Soleil noir : I

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Une bourrasque de sable tourbillonna devant Kael, teintant de rouge ses cheveux blancs. Il rabattit son piwafwi couleur de feuille moirée devant son nez : il l’avait passé autour de son cou et ses épaules comme une écharpe, avant de jeter un œil à Anguel qui marchait à ses côtés. Le vétéran, bolter en bandoulière et combinaison de combat keihilin pressurisée jusqu’au cou, portait un respirateur.

— Tu devrais en porter un toi aussi, lui suggéra-t-il.

— Je suis un semi-ældien, lui répliqua Kael. Une race réputée pour sa grande adaptabilité.

— Sauf que les pollutions issues du terraforming industriel humain ne vous font pas du bien, lui rappela Anguel. Si y en a un qui devrait porter un respirateur ici, c’est toi. Regarde tes collègues !

Kael resserra son piwafwi et se retourna. Aedhen – qui, en tant qu’ædhel-lige l’avait accompagné à terre – portait son armure complète, sous un piwafwi élimé couleur feuille comme lui. Son armure d’iridium battue par d’innombrables batailles et peinte de formules glyphiques couleur rouille à moitié effacées était magnifiquement adaptée à l’environnement rouge de Naxis. Un parfait camouflage. Mais le masque de guerre terrifiant qu’il portait pour s’éviter de respirer les vapeurs sulfuriques et la silice rouge de la colonie était, aux yeux de Kael, peu adapté pour aller au ravitaillement. Comme le vétéran, il portait son arme en travers du corps. Sauf qu’il s’agissait d’un canon anti-matière. Sur son dos, on pouvait voir une paire de lames entrecroisées, et même un arc replié.

— Au moins, il ressemble à ce qu’il est : ton garde du corps, lui avait dit Anguel. Les gens seront prévenus.

Aedhen comme Anguel avaient insisté pour descendre à terre avec lui, alors que Kael n’aurait voulu emmener que Cerin et Keita. Après avoir surpris un conseil de guerre improvisé entre Aedhen et Anguel dans un coin du vaisseau, Kael avait été convaincu par ses deux mercenaires de descendre armé et prêt à en découdre, alors que Keita, Yamfa, Ciann, Aodhann et Aradryan restaient à bord. Au dernier moment, sa sœur, que ni Anguel ni Aedhen n’avaient comptée, sauta du haut de la plateforme jusque dans le sas, revêtue de l’une des armures de sortie des sujets de Mebd, le piwafwi de soie lumineuse des disciples d’Edegil sur une épaule. Personne n’avait osé émettre la moindre objection à sa présence. Sa sœur avait une telle autorité naturelle que nul ne se risquait à contester sa volonté.

Les quatre expéditionnaires étaient descendus sur des astro-jets anti-gravité, apportées à l’équipage par les frères Uathna. Le problème, c’est qu’à cause de leur taille et de la vitesse phénoménale de réaction que ces engins nécessitaient, nul autre qu’un ældien bien entrainé à cet exercice ne pouvait les piloter. Kael s’attendait à devoir s’y frotter pour la première fois lui-même et attendait cette échéance avec un mélange d’excitation et de peur depuis la veille. Mais au moment où il s’apprêtait à monter dessus, Cerin l’avait devancé.

— Tu sais piloter ce truc ? avait murmuré son frère, ébahi.

Sa sœur lui avait jeté un regard oblique.

— Nínim et moi sommes pilotes de Simorghanan dans l’armée de réserve d’Edegil, lui asséna-t-elle froidement. Au niveau de la technologie, c’est d’une complexité tout autre !

Aedhen la considéra avec intérêt.

— Edegil compte toujours dans son host des Princes-Simorgh, alors. Cela me surprend. Je doute que ceux de Dorśa sachent cela.

— Les dorśari seront également surpris s’ils leur prenait la folle idée de rompre leur serment et de nous attaquer, répondit Cerin en enfourchant sa machine. Caël, tu montes avec moi ?

Sans bouger, Kael considéra sa sœur en silence. Les Princes-Simorgh…

— Qu’est-ce que c’est, que les Princes-Simorgh ? demanda-t-il en se tournant vers Aedhen.

Le tárani sourit. Dans ses yeux oranges luisait la connivence, alors qu’il devinait les sentiments du jeune perædhel avide de gloire.

— C’était le bataillon de princes-dragons le plus prestigieux de notre peuple, avant la Chute d’Ultar, lui apprit-il. C’étaient eux qui chevauchaient les plus gros wyrms, les plus farouches et les plus sauvages, mais aussi les meilleurs carcadann, avant le pacte avec les wyrm. Quand notre race a porté ses champs de bataille dans l’espace et que les wyrms se sont éteints les uns après les autres, les simorghanan fait du bois des wyrms morts ont remplacé les dragons. Il en existe de toutes tailles et de toutes sortes, comme les cír, mais toujours plus petits que ces derniers. Ce ne sont ni des habitations ni des moyens de transport, mais des armes de guerre, dans lesquels ne peut monter qu’un seul ædhel. Certains nécessitent l’intervention de jumeaux… D’où la Voie de ta sœur. Ils doivent être deux pour piloter le Simorgh Cáraid. Je me trompe ?

Cerin acquiesça en silence.

— La flotte est dirigée par le prince Shaimesh, ajouta Aedhen. Le père honoré de Niniamh Aethiryl… Comment se porte sa Seigneurie, d’ailleurs ?

Niniamh Aethiryl. Une fois de plus, ce nom parut familier au perædhel, et il le fit tourner dans sa tête. Niniamh Aethiryl. La fille du prince Shaimesh, commandant des Simorghanan.

— Sa Seigneurie se porte bien, répondit Cerin. Sa charge pèse un lourd tribut sur lui, mais il continue à la porter. Il espère sans doute que mon frère le remplace un jour.

— Shaimesh est le gardien de la Lance d’Anwë, précisa Aedhen à Kael avec un fin sourire. Celle qui fut prêtée au héros Naryl… Nuin nGéadal. La fameuse.

— C’est un artefact très important pour notre peuple, ajouta Cerin pour son frère. Et une arme de guerre magnifiquement efficiente. C’est grâce à elle que le nid Morgoth put être détruit lors de la bataille de Nuniel, la dernière grande campagne du Ráith Mebd.

Kael, une fois de plus, ignorait tout cela. L’espace d’un court instant, il en voulut terriblement à son père de ne pas l’avoir instruit de toutes ces subtilités.

Il m’a laissé être un perædhel insouciant et ignorant, qui fait des farces idiotes dans les bois, pensa-t-il. Pendant ce temps-là, Cerin et Nínim se frottaient à la vraie vie et s’emparaient de toutes les hautes ambitions.

Mais ça va changer, se jura-t-il à lui-même en se tournant vers Anguel, qui avait assisté à l’échange en ældarin sans piper mot.

— Tu montes avec ma sœur, lui ordonna-t-il un peu plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu. Il faut pouvoir la protéger au cas où : je veux un mercenaire par équipe.

— Je sais me protéger toute seule, avait renchérit Cerin en Commun, mais je serais ravie de prendre Anguel avec moi.

Aedhen, quant à lui, avait dissimulé son sourire sous son masque.

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