Scène XII

8 minutes de lecture

La main sur sa joue, si douce, si chaude, la voix pleine de tendresse. Avait-il vraiment compris ? Bien sûr qu’il avait compris.

Mais ce qu’il avait compris lui faisait peur.

Lui l’homme implacable.

« Était-ce déjà là à Montreuil ?, demanda Javert.

- Oui, » souffla Valjean.

Et le maire se pencha pour embrasser son chef de la police. Tenant fermement son visage entre ses mains, pour empêcher Javert de bouger et pour approfondir le baiser. Une langue quémandait l’entrée de la bouche du policier.

Valjean nota le tremblement du corps, si long, contre lui. Il se recula, terriblement désappointé. Il rêvait de Javert et de ses baisers depuis des mois. Mais le Javert du XIXe siècle était tellement pris dans les convenances sociales…

Il n’était pas pédéraste.

Il se recula mais Javert le retint. Le policier posa son front contre celui du forçat.

« Je ne sais pas…

- Il n’y a rien à savoir. Je suis désolé. Je vais partir et vous laisser Javert. »

Un rire désespéré accueillit ses paroles.

« Je ne sais pas et vous allez me laisser ainsi. Je ne vous savais pas cruel.

- Le veux-tu ? »

Un souffle.

Se noyer dans la Seine devait être ainsi. Perdre son souffle, perdre ses repères, fermer les yeux et disparaître.

« Javert ?, demanda Valjean, avec une inquiétude toujours présente.

- Je ne sais plus que penser. Peut-être devriez-vous partir en effet… Je... »

Valjean lui coupa la parole, encore, avec ses lèvres, avec sa bouche, avec son amour. Et enfin, Javert s’abandonna.

Ses mains se posèrent sur les épaules massives du forçat qui fredonna de contentement. Pour le retenir, pour le rapprocher.

Javert ouvrit la bouche à la langue possessive de Valjean et le baiser devint brûlant. Valjean en oublia la prudence et prit Javert dans une étreinte étroite qui fit crier de douleur le policier.

Un moment de panique. Valjean relâcha aussitôt Javert, le visage rouge de confusion.

« Pardon, pardon. Je suis désolé. Je ne voulais pas te faire de mal. Tu vas bien ?

- Paix ! Je vais bien. »

Cela eut le mérite de faire rire le policier et de détendre l’atmosphère. Valjean entraîna de force le blessé jusqu’à son lit et le fit s’asseoir. Puis M. Madeleine prit les devants et donna ses directives.

« Maintenant, je fais du feu pour réchauffer cette banquise qu’est ton appartement. Je te prépare une tasse de tisane. Ensuite, tu te couches et tu te reposes.

- A vos ordres, monsieur le maire, sourit l’inspecteur de police.

- Bien Javert. Je suis satisfait de vous. »

Javert secoua la tête et entreprit la tâche ardue de retirer ses bottes. Il n’était pas contre le fait de se coucher. Il était épuisé, moralement et physiquement.

Et son esprit avait beaucoup de faits à classer, étudier...analyser...accepter…

Le feu, la tisane, la présence douce de Valjean à ses côtés. Assis sur le lit. Valjean s’était préparé une tasse également et il la buvait en faisant une petite grimace. Le mélange de plantes même sucré au miel n’était pas très bon.

« Comment as-tu pu boire cela toutes ces semaines ?

- Comme si tu m’avais laissé le choix.

- C’est juste, » admit le forçat en riant.

Javert était fatigué. Il avait retiré ses bottes mais il n’avait même pas essayé de retirer le reste de ses vêtements. Trop faible pour agir. Mais il ne pouvait plus rester à l’hôpital, la convalescence se faisait à domicile...ou au travail en fonction des moyens.

Il était évident que le policier n’avait pas l’argent nécessaire lui permettant de perdre des jours de travail. Mais Valjean regardait le tremblement nerveux des mains de l’inspecteur, la pâleur malsaine de son visage et les cernes encore sombres sous ses yeux.

Il décida de prendre le taureau par les cornes.

« Quand dois-tu reprendre ton poste ?

- Demain, répondit simplement Javert, comme prévu.

- Non, » fit catégoriquement Valjean.

Le forçat prit tranquillement une nouvelle gorgée de la tisane, grimaçant horriblement.

« Comment cela non ?, opposa Javert, la voix teintée de colère.

- Tu ne retournes pas au travail dans cet état.

- Et de quel droit tu me l’interdis ? Sauf votre respect, vous n’êtes plus mon supérieur hiérarchique, M. Madeleine et de toute façon, je dois absolument travailler. Cette petite affaire m’a coûté mes économies. Sans compter tout ce que je te dois pour le loyer !

- Il n’y aucune dette, Javert ! Tu ne me dois rien.

- Je ne fais pas de dette normalement, sourit amèrement le policier.

- Et il n'y a aucune dette !

- Je ne sais pas encore combien je te dois exactement Valjean mais je le saurais bien assez vite par ma logeuse. Et je te rembourserais le tout le plus vite possible.

- IL N'Y A AUCUNE DETTE !

- JE NE SUIS PAS UN CAS DE CHARITÉ ! »

Deux voix pleines de colère, un maire s'opposant à son chef de la police... On revenait des années en arrière.

Valjean et Javert se regardaient, le souffle court.

Juste un regard avant...

Le bruit des tasses se brisant sur le sol ne les fit même pas réagir.

Valjean avait saisi Javert par les revers de sa veste pour l'embrasser, heureux de sentir les mains du policier tenir sa nuque. En colère oui mais aussi affamés de contact. Échauffés par un baiser.

Javert accepta d'ouvrir encore une fois la bouche à la langue autoritaire de Valjean et un long baiser profond leur fit perdre l'esprit.

Valjean força Javert à s'étendre sur le lit, doucement, lentement mais fermement, la bouche ne quittant pas celle du policier, attentif au moindre signe d'inconfort. Les deux hommes ne parlaient plus, ils avaient trop parlé déjà. Dansant l'un autour de l'autre toutes ces semaines...ces mois...peut-être même ces années ?

Javert ne savait plus.

Valjean commençait à peine à savoir.

Il avait fallu ce voyage étrange dans le temps et l'espace pour s'en rendre compte.

Une bouche dans une gorge, embrassant et suçant la peau au goût salé. Javert gémissait, la tête claquant en arrière.

« Si beau...si beau..., murmurait Valjean dans la courbe du cou. Déjà à Montreuil...

- Jean...

- Peut-être...plus loin encore... »

Un sujet dangereux. Valjean sentit le garde-chiourme se crisper entre ses bras. Javert n'avait jamais voulu coucher qui que ce soit, ni homme, ni femme. Il n'avait jamais désiré le faire. Se contentant de rester calme et méprisant devant les jeux des prostituées de bas étage...ou les séductions entre hommes au bagne...

Et là…

Les doigts malhabiles de Valjean ouvraient chaque bouton de sa veste, pressés de glisser sur la peau du policier. Avides de posséder.

Javert ne réagissait que par des gémissements qu'il tentait de réprimer. Valjean se rendait compte tout à coup qu'il avait été bien initié par le Javert du XXIe siècle. Ce qui était amusant en y repensant.

Jamais le Javert du XIXe siècle n'aurait su quoi faire avec un homme...ou ne l'aurait souhaité. Mais le Javert du XXIe siècle était un homme expérimenté et assumant pleinement sa sexualité.

Il fallait ralentir.

Valjean se recula et libéra Javert de son étreinte. Le policier était rouge de désir, le visage brillant de sueur, les cheveux défaits s'étalaient sur le lit. Une merveilleuse vague de vif-argent étincelant sur le blanc des draps.

Mais Javert avait fermé les yeux et cherchait son souffle.

Valjean caressa son visage, tendrement.

« Tu vas bien ? »

Cette question si naïve fit sourire le policier et le gris réapparut. Un ciel d'orage, illuminé d'éclairs.

« Non, je ne vais pas bien, » admit Javert.

Un sourire, perdu au-milieu de la douleur. Valjean caressa encore les favoris, les joues.

« Je t'aime, » souffla Valjean.

Un tel aveu venant de Jean-le-Cric surprit le garde-chiourme. Javert leva la main pour caresser précautionneusement la joue de Valjean, découvrant la douceur de la barbe du forçat, si soyeuse...

Valjean captura les doigts et les embrassa, avec affection.

« Je ne te comprendrai jamais, lança Javert.

- Moi non plus. »

Ils rirent avant de s'embrasser à nouveau, mais plus doucement, sans la violence d'il y a quelques minutes.

« Je vais te déshabiller et te coucher. Demain, tu resteras à ton domicile.

- Je..., commença Javert, la colère revenant dans sa voix.

- NON !, s'écria Valjean, un doigt sur les lèvres du policier. Tu vas rester et te reposer, je vais me charger de tes frais.

- Je ne veux pas de ta charité !

- Ce n'est pas de la charité. C'est de l'amour. »

Javert était estomaqué.

De l'amour ? Il n'avait jamais eu affaire à l'amour. Mais au fond de lui, il savait très bien pourquoi il était prêt à mourir pour Jean Valjean Maison Gorbeau. Il le savait très bien.

« Très bien, accepta Javert. Je n'ai pas le choix c'est cela ?

- C’est cela. »

Et ce fut enfin fait. Valjean aida Javert à retirer ses vêtements. Veste, chemise, pantalon, bas… On ne nota pas les yeux brillants de désir, cela aurait été imprudent.

Javert fut bientôt nu, étendu dans son lit, correctement bandé et soigné. Valjean ne savait plus trop quoi faire de lui-même.

Il devait rentrer, aller gérer sa maison, revoir Cosette, la rassurer quant à la santé du policier…

« Tu reviendras ?, demanda tout à coup Javert, une note d’incertitude dans la voix.

- Bien entendu, répondit aussitôt Valjean. Je t’aime. »

Un dernier baiser et ce fut le départ.

Deux pédérastes !

Les pratiques homosexuelles avaient été dépénalisées, certes, mais deux hommes pris à ce jeu-là étaient condamnés par la société.

Combien de temps avant que Javert soit ignominieusement chassé de la police voire de son logement ?

Et combien de temps avant que Fauchelevent perde le peu de crédit qu’il avait auprès des policiers ? Même avec le jeune Rivette ?

Non, ils n’étaient que deux amis. Tout simplement.

Cosette fut contente de voir son père, Toussaint fut contente de voir son maître et une lettre de la préfecture attendait tranquillement le retour de M. Fauchelevent.

Inquiétant.

On devait vouloir sa déposition concernant l’affaire Thénardier.

Inquiétant.

Il ne fallait pas la négliger trop longtemps.

Merde !

Valjean se promit de s’en charger dés le lendemain. Ce soir, il vivait pour sa fille, pour son identité de Fauchelevent. Un brave jardinier à la retraite.

Le lendemain, Valjean pénétra avec appréhension le bâtiment officiel de la préfecture. Ironiquement, il se souvenait d’être venu se promener là au XXIe siècle avec l’inspecteur Javert de la police de New-York…

Le quartier avait changé, mais pas tant que cela aux alentours de la Cité. Les ponts avaient changé, dont le fameux Pont-au-Change. Les pavés avaient disparu. Les trottoirs s’étaient élargis et l’hygiène était plus présente. Plus de déchets, plus de saleté. Valjean avait beaucoup lu sur l’histoire de Paris.

Les noms du préfet Haussmann et du préfet Poubelle n’étaient pas inconnus pour lui...ironiquement...

Valjean aurait fait fortune dans une carrière d’historien, songea le vieux forçat en souriant.

La préfecture de police, accompagnée par la Conciergerie de sinistre mémoire et les vitraux de la Sainte-Chapelle. Le laid et le beau dans le même bâtiment, le profane et le sacré en même temps… Oui, il l’avait visité durant son temps à Paris.

M. Mangin l’avait convoqué sur la demande de M. Chabouillet. On lui fit faire antichambre pendant une heure. La patience était une vertu de roi.

Lorsqu’enfin, on se souvint du vieux jardinier, M. Ultime Fauchelevent fut annoncé avec simplicité et introduit dans un somptueux bureau.

Le bureau de M. Claude Mangin était luxueux, plein de boiseries, mais fonctionnel. Un bureau impressionnant pour un homme puissant.

D’ailleurs, le préfet était assis, imposant, dans son fauteuil face à la porte et ne souriait pas en voyant entrer M. Fauchelevent. Un jardinier de couvent ! Ce n’était pas la peine d’en faire trop.

A ses côtés, debout et tout aussi impassible, se tenait M. André Joseph Chabouillet. On ne retrouvait pas le vieil homme angoissé de l'hôpital mais un policier au regard inquisiteur. Et enfin, posté contre un mur, les bras croisés nonchalamment devant lui et un sourire goguenard, Vidocq, le chef de la Sûreté.

Cela commençait plus à ressembler à un interrogatoire qu'à une simple visite de courtoisie.

Mais M. Madeleine allait faire face. Il avait connu pire. Ces trois hommes réunis ne vaudraient jamais le gris métallique des yeux de l'inspecteur Javert lorsqu'il avait interrogé pendant des heures son forçat de maire.

Annotations

Vous aimez lire Gabrielle du Plessis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0