PERTE *** III ***
PIROS – COULOIR SUD
Tiger et Lozy continuaient d’arpenter le vaisseau, à l'affût de nouvelles âmes à tourmenter. Ils n’avaient aucune idée de l’endroit où pouvait se trouver Fiora, mais cela ne semblait pas vraiment les inquiéter. Après tout, ils ne l’avaient suivie que pour percer le mystère de cette mission. Pourquoi déployait-elle autant d’efforts pour traquer cet équipage ?
Le duo assassin ne cherchait pas tant à comprendre ses motivations qu'à en tirer profit, d’une manière ou d’une autre. Que ce soit de l’argent ou des objets précieux, seule la récompense comptait à leurs yeux.
— Qu’est-ce qu’on fait ? On se retire ? Je n’ai pas l’impression qu’il y ait grand-chose de précieux dans ce tas de ferraille. On s’est embarqués dans une voie sans issue, et on a failli y laisser notre peau, s’agaça Lozy.
— Doucement, ma belle. Y a une brochette de têtes couronnées là-dedans. On doit bien pouvoir trouver deux ou trois trucs intéressants.
— Tiger… Mon bras me fait un mal de chien. Et je ne te parle même pas de ma jambe. J’suis amochée. Retournons à nos p’tites affaires. Fiora n’a rien d’intéressant à nous proposer. Tu sais très bien que son seul but, c’est la gloire et la reconnaissance. Et ça, ça n’a jamais rempli mon assiette. J’en ai assez de ses conneries, souffla-t-elle.
Tiger était tiraillé. Il ne savait pas comment la convaincre, mais il sentait que cette histoire allait bien plus loin qu’une simple guerre d’ego. Il n’avait jamais vu Fiora se mettre en danger de la sorte. D’ordinaire, elle envoyait ses petites frappes à l’abattoir à sa place. Ici, elle s’était mouillée, bien plus que de raison. Il y a forcément quelque chose, pensa-t-il.
— Tu as raison, on n’aurait peut-être pas dû s’impliquer autant. Mais c’est fait. On peut toujours se barrer d’ici et rester à une distance raisonnable. On connaît leur destination. Ça ne nous coûte rien de plus de les rejoindre sur Kapu. On avisera sur place.
Lozy esquissa une moue boudeuse. L’idée de continuer à les suivre ne l’enchantait guère.
— Sinon, on peut rentrer et reprendre nos contrats. J’en ai ras le bol de ces péquenots.
— Allez, une dernière virée sur une planète inconnue, ma belle, et après ça, on repart. Ok ?
Tiger se plaça face à elle, l’arrêtant net, et plongea son regard dans le sien. Lozy s’apprêtait à répliquer lorsque, soudain, quelqu’un ouvrit le feu. Une balle venait d’atteindre Tiger à l’arrière du crâne.
Il explosa sous l’impact, projetant des éclats d’os, du sang et des morceaux de cervelle sur le visage de Lozy. Un trou béant traversait sa tête, offrant une vue dégagée sur les deux hommes qui venaient de mettre un terme à leur collaboration machiavélique. Puis son corps s’effondra d’un bloc sur le côté.
Dans une fureur incontrôlable, Lozy dégaina son arme et pressa la détente sans relâche. Ses hurlements de rage résonnaient à travers le couloir, couvrant le vacarme de ses tirs. Milo et Slikof se mirent aussitôt à couvert, attendant une accalmie pour refaire surface et achever leur travail. Mais elle ne leur en laissa pas l’occasion.
Quand ils se redressèrent enfin, Lozy avait disparu.
— Elle a mis les voiles ? s’interrogea l’officier.
Sans plus attendre, Slikof ouvrit une communication avec le capitaine.
— Est-ce que vous la voyez quelque part, Dogast ?
— Positif. Elle se fait la malle. Elle vient d’atteindre les soutes, elle ressort par le pont.
L’espion de Zoldello fronça les sourcils. Savoir qu’elle venait d’évacuer ne le satisfaisait pas. Il aurait préféré mettre un terme à sa vie plutôt que de la savoir en fuite, quelque part, tapie dans l’ombre. Pourtant, sa désertion restait un soulagement.
Il ne restait plus que Fiora.
PIROS – SALLE PRINCIPALE
Les jumeaux poursuivaient leur progression pour rejoindre Zorth et le reste de l’équipage lorsqu’ils traversèrent la salle centrale du bâtiment. Elle était méconnaissable.
Brizbi, qui peinait toujours à avancer, profita de la stupéfaction des Flokart pour observer les dégâts. Son regard s’arrêta alors sur une silhouette familière, étendue au sol.
— Kylburt…
Kybop, qui la soutenait toujours, entendit son murmure et tourna la tête pour vérifier ses dires.
— Merde…
Fyguie s’approcha du corps inanimé et confirma la funeste nouvelle d’un simple signe de tête. Avec douceur, il referma les yeux encore grands ouverts du colosse et posa une main sur sa poitrine.
Sa sœur serrait les dents pour ne pas pleurer. Elle appréciait beaucoup ce géant au cœur tendre, presque moelleux. Mais ce qui l’inquiéta encore plus, c’était que si ce monstre de guerre était tombé… alors n’importe qui pouvait l’être.
— Dépêchons-nous. Il faut qu’on rejoigne les autres… pressa-t-elle.
Ils quittèrent la salle dans un silence religieux, laissant derrière eux l’étrange impression d’avoir perdu une part d’eux-mêmes.
PIROS – COULOIR INFERIEUR EST
Tamy et ses deux enfants étaient bien décidés à mettre la main sur Fiora. Ils progressaient en meute le long des murs du vaisseau, prêts à faire parler leurs armes. La mère de famille serrait fermement le manche de sa hache dans sa main gauche. Sa double lame, qui luisait d’un rouge colère, reposait sur son épaule dans une posture presque décontractée.
Une partie des couloirs était plongée dans l’obscurité à cause des dégâts subis par le Piros lors de la bataille. Ils avançaient presque à l’aveugle, jusqu’à ce qu’une lueur les stoppe net.
Deux yeux dorés scintillaient dans l’ombre, accompagnés çà et là d’une lumière verte vacillante. Elle émanait de certaines parties du corps de Fiora, semblant dégouliner par endroits comme une énergie trouble et instable.
Tamy mit sa hache en travers du passage, faisant barrage à Binny et Dozik. Elle ignorait si Fiora les avait repérés. La respiration des Ristoc se fit imperceptible, suspendue dans l’espoir de rester furtifs.
Dozik, moins à l’aise que sa sœur et sa mère, empoigna son canon. Il était persuadé que le combat allait s’engager sous peu et préférait assurer leurs arrières. Il savait que peu de personnes osaient s’aventurer dans un affrontement rapproché avec une guerrière Adhara. Fiora risquait de faire feu à tout moment. Il devait être prêt à riposter. Et son intuition était la bonne.
Une déflagration fit sauter une caisse qui se trouvait à leur côté, éparpillant des vivres sur une partie du sol et du plafond. Binny ne céda pas à la tentation de foncer dans le tas, ce qui ne fut pas le cas de sa mère. Tête baissée, hache en avant, elle comptait bien atteindre sa cible. Dozik entreprit alors de lancer des tirs de couverture, dans l’espoir de ne pas laisser sa mère à la merci des balles.
— Qu’est-ce qu’elle fout, putain ! hurla son frère.
Binny observa Dozik et serra les dents. Leur mère avait perdu sa tempérance, celle qu’ils avaient toujours connue. L’aînée de la famille ne pouvait pas rester là sans rien faire ; elle devait suivre le mouvement, ne serait-ce que pour protéger sa mère de sa folie destructrice.
À la fin de sa course, Tamy enchaînait les esquives, faisant ricocher les tirs sur ses lames. Les pauses que Fiora marquait pour éviter d’essuyer les salves du benjamin de la famille Ristoc permettaient également à leur mère de progresser plus rapidement. Sur le dernier mètre, le canon de Golt était prêt à faire feu sur le visage de son assaillante, mais un coup porté du bout de sa hache la désarma. Elle roula sur le côté pour éviter un deuxième coup, porté non loin de sa gorge, puis dégaina à son tour un long poignard. Le combat était engagé, dans l’obscurité la plus totale. Leurs lames scintillantes se lançaient alors dans une chorégraphie macabre, accompagnée du chant strident des crissements métalliques qui se croisaient.
Dozik profita de l’action pour s’approcher de ce qui ressemblait à un entrelacs de constellations. Les silhouettes étaient pratiquement invisibles à ses yeux. Tout ce qu’il distinguait, ce n’étaient que des lueurs troubles en mouvement. Du jaune, du vert, du rouge. Jamais il ne pourrait prendre le risque de tirer.
Face aux deux guerrières, Fiora se savait perdue. L’issue du combat ne pouvait de toute façon pas lui être favorable. Mais il lui restait une dernière corde à son arc. Celle qu’elle avait serrée dans sa paume avant d'entrer dans le Piros. C’était risqué, mais pas sans espoir. Si cette grenade à plasma comprimée remplissait son rôle, il ne resterait plus rien. Plus de vaisseau, plus de princesses, plus d’équipage, ni de mission… Et elle-même ne survivrait probablement pas. Golt devait faire sauter l’engin tout en réussissant à s’extirper de l’endroit avant que l'explosion ne déchire tout.
Au même moment, un frémissement secoua le bâtiment. Les machines se mirent en marche, les moteurs du vaisseau s'activant sous l'ordre du capitaine. Pourquoi ? se demanda Fiora, déstabilisée. Le vrombissement du décollage secoua les trois femmes, chacune s'accrochant fébrilement à ce qu’elle pouvait. Dogast avait enclenché la pleine puissance. Ce geste, bien que surprenant, jouait en sa faveur. Les capsules de secours étaient situées dans la même aile. Une aubaine pour elle, qui pourrait à la fois fuir et mettre son plan d’extermination en marche.
Certains systèmes se rétablissaient peu à peu. Une série de bips et de sonneries stridentes signalait la remise en marche des verrouillages et des éclairages. Dans le couloir, l’atmosphère changea aussi soudainement que la visibilité. Les lumières frappèrent leurs yeux, encore habitués à l’obscurité ; certaines clignotaient faiblement, d’autres étaient brisées. Mais maintenant, Fiora pouvait anticiper les attaques, les voir se profiler dans la lumière, et tenter de les parer du mieux qu'elle pouvait. Binny encaissa un coup direct au plexus, la faisant s’effondrer au sol, le souffle coupé.
Une fois les capsules repérées, Fiora entama un retrait discret, tandis que Tamy, anxieuse pour sa fille, l’aida à se relever. Ce moment fugace d’affection entre mère et fille lui offrit la force de tourner les talons et de courir vers son nouvel objectif. La capsule, suffisamment grande pour accueillir quatre ou cinq personnes, s'ouvrit sous les yeux des membres de la famille Ristocs. Dozik rejoignit sa mère pour aider sa sœur à se relever.
Un nouveau bruit électronique résonna dans le couloir, suivi d’un bip régulier, implacable. Les têtes roses se tournèrent vivement vers leur ennemie. Celle-ci tenait dans sa paume une petite sphère métallique. Le sourcil arqué et le sourire carnassier qui tordait ses lèvres ne laissaient aucun doute : elle comptait fuir sans leur accorder la moindre chance de survie.
— Bon voyage...
La diablesse aux yeux dorés s'abaissa lentement, laissant la bombe à retardement qu’elle venait d’enclencher rouler en direction des Adhara. Tamy, les yeux écarquillés de terreur à l'idée de perdre ses enfants et tout l'équipage, ne parvint pas à rester immobile. Un cri muet se brisa dans sa gorge, et, dans un élan de panique, elle se lança dans une course effrénée contre la montre.
La guerrière se redressa sous les regards terrifiés de Binny et de son frère, se précipitant vers la boule métallique. L’ainée de la famille, se leva et tenta désespérément d’empêcher sa mère de commettre l’irréparable, mais c’était trop tard. L’engin de l’enfer était déjà dans le creux de sa main, et Tamy continuait sa course vers la capsule toujours ouverte. Dans un dernier geste désespéré, elle bondit sur Fiora. Dozik, les larmes déjà sur les joues, suivit le mouvement, son cœur battant à tout rompre.
La porte vitrée se referma dans un claquement sec, projetant la cabine dans l’orbite basse d’Ebredes. Binny et son frère, côte à côte, regardaient l’espace vide de la capsule, qui venait de s’évanouir dans le vide. Tamy posa une main sur la paroi vitrée, son regard posé sur ses deux enfants. Binny, la bouche grande ouverte, hurlait "Maman !" à pleins poumons. Elle ne l’entendait pas, mais elle savait. Un sourire infime, empreint de tendresse, grandit sur ses lèvres, tandis qu’une goutte salée glissa silencieusement sur sa joue.
Tamy n’avait aucune raison d’être triste. Ses enfants lui survivraient. Elle savait, au plus profond d’elle-même, que Katany n’était pas la tête rose oubliée sur les écrits. C’était elle. Alors que la capsule se disloquait dans une onde de choc dévastatrice, l'explosion secoua l’atmosphère.
Sous les yeux horrifiés de Binny et Dozik, le temps sembla se figer un instant. Le frère s'effondra genoux à terre, son souffle coupé, son regard rivé sur les débris éclatants de l'objet qui avait, quelques secondes plus tôt, contenu sa mère. Il était figé dans un silence profond, comme si le monde autour de lui venait d’être réduit à néant. Sa sœur, toujours debout, continuait d'appeler sa mère, mais un murmure de supplication avait remplacé ses cris. Sa force l’avait abandonnée. Une partie d’elle venait de disparaitre sous ses yeux impuissants.
Vidée de toute essence, Binny se laissa tomber aux côtés de Dozik pour l’étreindre de tout son corps. Une quête de réconfort impossible, mais essentielle, pour ne pas sombrer davantage.
EEBREDES – COTE LUMIERE – KERESKEDO
Lozy affichait une mine défaite. Ses écorchures et autres blessures, encore bien visibles sur son corps, attiraient de nombreux regards indiscrets, mais elle n’en avait que faire. La mort de son duo infernal la contrariait bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Assise dans un bar, une vodka Duriannaise à la main, elle enchaînait les shots. La colère bouillonnait dans ses tripes, tandis que l’image du visage déchiqueté de son ami revenait en elle par vagues, comme des flashs désagréables.
Elle avait quitté le Piros à la hâte, consciente qu’elle n’aurait que peu de chances de s’en sortir. Son dernier échange avec Tiger avait été un désaccord léger. Une envie différente les animait : elle voulait partir, lui voulait rester. Mais finalement, c’était bien lui qui avait quitté le navire, de la manière la plus définitive qui soit.
La mission initiale, celle de connaître les intentions cachées de Fiora, n’était plus qu’un lointain souvenir. Pour Lozy, une autre idée s’était immiscée dans son esprit pervers : celle de faire payer. Peu importe comment, elle retrouverait leur planète maudite et ferait sauter leurs crânes un par un.
La simple image de cette scène morbide lui provoqua un fou rire incontrôlable, qu’elle interrompit d’un dernier shot avant de mettre les voiles.
EBREDES – CÔTE SOMBRE – FORÊT
Fiora s’éveilla dans un voile de douleur, le sol froid et humide de la forêt contre sa peau. Elle se tourna péniblement, cherchant à se retrouver sur le dos pour tenter de reprendre son souffle. La capsule de survie, désormais détruite, n’était plus qu’un amas de débris fumants qui se dissipaient dans le ciel d’Ebredes.
Sa vision floue se fixa sur ses mains ensanglantées, tremblantes. La douleur envahissait chaque fibre de son corps, mais la véritable réalité la frappait plus durement : elle avait survécu à l’explosion. La même aura verte, cette étrange énergie qu’elle avait invoquée dans la salle des Anciens, s’évaporait lentement autour d’elle. C’était elle qui l’avait protégée, la seule chose entre la vie et la mort.
Fiora ferma les yeux un instant, sentant encore la force de cette aura pulsée dans ses veines. Puis, rassemblant son énergie, elle s’efforça de se redresser. Une seule pensée obsédait son esprit désormais : rejoindre Drike sur Kapu.
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