qui sont rassemblés avec moi en ce moment. Si cette élocution a lieu, c’est parce qu’il s’agit d’une annonce de la plus haute importance. Depuis déjà quelques mois, nous soupçonnons avoir découvert l’élue, le déclencheur de la grande prophétie. L’élue répondrait au nom de Laurène Maguy, une jeune Liée issue de la célèbre de Dresseur. Jusqu’à octobre dernier, cette adolescente résidait dans le campus nord et y étudiait. En octobre dernier, nos ennemis ont attaqué ce campus. Il ne s’agit pas de la première offensive de nos ennemis, il avait déjà commis plusieurs crimes, plus tôt dans l’année. Des étudiants innocents, en pleine formations y sont décédés ! Je le préviens d’ores et déjà que ces actes ne resteront pas impunis. Nous mettrons en place les mesures nécessaires pour. En octobre, durant la fête d’Halloween du campus, l’élue a été enlevée par le biais d’un odieux chantage sur son frère. L’élue est pour le moment captive chez les ennemis et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir afin de la faire revenir parmi nous. Suite à ces attaques, nous avons pu constater que les fondateurs des lignées sont bien de retours et sont alliés à nos ennemis.
Le premier ministre de la communauté s’autorisa une pause, laissant au peuple le temps de digérer les nombreuses informations. Il leva la tête, une expression grave et sérieuse plaquée sur son visage. Il fixa la caméra.
– Mes chers concitoyens, l’heure est grave. Les ennemis ont tué des innocents ! Les ennemis ont tué des jeunes en formations ! Les ennemis retiennent captive l’élue ! Nous ne pouvons rester passif plus longtemps. Il est de notre devoir de réagir. De riposter. Nous riposterons. Je sais que vous nous regardez, et en tant que premier ministre de la communauté des dragons : je vous déclare la guerre. Vous payez pour les innocents tués, et on arrachera l’élue de vos griffes. Ce n’est que le commencement de longues batailles, que nous remporterons.
Bien évidemment que les ennemis allaient voir cette annonce. Tout avait été soigneusement préparé pour que ce soit le cas. L’annonce devait être percutante pour tout le monde, même pour les ennemis. Aaron jugeait cela stupide : si jamais ils voulaient attaquer, il n’y aurait plus du tout d’effet de surprise. Puis, ils allèrent mettre Laurène inatteignable, ils ne pourraient plus la trouver, cela deviendrait compliqué de la libérer. C’était le pire cas de figure pour Aaron. Tout comme pour les autres. Les adultes encore sonnés, quittèrent peu à peu la salle. À contre-courant, Aaron poussait pour parvenir au niveau du directeur et de Mme. Amaro.
– Mais vous êtes des idiots ! lança le Lié avec véhémence.
– Le ministère avait pris sa décision avant de nous consulter, expliqua le directeur navré.
– Ils n’ont pas si tort que cela tu sais, défendit Mme. Amaro. On a le même but que toi Aaron, on veut la libérer aussi.
– Cette décision va plus la mettre en danger qu’autre chose putain !
– Je comprends bien mais…
– Comprendre ? Non. Non, je n’ai pas l’impression que vous comprenez. Laurène n’est pas un pion sur lequel on peut jouer et miser je ne sais quoi. Elle est humaine et vos choix l’impactent !
– Aaron…
– Il faut trouver un putain de moyen de revenir en arrière !
– Tu sais bien que c’est impossible désormais. On ne revient pas en arrière suite à une annonce, affirma le directeur.
Aaron voulait tout détruire. A la place d’envoyer son poing il ne savait où, une bourrasque saccagea toute la salle et entraîna un mouvement de panique. En repartant, il bouscula le premier ministre sans ménagement. Les autres qui avaient attendu que tout le monde s’en aille le suivirent.
– On ramènera Laurène, affirma Clara en lui prenant la main pour retenir son attention. Avec ou sans adultes. Il est hors de question que je lâche ma meilleure amie.
– On ne sait même pas où elle se trouve !
– On trouvera, confirma Mme. Amaro au loin. La situation se désiste de notre contrôle mais on va la retrouver, nous n’avons pas le choix, il le faut. Puis, il ne faut pas oublier les fondateurs des lignées qui reviennent petit à petit. On va devoir se préparer à les combattre. Cela sera compliqué d’autant plus que la Mère et le Père n’existent plus, mais il va falloir qu’on y parvienne.
– Très rassurant, commenta Valentine sarcastiquement.
– Quant à Laurène, même si elle est sûrement malmenée, elle sera vivante. Ils savent que tout vient d’elle, qu’elle doit être vivante. La prophétie impose sa vie.
– Ce n’est pas cela le problème, assura doucement Anna fixant Aaron.
– En combien de morceaux va-t-on la retrouver brisée ?
Que deviendrait Laurène après tout ça ? Aaron craignait tout ce qu’ils pouvaient lui faire subir. Il savait qu’il ne retrouverait plus la même Laurène, et il craignait que cette dernière ne lui fasse plus confiance comme avant, qu’ils n’aient plus la même relation qu’avant…
Annotations
Versions