ZOLDELLO *** II ***
PIROS - LABORATOIRE
Les portes s'ouvrirent sur un laboratoire ultramoderne, où chaque surface lisse et brillante semblait crier perfection. Pourtant, la vue de tous ces appareils le mettait mal à l'aise. Leur apparence aseptisée ne suffisait pas à masquer leur nature intrusive, et il ne pouvait s'empêcher de les associer à des instruments de torture. Il n'avait jamais eu d'affinité avec les médecins ou autres professionnels de la santé. L'idée de leur faire aveuglément confiance sous prétexte que la science était infaillible l'avait toujours perturbé.
"Rien n'est au-dessus de la science", répétait inlassablement Guillermo, le vieux docteur de la mine, en s'entortillant la moustache avec son index.
— Installez-vous sur la chaise, déclara Sylice sans même lui lancer un regard.
— Vous parlez toujours comme ça ? Vous êtes toujours aussi directive ?
Elle ignora complètement sa remarque, lui tournant le dos avec une indifférence désarmante, comme si sa présence ne méritait aucune considération.
Kybop s'installa finalement sur le fauteuil, résignée, fixant le plafond d'un blanc immaculé, d'une monotonie désolante. Sylice termina quelques ajustements sur un appareil et s'avança vers elle avec un plateau d'ustensiles qui lui semblaient tout sauf rassurants.
— Je vais vous faire une prise de sang. Rien de bien méchant, lâcha-t-elle mécaniquement.
Elle décida de ne pas compliquer les choses et obtempéra.
— Votre bras, ordonna-t-elle sèchement.
— Vous parlez toujours en injonctions, ou il vous arrive d'utiliser des formules de politesse ?
La scientifique ne répondit pas, mais son agacement se trahit par un froncement imperceptible de ses sourcils. Elle lui attrapa le poignet avec fermeté, ses gestes précis mais dépourvus de douceur.
— Vous ne pouvez pas juste faire ce qu'on vous demande ? soupira-t-elle.
— On m'a toujours dit de me méfier des inconnus, surtout de ceux qui manipulent des aiguilles.
Elle leva les yeux au ciel, visiblement agacée.
— Et qui est ce on ? sonda-t-elle, curieuse.
Elle lui répondit par un haussement de sourcils exagéré, comme si elle détenait un secret d'État. Alors qu'elle réalisait à peine ce qui se passait, elle avait déjà prélevé son précieux liquide. Cette petite maligne avait clairement détourné son attention. L'éprouvette, désormais remplie, scintillait sous la lumière froide du laboratoire.
Sylice la tint entre son pouce et son index, scrutant le contenu avec une satisfaction presque inquiétante.
— Parfait ! s'écria-t-elle.
ZOLDELLO – FORÊT IMMEMORIALE
Le royaume était plongé dans l'obscurité d'une lune sombre, synonyme de mauvais présage dans les contrées du sud. Mais il n'y avait pas de temps pour les superstitions. La princesse s'engagea dans un exil clandestin avec son ami de toujours.
Ils traversèrent les bois des Originels, cette forêt immémoriale de Zoldello. Les lieux étaient paisibles et rassurants. Les lucioles ancestrales, vénérées par de nombreux Ultyens, scintillaient d'un vert opalin, symbolisant la fertilité et l'abondance de la planète verte.
Tant que brillaient les lucioles ancestrales, Zoldello abonderait de denrées —Livre Saint d'Ultya, Chapitre 4, verset XI.
Cette atmosphère conférait à leur périple une dimension presque mystique. Au détour d'un chemin de terre, Kylburt prit un dernier virage avant d'annoncer discrètement :
— Nous sommes arrivés.
— Et maintenant ? signala Lilas, inquiète.
— On attend.
Celui-ci resta de marbre, visiblement peu inquiet. Soudain, un bruissement derrière des herbes hautes se fit entendre et, avant même qu'elle ne puisse réagir, une silhouette émergea. Slikof posa sa main sur le cœur en courbant l'échine.
— Princesse.
— Slikof !
Elle jeta un regard étonné à Kylburt, qui lui sourit avec malice.
— Kylburt, tu étais au courant qu'il nous suivait, c'est ça ?
— Exactement, Lilas.
— Simple sécurité, votre altesse, appuya-t-il pour soutenir Kylburt.
Le silence, jusqu'alors réconfortant, se transforma en un mutisme lugubre. Aucun des trois futurs exilés ne savait exactement ce qui les attendait, rendant la situation déroutante. Slikof, plus habitué au mystère, passa du statut d'invité surprise à celui de meneur du groupe. Sa présence rassurait la princesse, bien qu'elle se méfiât de lui comme de la peste. Elle détestait les personnes qui agissaient dans l'ombre, vivant de secrets et de dissimulations ; le mystère lui était insupportable, et Slikof incarnait toutes ces aversions.
La menace vient du secret —Livre Saint d'Ultya, Chapitre 2, verset III.
Ce précepte l'avait toujours profondément touchée, d'autant plus que sa mère, la Reine de Zoldello, avait péri à cause d'une conspiration, empoisonnée par un réseau de fanatiques. La Reine Calyssia D'Ultya, respectée, douce et juste, avait été emportée par le délire d'une poignée de sympathisants de la Prophétie des Sang-Rouge.
Un bruit soudain interrompit les pensées de la princesse.
— Un vaisseau. Baissez-vous ! commanda Slikof d'un geste de la main.
— C'est un engin de notre flotte, Slikof. Fabrication Tucanienne...
D'un coup d'œil, il donna raison à Kylburt. L'appareil était très silencieux, parfait pour un départ furtif. Une fois au sol, le pont s'ouvrit, laissant deviner une silhouette fine et de petite taille.
— Qu'il me soit permis de vous adresser mes salutations !
GALAXIE DU SEXTANT - DANS LES TRÉFONDS DE GOLTONS II
Goltons II était la planète mère des Golts. Une civilisation légendaire, considérée comme la plus ancienne de l'espace connu.
Peu nombreux, les Golts jouissaient d'une aura quasi divine aux yeux des autres peuples stellaires. Ils étaient à l'origine de nombreuses croyances, ayant inspiré la naissance de multiples cultes et courants religieux à travers les âges. Leur influence était particulièrement forte parmi les adeptes de la Prophétie des Sang-Rouge, qu'ils défendaient avec ferveur.
— Où sont-ils ? rugit Fiora.
— Nous avons suivi leurs traces jusqu'à Eltanin, murmura Drike, visiblement mal à l'aise.
— Et ?
— Ils se sont échappés à bord d'un vaisseau, ajouta timidement Bogz, baissant instinctivement la tête, comme s'il redoutait un châtiment imminent.
— Quel vaisseau ?
— Un appareil de la flotte ultyanienne, Votre sainteté, finit-il par lâcher, la voix tremblante.
Fiora plissa les yeux, réfléchit, avant de poser une main élégante sur son menton.
— Intéressant...
Elle esquissa un léger sourire, aussi froid qu'énigmatique.
— Ainsi, le vieux roi Gotbryde reprendrait du service... Je pensais qu'il avait abandonné sa Confrérie après l'assassinat de sa chère et tendre Calyssia. Ce drame aurait pourtant dû suffire à briser son esprit... Mais visiblement, il en fallait plus à ce bon vieux roi de pacotille.
Elle marqua une pause, scrutant tour à tour les visages tendus de ses deux subalternes.
— Où se trouve la princesse ?
Un silence pesant s'abattit sur la pièce. Ni Drike ni Bogz n'osèrent répondre, leurs regards fuyants celui de Fiora. Finalement, Drike prit une grande inspiration et risqua une réponse.
— Sur Zoldello, Votre sainteté.
— En êtes-vous sûr ? demanda-t-elle, chaque mot lourd de menace.
— Nous allons le vérifier, répondit-il d'un ton qu'il tenta de rendre assuré, bien que sa voix vacillât légèrement.
Fiora esquissa un sourire glacé.
— Oui... vérifiez... articula-t-elle lentement, chaque syllabe prononcée avec une précision menaçante.
GALAXIE D'YZON - TERRE II - DANS UN LABORATOIRE
Sur Terre II, deux scientifiques subissaient les affres de l'échec dans un laboratoire de l'Agence Spatiale Inter-Planétaire Yzonnienne. Malgré leurs efforts acharnés, ils semblaient incapables de mener leurs expériences à terme.
— Je ne comprends pas... Pourquoi ? s'emporta Fyguie, tapant du poing sur le plan de travail. J'ai refait l'expérience trois fois ! J'ai modifié les composants comme indiqué dans ce maudit bouquin ! Pourquoi je n'obtiens pas ce fichu—
— Hey ! Du calme, Fyguie, l'interrompit Houda en posant une main apaisante sur son épaule.
Sous ses doigts, elle perçut la tension dans chaque muscle de son collègue. Fyguie était un homme rigoureux, presque obsessionnel. Sa passion pour les sciences avait consumé une grande partie de sa vie. Ce grand gaillard aux cheveux d'ébène, autrefois doté d'un humour mordant, semblait aujourd'hui étranger aux plaisirs simples de l'existence, absorbé par sa quête de compréhension.
— Relaxe, mon grand. On a encore trois mois pour trouver une solution, tenta-t-elle de le rassurer.
— Je sais... Mais ça me rend fou. Cette matière n'obéit à aucune règle connue, Houda.
Elle haussa les épaules, une moue résignée sur le visage.
— On devrait aller prendre l'air. Boire un coup.
— Pfff... Si tu penses que ça va résoudre quoi que ce soit... marmonna-t-il sans conviction.
Houda lui asséna une tape vigoureuse dans le dos, son visage illuminé d'un sourire malicieux.
— Boire un coup ne résout rien, mais ça fait toujours du bien !
Un sourire fugace étira les lèvres de Fyguie. Houda Monty avait ce don rare de désamorcer les tensions par sa simple présence. Sa positivé rayonnante semblait se heurter à son sérieux comme un rayon de soleil perçant les nuages. Jeune femme au teint hâlé, ses cheveux cuivrés et ses yeux noisette pétillants ajoutaient à son charme irrésistible, particulièrement lorsqu'elle souriait, révélant une légère fossette au coin de sa joue qui accentuait son allure séduisante.
— Deux ou trois liqueurs de sabran et on n'en parle plus !
— Oui, tu m'étonnes qu'on n'en parle plus... Avec ses cinquante-cinq degrés, cette liqueur ferait taire un volcan, répliqua-t-il avec un brin de sarcasme.
— C'est exactement ce qu'il nous faut ! On refait le monde, comme avant !
— Avant quoi ? On se connaît depuis cinq mois, Houda, fit-il remarquer avec amusement.
— Oh, c'est vrai ! Ce sera une première alors. Je ne t'ai jamais vu saoul.
— Je te préviens, je suis encore plus ennuyeux avec quelques grammes dans le sang.
— Je ne crois que ce que je vois !
Houda avait fini par le convaincre et le tira par le bras. Fyguie céda au regard supplicié de sa collègue et laissa échapper un soupir amusé.
Leur journée avait été trop longue, trop frustrante ; Houda avait raison, ils avaient bien mérité un moment de répit. Leur destination était toute trouvée : le Bar d’Avant l’Éclipse, un lieu presque malfamé, mais où l’on ne s’ennuyait jamais.
TERRE II - BAR D'AVANT L'ÉCLIPSE
Fyguie et Houda avaient troqué leurs blouses de scientifiques contre des tenues plus discrètes, adaptées à la foule citadine et moderne de la ville de Durian.
— Ha, tu sens cette odeur ? s'exclama Houda
Elle écarta les bras pour prendre une profonde inspiration et savourer l'air ambiant.
— Non, répondit Fyguie avec son habituel pragmatisme.
— Si ! affirma-t-elle avec enthousiasme. Cette petite odeur rance avec une pointe d'acidité... Un mélange entre le vomi et l'alcool !
Elle mima un geste exagéré de connaisseur, frottant ses doigts sous son nez comme si elle savourait un grand cru.
— T'es timbrée, s'esclaffa Fyguie en lui donnant un coup d'épaule complice.
Rayonnante, Houda lui attrapa le bras et l'entraîna vers le bar. Ils s'installèrent sur les chaises hautes, familiers des lieux, comme l'auraient fait des habitués. Levant le bras, elle interpella le barman avec une assurance teintée d'enthousiasme :
— Une ligne de liqueur de sabran ! lança-t-elle.
Certains surnommaient cette boisson le poison d'Yzon. À doses modérées, elle provoquait une douce euphorie, mais à fortes doses, elle promettait des désinhibitions incontrôlées, voire des hallucinations. Le secret résidait dans une molécule rare, la thuyone, qui agissait comme une véritable potion chimique.
— Du C10H16O ! Une cétone monoterpénique ! déclara Fyguie.
— Exact, mon bon Monsieur !
La soirée s'envola entre blagues osées et boutades dignes de scientifiques. Ils rirent, trinquèrent et se défièrent à coups de petites anecdotes absurdes.
Le bar lui-même était un lieu à part : bruyant, bondé et chaotique. Une véritable institution dans la galaxie d'Yzon, tenue par un Goubalkien, dernier survivant de sa planète, réduite en cendres lors de la dernière éclipse. Ici, les disputes se réglaient parfois par des éclats de voix ou des bagarres spectaculaires, mais rien n'entamait l'attrait de cet endroit mythique.
Après plusieurs verres de la fameuse liqueur, Fyguie et Houda, visiblement éméchés, décidèrent qu'il était temps de rentrer.
— On se voit d'main ? demanda Fyguie, la voix traînante.
— J'sais pas... Si j'arrive à m'lever...
— J'te raccompagne, décréta Fyguie d'un ton protecteur.
Alors qu'ils se dirigeaient vers la sortie, Houda, espiègle, lui donna une pichenette derrière l'oreille.
— Le premier arrivé chez moi ! s'écria-t-elle.
Sans attendre de réponse, elle s'élança en courant maladroitement, manquant de s'étaler au premier pas. Fyguie secoua la tête, amusé, mais l'alcool réveillant une étincelle de compétition, il se mit à courir à son tour.
Ils sortirent du bar en riant, se bousculant contre les portes battantes. Une fois dans les rues éclairées par les néons de la cité, leur course improvisée prit tout son élan. Ils zigzaguèrent entre les passants, se chamaillant à chaque détour, comme deux enfants insouciants sous un ciel sans étoiles.
ZOLDELLO - LIEU DE L'EXIL
Les trois fuyards avaient immédiatement reconnu le conseiller du roi. Son apparence singulière se distinguait par des tenues qui, bien que paraissant désuètes, étaient de grande qualité. Sa morphologie frêle contribuait à son image atypique.
— Zorth ! Je vous pensais en mission pour le roi ? s'étonna Slikof.
— Ceci est loin d'être inexact, Slikof De Xylis. Mais il n'y a pas de temps à perdre, mon ami. Montez, je vous en prie.
Zorth leva une fois de plus l'index pour souligner son propos. Kylburt et le fantôme d'Ultya laissèrent la princesse monter en premier. Alors qu'elle passait, Zorth plaça sa main sur son cœur en prononçant la devise du royaume. Lilas lui adressa un signe de tête, un petit geste d'affection, en silence. Elle le connaissait presque aussi bien que son propre père.
Depuis aussi longtemps qu’elle s'en souvenait, il avait toujours été le plus fervent conseiller de la couronne. Sa mère l’adorait. Ils pouvaient passer des heures dans le Secrétoire à échanger des ragots de la cour, non pas pour en tirer quelque chose de constructif, mais simplement pour s'en amuser autour d'un thé de Tébane. Ainsi, elle monta dans le vaisseau sans crainte, se sentant en sécurité, entourée de visages familiers et rassurants. C’était un réconfortant sentiment de rentrer chez elle.
PIROS - LABORATOIRE
Alors que les nouveaux arrivants faisaient leur entrée dans la salle principale, Kybop se trouvait toujours dans le labo, entre les mains de la charmante mais néanmoins maléfique Sylice.
— Bon, c'est bon ? Vous avez terminé ? s’impatienta-t-elle.
— Ce sera terminé, quand j'aurai dit que c'est terminé.
Kybop leva les yeux au ciel. Elle venait de tomber sur bien plus agaçant qu’elle. Heureusement, quelqu’un vint enfin interrompre cette torture en ouvrant la porte du laboratoire.
— Le loup est dans la bergerie ! proclama le capitaine, les poings posés sur ses hanches, dans une pose qui se voulait héroïque mais qui ressemblait plutôt à celle d’un super-héros ridicule.
Sylice lui lança un regard dédaigneux avant de reposer son matériel et de retirer ses gants en latex.
— Bien. J'arrive.
— Quelqu’un m'explique ? De quoi parlez-vous, Capitaine ?
— De quoi ? Vous voulez dire, de qui ? répondit-il, visiblement tout fier de son annonce.
Sylice laissa échapper un soupir de lassitude.
— Oui, peu importe ! De qui parlez-vous ? confirma la scientifique.
— Eh bien, elle est enfin à bord de mon Vaisseau !
— De qui parlez-vous, à la fin ? s’impatienta Kybop, les fusillant du regard.
— La princesse ! annonça le Capitaine d’une voix théâtrale.
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