Le projet de Kael

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Kael préférait ne pas parler à ses deux amis, cent pour cent humains, de ses idées concernant la vie. C’était déjà assez qu’ils sachent. S’ils se mettaient à le haïr, à le craindre, ou à être dégoûtés par lui… Ses parents l’avaient suffisamment mis en garde. Ceux de son espèce – de l’espèce de son père – n’avaient pas bonne presse.

Les humains nous détestent, lui avait souvent dit ce dernier. Et ils ont de bonnes raisons de le faire. Mais, si tu fais profil bas et restes fidèle à certains principes de base – ceux de la compassion et de l’ouverture, notamment, sans jamais te laisser aller à la haine et aux mauvais sentiments – alors tu pourras leur démontrer ta valeur et leur prouver qu’ils ont tort. Il te faudra une bonne dose de courage. Ainsi, tu rencontreras des humains qui te respecteront, qui te suivront et t’aimeront pour ce que tu es, au-delà de ton appartenance à l’espèce ultari. Comme moi, quand j’ai rencontré Myrddyn, ou ta mère. Ces deux rencontres valaient les centaines, les milliers de fois où les humains m’ont trahi, molesté ou fermé la porte au nez. Et ils valaient les milliers que j’ai épargnés au lieu de les écraser sous ma botte, alors qu’ils me crachaient au visage.

La morale, toujours la morale : ça, son père savait y faire. Mais pour Kael, il se trompait sur un point au moins : sa mère ne l’avait pas suivi parce qu’il était gentil et droit et plein de compassion pour les humains ou quelque autre connerie que son père pouvait dire maintenant qu’il était à la retraite d’une vie de tueries et de batailles épiques, à voguer dans l’espace en quête d’aventure. Elle l’avait suivi parce qu’elle l’avait trouvé beau, féral, énigmatique, puissant, mystérieux et dangereux : parce qu’il était un ældien dans toute sa splendeur, et qu’elle avait été victime de son luith, qu’elle avait été endwollée par lui. Mais son père préférait, à lui son fils, lui raconter ses contes pour hënnil innocents. Même les histoires pour enfants humains étaient moins naïves !

En pensant à quel point son père le prenait – depuis toujours – pour un bébé, Kael se gratta la pointe de l’oreille. Il avait cette manie, lorsqu’il était frustré : cela le calmait. Sa mère, mais aussi son oncle, ses sœurs et sa nounou Isolda avaient toujours caressé ses oreilles pour l’aider à s’endormir. La douce torpeur qui le prenait alors le calmait instantanément.

C’est vrai, pensa-t-il. Je dois être un bébé.

Il avait souvent entendu dire sa mère, en parlant de lui, qu’il avait été sevré trop tôt. Elle racontait cela à tout le monde : à ses voisines, les mères de Yamfa et Keita, son oncle Lathé, et surtout à son père, qui l’écoutait d’un air concerné, et venait ensuite, invariablement, l’observer en silence pendant de longues minutes, comme s’il allait discerner sur lui des traces d’une quelconque pathologie due au sevrage prématuré. Kael détestait quand son père faisait cela. Il ressemblait à ce personnage autiste dans ce film vieux-terrien qu’il regardait avec sa mère (passionnée de cinéma de cette époque), Rayman.

Peu après sa naissance, Kael avait passé presque un an séparé de ses parents. L’expérience l’avait marqué. Isolda, sa nounou, s’était occupée de lui, avec Śimrod, son grand-père. Mais il n’avait revu son père qu’un an après, et sa mère, encore plus tard. Enfin, alors qu’ils étaient enfin réunis tous les cinq, avec ses deux frères et sœurs Nínim et Cerin, elle était à nouveau tombée enceinte. Quatre nouvelles sœurs avaient suivies. En bref, sa mère avait eu très peu de temps à lui consacrer à lui exclusivement, d’autant plus que les nouveaux venus réclamaient beaucoup d’attention. Sa petite sœur Lalaith, notamment… La plus chétive de la portée. Ses parents s’étaient tout naturellement consacrés à elle.

Puis Cerin et Nínim étaient partis chercher leur voie, après un passage à la maison d’Eren, sa demi-sœur, et son consort Elshyn. Ils avaient emmené les deux jumeaux dans l’Autremer, chez les ældiens, afin qu’ils puissent accomplir leur destinée. En tant que jumeaux, ils étaient promis à un grand destin, une Voie sur laquelle ils étaient les seuls à pouvoir marcher. Et lui, Kael, trop humain peut être, ou trop déficient, ou trop bébé, il avait une fois de plus été laissé pour compte. Après avoir dit au revoir à leurs enfants et à Eren et Elshyn, ses parents étaient revenus dans la maison en parlant de Nínim et Cerin, et de la façon dont ils allaient trouver leur Voie, s’intégrer dans la société ældienne, se trouver éventuellement un premier partenaire. Personne n’avait prêté attention à lui, Kael. Il avait entendu son père se féliciter de ce que tous ses enfants, jusqu’ici, aient trouvé leur voie. Une fois à l’intérieur, son père et sa mère s’étaient occupés de ses petites sœurs, toujours heureuses de vivre, en demande d’attention constante, et surtout, ne se posant aucune question.

Maintenant, il était sur le point d’ouvrir la sienne. Sa voie à lui serait celle des nautes, ces explorateurs valeureux qui arpentent et font la galaxie. S’ils n’étaient pas présents pour relier les mondes disséminés à des milliards d’unités-astronomiques dans la galaxie, alors, l’Holos perdrait son unité. Leur rôle était tout aussi important, si ce n’est plus, que celui d’un guerrier ældien, la Voie à laquelle s’était vouée, sous des aspects différents, une grande partie de sa famille.

Mais pour avoir un équipage digne de ce nom, il allait falloir recruter. Force était de reconnaître en effet qu’aucun d’eux n’avait de réelle compétence.

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