MAISON DES MONTY *** II ***
PIROS - SALLE DE SOIN
Elles pénétrèrent dans une pièce qui était un véritable capharnaüm. Lorsque Brizbi fit son entrée, Binny, Fyguie, Milo et Dogast étaient prêts à lui sauter dessus. Kybop se plaça rapidement devant elle pour lui éviter le pire.
— Non, c'est bon. Elle est avec nous.
Brizbi sembla la remercier d'un bref coup d'œil. Alors que tout le monde baissait sa garde, Milo resta sur ses positions, furieux.
— C'est une putain de blague ? cracha-t-il dans sa direction.
Il était hors de lui, et leur passif sur Terre II refit surface. Son cœur palpitait, l'adrénaline faisait apparaître une veine sur son front, et son humeur était aussi instable que le tumulte que traversait leur équipe.
— Elle est avec nous, j'ai dit, répéta Kybop d'un ton menaçant.
La tension dans la pièce était saisissante ; tout le monde était suspendu à la gâchette sur laquelle le doigt de Milo tremblait d'incertitude. Seule sa respiration profonde rythmait l'attente d’une issue favorable dans ce chaos. Il finit par s’adoucir, sans pour autant la lâcher du regard. Lorsque la tension commença à redescendre, Kybop se tourna vers Binny dans l’espoir d’avoir quelques explications.
— Les Golts sont entrés dans le Piros pendant le chargement et nous ont attaqués, expliqua l’adhara.
Cela leur ressemblait bien, frapper dans l’ombre, là où on ne les attendait pas. Sylice, qui changeait ses gants médicaux ensanglantés, s'avança dans leur direction, prête à leur faire un rapport.
— Slikof ira bien. La lame est passée à quelques centimètres de son estomac, mais ne l'a pas perforé, dit-elle avant de se tourner en direction de l'Officier Kal, le visage toujours impassible. En revanche, je ne peux rien faire pour Birland. Elle est morte. Désolée.
Il se décomposa sur place, bras ballants, accusant le coup. Elle venait d'annoncer ça de but en blanc. Sylice était une scientifique brillante, mais pas la plus encline à parler avec tact. Kybop réalisa que la situation était catastrophique. Lofy Birland et les parents d’Houda étaient morts, Binny et Slikof étaient dans un sale état… Houda était toujours en état de choc, tout comme Milo, qui ne se remettait pas de la nouvelle. Pour ne rien arranger, personne ne savait où se trouvait Zorth, ni qui étaient les personnes qui les avaient attaqués dans la maison des Monty.
— Nous avons essuyé une attaque dans la maison des Guidants, ajouta Kybop pour éclairer les lanternes de tout le monde.
Elle baissa la voix en faisant allusion aux Monty, guettant la réaction d'Houda.
— Où sont-ils ? Et Zorth ? questionna Fyguie dans l’urgence.
— Zorth… Je ne sais pas. Mais les Guidants… répondit Kybop, laissant sa phrase en suspens pour épargner Houda.
Elle secoua simplement la tête, et son silence en dit long. Son frère, le visage désolé, ne s’interrogea plus sur sa réaction de tout à l’heure. Il comprit que son amie ne pouvait, pour l’instant, se réjouir des retrouvailles ; elle était submergée par le chagrin et le choc de la perte soudaine de ceux qui lui étaient chers.
— Je vais essayer de le contacter via son visiocommunicateur, s'empressa d'informer Lilas, toujours préoccupée par la disparition de Zorth.
Dogast accompagna la princesse en direction de la salle principale pour libérer un peu la pièce et se mettre au calme. Lorsque le capitaine passa à côté de Kybop, elle l’attrapa par le bras pour lui glisser discrètement quelque chose à l'oreille.
— Kylburt ?
— Je ne sais pas... La dernière fois que je l'ai vu, il poursuivait les Golts, répondit-il l'air grave.
Kybop comprit que la situation était plus instable qu’elle ne l’imaginait. Zorth et Kylburt pourraient bien être morts eux aussi. Quelqu'un devait prendre les commandes, et vite... Slikof n'était pas en état de quoi que ce soit. Dogast n’avait rien d’un dirigeant, et il s'occupait du vaisseau, ce qui était déjà une grosse responsabilité. Dozik et Katany étaient bien trop jeunes. Leur mère était hors service, tout comme Binny. Milo était en partance pour Zoldello et, surtout, son état émotionnel était trop bancal. Fyguie et Sylice ne prendraient jamais ce genre de responsabilité. Il ne restait que la princesse et Kybop. Sans attendre, elle les suivit dans la salle principale, abandonnant une salle de soin en piteuse état, mais toujours entre de bonnes mains.
PIROS - SALLE PRINCIPALE
Kybop voulait savoir où se trouvait Zorth et s'il était en vie ; cela représentait une information primordiale pour la suite. Une fois en leur compagnie, Lilas lança l'appel. À leur plus grande surprise, Zorth décrocha dès la première sonnerie, mais il était impossible de le voir.
— Écoutez... Je... Suis... Partez... Kapu... Tant pis.
Ils ne comprirent pas tout ce qu'il disait. Sa voix était basse, comme s'il était caché quelque part. Soudain, un bruit sourd interrompit la conversation, puis plus rien. La communication fut rompue. Difficile de dire si cela était volontaire ou si quelqu’un en était la cause.
Kybop avait un avis très clair sur la suite, mais elle préféra demander aux autres ce qu'ils pensaient de la situation.
— On fait quoi, d'après vous ?
— On doit les retrouver, Zorth et Kylburt... On ne peut pas les laisser ici ! s'empressa de répondre Lilas, devinant certainement les intentions que Kybop et les autres cachaient derrière leur silence.
— Nous avons abandonné Houda sur Zoldello, sur ordre de Zorth, je vous rappelle, princesse. Je pense sincèrement qu'il n'aimerait pas qu'on parte à sa recherche, affirma le capitaine avec le plus grand sérieux. C'est la mission la priorité.
Kybop était contente que Dogast ait abordé le sujet. Il avait raison, et d'après ce que venait d'essayer de leur dire Zorth, il n'avait pas l'air d'avoir envie qu'ils demeurent dans le coin. Mais la princesse avait vraiment du mal à s'y résoudre.
— Dogast a raison, Lilas... On ne peut pas rester... C'est trop risqué, confirma Kybop en prenant ses mains dans les siennes.
Ses yeux se remplirent de larmes de colère.
— Très bien... rétorqua-t-elle sèchement.
Sans attendre une seconde de plus, Dogast rejoignit son cockpit pour remettre en route le Piros. Une fois seule, toute l'attention de Kybop se porta sur Lilas. Elle n'aimait pas la voir ainsi, perdue et fragile.
— Je suis désolée, Lilas... murmura-t-elle pour la réconforter.
Elle renifla bruyamment, essuyant furtivement une larme. Se redressant, elle tenta de retrouver un peu de courage et de prestance.
— Ne le sois pas, répondit-elle. Je sais que vous avez raison. C'est ce que Zorth voudrait. Je ne le connais que trop bien.
Elle détourna le regard, agacée par son impuissance face à tous ces événements.
— C'est juste que... Zorth... Kylburt... Je ne peux pas m'empêcher de penser à eux. Ils sont tout ce qui me reste avec Saranthia, tu sais ?
Sa voix faiblit à mesure qu'elle tenta de la convaincre, comme si chaque mot la rapprochait un peu plus de l'effondrement. Kybop décida de ne pas la laisser finir, pressentant la douleur qui l'envahissait. Elle savait qu'ils représentaient sa seule famille et qu'elle redoutait de les perdre, tout comme elle avait perdu son père. Instinctivement, ses bras l'entourèrent dans une étreinte chaleureuse et protectrice, cherchant à lui transmettre un peu de sa force.
— Je suis là pour toi, murmura Kybop doucement. Quoi qu'il arrive, nous ferons face à tout cela ensemble. On doit continuer. Toi et moi. Ensemble, dans la même direction, d'accord ?
Elle l'attrapa fermement, la serrant contre elle, toujours en proie au chagrin.
— D'accord... souffla-t-elle, sa voix entrecoupée de sanglots. Mais j'ai tellement peur de ce qui pourrait arriver.
Kybop la maintint contre elle, déterminée à l'apaiser avec des paroles rassurantes.
— Je sais. Nous trouverons Zorth et Kylburt, et nous allons les ramener. Mais pour le moment, nous devons partir. Le temps presse, nous ne pouvons pas rester ici.
PIROS - SALLE DE SOIN
Milo resta figé, le regard perdu dans les multiples flaques de sang qui jonchaient le sol, incapable de réaliser l'ampleur de ce qui venait de se passer. Lofy Birland, celle qui avait été bien plus qu'une supérieure, celle qui avait occupé une place essentielle dans sa vie, n'était plus. L’absence de sa mère le hanterait à jamais, mais aujourd'hui, la perte de Birland semblait avoir creusé un gouffre encore plus profond dans son cœur. C'était comme s'il la perdait une seconde fois. Ce n'était pas seulement son cœur d'adulte qui pleurait, mais aussi celui de l'enfant, celui qui attendait encore un sourire ou un mot d'encouragement.
Il s'approcha du lit où reposait sa dépouille, chaque pas qui l'en rapprochait créant une faille de plus dans sa poitrine. S'asseyant près d'elle, il prit délicatement sa main inerte dans la sienne, une sensation troublante qui le fit frissonner. Cette femme de glace, forte et résiliente, avait été son exemple, son inspiration, sa meilleure amie. Elle avait été tout ce qu'il n'avait jamais eu. Il se sentait complètement perdu, comme amputé d'un membre, son âme affaiblie par un chagrin écrasant.
Resserrant ses doigts autour de sa main encore tiède, il murmura d'une voix brisée :
— Je suis désolé. J'aurais dû pouvoir vous protéger...
Les souvenirs affluèrent comme la marée montante des rives de Durian. Les rires partagés lors des moments de calme du commissariat ou des filatures interminables, les conseils donnés dans l'ombre de la salle d'interrogatoire, les blessures qu'ils avaient subies lors de multiples interventions, des cicatrices physiques et émotionnelles témoignant de leur dévouement et de leur détermination.
Il ferma les yeux, laissant les souvenirs le submerger. Même si c'était douloureux, il chérissait ces moments par-dessus tout, des éclats de vie qu'il ne voulait surtout pas oublier. Il les imprima dans son esprit comme une liste immuable de petites choses réconfortantes pour les jours sombres à venir. Deux larmes, chaudes et salées, coulèrent de part et d'autre de son visage, témoins silencieux de sa tristesse, tandis qu'une pression écrasante s'installa dans sa poitrine, comme un poids qu'il devrait porter indéfiniment.
— Je vous promets de mettre à profit tout ce que vous m'avez appris pendant toutes ces années. Vous avez été la meilleure professeure, et je vous en serai éternellement reconnaissant. Votre sagesse, votre courage et votre détermination ont forgé l'homme que je suis devenu. Je protégerai la Reine de Zoldello, c'est ma promesse, mon engagement envers vous et votre mémoire. Et je jure que, lorsque tout sera fini, je ferai graver votre nom quelque part dans cet univers pourri que nous essayons tant bien que mal de rendre vivable ! L'Histoire doit savoir que vous étiez là, que vous avez marqué nos vies. Votre héritage vivra à travers nous, dans chaque acte de bravoure et de loyauté, et je ferai tout pour le préserver.
Sur ces mots, l’Officier Kal se leva, plus convaincu que jamais. Une dernière caresse de sa main dans celle de Birland, comme une tentative désespérée de la garder près de lui. Il adressa des adieux rapides au reste de l'équipage, mais son cœur resta ancré ici, dans cette salle de soin, avec la femme qui avait tant compté pour lui.
La route s'ouvrait devant lui, mais sans Birlan, il savait qu’il devrait porter cette lourde absence sur ses épaules, un poids qu'il était désormais déterminé à transformer en force.
Direction Zoldello.
MAISON DES MONTY - CUISINE
— Vous en avez mis du temps ! hurla Fiora.
— Désolé, mais on avait fort à faire par ici, répondit Tiger en riant, comme si tout n'était qu'un jeu.
Il fit un geste nonchalant du menton vers les corps sans vie des Guidants d'Hasture, abandonnés sur le sol.
— Était-ce bien nécessaire ? souffla Fiora, lasse de leur manque de professionnalisme. On devrait la jouer discret… Ce n'est pas en tuant un couple de politiciens aussi influents qu'on va se faire des amis, reprocha Fiora, les yeux rivés sur les cadavres. Vous ne faites que diriger les projecteurs directement sur nous !
— Depuis quand on cherche à se faire des amis, Fiora ? reprit Lozy en croisant les bras, un sourcil arqué dans un air de défi.
Les deux femmes s'assassinèrent du regard, la tension était palpable entre elles.
— Si on veut mener la mission à bien, il serait judicieux d’avancer dans l’ombre. Maintenant, la nouvelle va faire le tour de l'espace… D'autres personnes risquent d'être à nos trousses, dit Fiora d'un ton déterminé.
Tiger sourit, ses yeux pétillants de malice, avant de taquiner Fiora sur un passé visiblement tumultueux.
— Fiora… Tu te ramollis. Je t'ai connue plus aventureuse.
Elle ne répondit pas, l'irritation bouillonnant sous sa surface.
— Drike est mal en point. Nous devons lever l’ancre, ordonna-t-elle d’une voix ferme, faisant volte-face. Nous avons placé un mouchard avant de sortir de leur vaisseau. On pourra les suivre à la trace.
— Et le Gudjanien ? sondait Lozy, la curiosité l'emportant sur la prudence.
— Tant pis. On ne va pas perdre de temps avec lui.
— Et l'armoire à glace qui était à vos trousses ? insista Lozy.
— On lui a réglé son compte, annonça-t-elle froidement.
PIROS - SALLE DE SOIN
Tamy se réveilla, un sourire de soulagement se dessinant sur son visage en découvrant Dozik, Katany et Binny à ses côtés, prêts à la rassurer. Alors que le vaisseau décolla en douceur, Binny, le bras en écharpe, se leva et s’installa au chevet de Slikof. Ses cheveux bleus, ébouriffés et indisciplinés, contrastaient avec l'image soignée qu'il affichait habituellement, ce qui la fit sourire, une lueur de tendresse dans ses yeux fatigués.
Avec une délicatesse infinie, Binny s’approcha de lui et remit tendrement sa coiffure en place, glissant ses doigts délicats dans sa chevelure éparse. À cet instant, Slikof ouvrit difficilement les yeux, et un sourire, fragile mais radieux, apparut sur ses lèvres.
— Binny… souffla-t-il, la voix abîmée.
— Salut, p'tite souris… répondit-elle pleine de candeur.
Il la fixa avec des yeux brillants, comme s'il était envoûté par sa présence. Inconsciemment, Binny laissa sa main glisser sur sa joue, le caressant doucement avec son pouce. Elle le trouva si beau, avec son visage angélique et sa mâchoire bien dessinée, ses traits féminins et juvéniles empreints d'une douceur irrésistible.
— Est-ce que vous allez bien ?
Binny lui sourit, son cœur débordant de compassion, tout en continuant de caresser sa joue.
— Reposez-vous, Slikof. Je vais bien. On parlera de ce qu'il s'est passé quand vous irez mieux.
Slikof, apaisé par la tendresse qui émanait de Binny, laissa échapper un soupir. Sur ces mots, il s’abandonna à un sommeil profond, un léger sourire toujours sur les lèvres, comme si sa douce présence avait le pouvoir de chasser les ombres d’une bataille qu'il avait failli perdre.
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