Chapitre 5 (1) - Doucement Roméo

4 minutes de lecture

Deux verres aux allures de cocktail maison arrivèrent comme par magie sur la table. Tel un éclair, le serveur venait de se matérialiser. Malgré ses vingt-deux ans, son visage juvénile arrondi conservait un côté adolescent joyeux. Cela contrastait avec sa tenue professionnelle : pantalon classique, chemise blanche sobre en partie cachée par un tablier noir saillant. Lucas débarrassa la table des deux verres vides et l'essuya rapidement à l’aide d’un torchon qu’il remit à son bras. D’un geste vif, il pinça le nez de Tom.

— Allez jeunes gens, réchauffez-vous avec cette mixture. Et s’il vous plaît pas de bêtises entre vous. C’est compris vous deux ?

Tom jeta un regard à la fois furieux et amusé au serveur qui leur avait déjà tourné les talons. Paul, déconcerté par le sous-entendu de ses paroles et par son ton familier, toussota nerveusement par réflexe. Manifestement, ces deux-là se connaissaient bien. Tom leva son verre. Paul l’imita sur-le-champ.

— A ton évasion et à notre rencontre !

Paul porta le verre à ses lèvres, but une première gorgée. La boisson l’attrapa à la gorge tant l’alcool était fort. Le goût sucré ne venait qu’après la déglutition. Tom devina avec amusement ce que Paul venait de ressentir au vu de ses joues empourprées. Il ne put s’empêcher d’éclater d’un rire franc et communicatif. Paul rit à son tour mais pour lui prouver que la boisson lui plaisait. Il prit une seconde gorgée le plus naturellement possible.

— Alors dis moi Paul, tu la connais ?

Paul le regarda perplexe.

— De qui tu parles ?

— Et bien la fille de la lucarne !

Paul qui venait de reprendre une troisième gorgée manqua de tout recracher.

— Quoi ? Et bien...comment sais-tu que…?

— Je crois qu’elle est russe. C’est une étudiante inscrite en lettres classiques à ce que j’ai entendu. Elle te plaît ?

Paul reposa son verre en baissant les yeux, embarrassé par sa franchise. Il bredouilla qu’il ne connaissait pas du tout cette fille, qu’il savait encore moins qu’elle était étudiante.

— Ah mais j’ai compris. En fait, tu joues au chevalier servant qui attend au pied de son immeuble qu’elle ouvre la fenêtre pour lui déclarer ta flamme, je me trompe ?

Tom l’avait donc suivi juste après qu’il eut quitté le cours.

— On ne peut rien te cacher ! dit-il pour rentrer dans son jeu avant de finir son verre d’un trait.

— Hé! doucement Roméo, à ce rythme là, tu vas vite devenir saoul !

Paul ne put s’empêcher de sourire. Il eut soudain un hoquet. Tom approcha sa tête de la sienne, regarda ses yeux bleus et ses taches de rousseur à la lueur de la bougie. Paul pouvait sentir son haleine légèrement alcoolisée ainsi qu’un doux parfum de menthe fraîche. Un frisson lui parcourut l’échine. Le doigt de Tom se posa sur sa lèvre supérieure et effaça d'un trait la mousse restée collée aux bords. Embarassé par son geste, Paul écarquilla les yeux sans bouger. Il avait l’impression que ses joues et son visage tout entier allaient prendre feu.

Tom retira son doigt, tout sourire. Il avait chaud. Il ôta son pull-over. Son t-shirt froissé laissait apparaître quelques poils assez fins qui s’échappaient du col. Paul remarqua son torse sculpté dont les muscles se dessinaient sous son t-shirt et la fine cordelette d’un pendentif caché par le tissu. Par mimétisme et parce qu’il commençait à ressentir des bouffées de chaleur lui aussi, il déboutonna les deux premiers boutons de son épaisse chemise et remonta ses manches. Tom, qui continuait à le fixer, le mit encore davantage dans l’embarras quand il lui fit remarquer que ses taches de rousseur lui donnaient un charme fou. Ses yeux clairs devaient faire craquer les filles.

La tête de Paul commença à lui tourner. Il se cala bien sur sa chaise, les pieds fermement ancrés dans le sol. Il passa en revue les personnes des tables voisines. Il fut surpris par l’exubérance d’un couple d’hommes, se tenant par la taille qui apostrophait le serveur. Son plateau vide à la main, qui manifestement ne les avait pas entendu, slalomait avec aisance parmi les tables en direction du comptoir.

Tom proposa de manger un morceau. Le Petit Marcel offrait une petite restauration basée sur une assiette de tranches de pain accompagnée de fromage et de charcuterie. Le ventre de Paul émit un petit gargouillement. Il avait terriblement faim. Il avait aussi besoin de se lever, des fourmis dans les pieds. Il se prépara pour aller chercher de quoi se sustenter. Il sortit son porte monnaie. Cette fois-ci, c’est lui qui l’invitait.

Il se leva sans préavis et atteignit le bar, après quelques jeux de coudes. Un long comptoir de forme ovale au revêtement de marbre. Tout le long, une douzaine de clients serrés les uns contre les autres, accoudés un verre à la main, assis sur des tabourets en bois. Une suspension de lustres en cuivre ancien, à l’éclairage faible. Suffisant pour susciter une ambiance intime et chaleureuse. Lucas, la chemise entrouverte d’un bouton et le front en sueur, s’affairait à servir les clients qui lui criaient leurs commandes par-dessus les conversations bruyantes. Paul n’arrivait pas à capter son attention et dut attendre. A ses côtés, un homme le bouscula.

— Et bien ce soir, que de monde n’est-ce pas ?

Paul lui sourit et détourna le regard pour tenter de commander.

— Je peux me permettre de vous offrir un verre ?

Paul considéra un instant l’air triste mais souriant de l’homme. Il était manifestement un peu plus âgé que lui. Portant une veste perfecto en cuir noir avec un pull léger en dessous. Des cheveux mi-longs ramassés en queue de cheval. Une barbe naissante et une fine boucle d’oreille en argent lui donnaient un certain charme.

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0