Chapitre 9 - Solitude
Marc raccrocha brutalement le combiné du téléphone. Comment Catherine avait-elle pu lui faire ça, qui plus est, le jour de Noël? Son ex-femme lui avait assuré qu’il pourrait passer l’après-midi avec Rémi, leur fil de huit ans dont il n’avait pas la garde. Mais elle n’avait pas tenu sa promesse. Fou de rage, il jeta à la poubelle le gâteau qu’il avait préparé. Il réussit à se calmer en fumant deux cigarettes d’affilé, affalé sur le canapé en cuir. Ses aigreurs d’estomac le reprirent. Il grimaça. Il se massa le ventre qui n’était plus aussi musclé qu’avant. Il écrasa furieusement sa cigarette dans le cendrier. Il faudrait qu’il arrête de fumer aussi, ça lui ferait pas de mal, sans compter que le sport commençait sérieusement à lui manquer.
Quatre ans plus tôt, juste après son divorce, il s’était inscrit dans une salle de musculation. Cela lui avait permis d’évacuer un stress immense. L’autre avantage, qu’il avait sous estimé, fut sa capacité à se concentrer plus rapidement et à être à l’écoute de son talent artistique. La photographie lui demandait de la patience, un sens aiguisé du regard et de l’attention. C’est d’ailleurs à partir de cette époque qu’il avait commencé à se faire un nom dans le milieu.
Pour compenser l’absence de son fils, il ressortit l’album photos de ses dernières vacances passées avec lui. C’était en août. Il avait réussi à négocier la garde de Rémi une semaine complète. Dans la maison qu’il avait louée au bord de la mer, ils auraient dû passer des vacances inoubliables. Catherine en avait douté dès le début mais avait fini par céder. Le jour du départ, elle avait essuyé les larmes de Rémi. Il refusait absolument de passer du temps avec ce père qui n’avait jamais voulu de lui (Catherine avait tout fait pour qu’il en soit persuadé). Elle l’avait déposé, à contre-cœur, devant la maison. Marc l’avait attendu de pied ferme, sur le seuil de la porte, le visage ravi. A peine était-elle descendue de la voiture pour aider son fils à sortir, qu’elle l’avait surpris la valise à la main, sans prendre la peine de lui dire au revoir. Depuis le perron, Marc s’était demandé intérieurement comment il avait pu épouser Catherine. Sa silhouette rigide, son visage sévère, ses vêtements aux motifs zébrés qu’il n’avait jamais appréciés et encore moins son imperméable synthétique imitation cuir. Sans parler de son allure vulgaire. ll l’avait saluée de la main, d’un demi sourire. Son fils était passé devant lui et entré directement à l'intérieur de la maison. Il ne lui avait même pas laissé l’opportunité de l’aider à porter ses bagages, encore moins de l’embrasser. Trois jours après, Catherine avait reçu un appel de Rémi en pleurs. Il l’avait implorée de venir le chercher. Elle n’avait pas été surprise. Arrivée sur place le lendemain, elle avait eu une vive dispute avec Marc, avant de repartir les larmes aux yeux. Marc avait été dévasté de ce séjour écourté. Aussi, avait-il reporté toute sa frustration et ses espoirs pour revoir son fils le jour de Noël. Et voilà qu’elle lui refusait ce moment tant attendu.
Le 26 décembre, il passa la journée à trier et à classer tout un tas de photographies. Il les avait prises l’été dernier en vue d’une éventuelle exposition. Mais depuis quelques semaines, il n’avait plus le cœur à travailler. Sa créativité était au point mort. Il avait le sentiment que son avenir professionnel appartenait au passé. Cependant, le soir, il n’était pas rare qu’il fasse un tour au Petit Marcel, dans l’espoir d’y croiser une connaissance ou à la recherche de jeunes modèles à qui il demandait de poser pour lui. Mais cela faisait des mois qu’il ne voyait plus aussi souvent ses amis. Il leur donnait pourtant des nouvelles au téléphone quand il avait la chance de les trouver à leur domicile. Et lorsqu’il tombait sur eux au Petit Marcel, soit ils passaient en coup de vent, soit ils arrivaient trop tard. Juste le temps de prendre un verre rapide avec lui. A peine avait-il demandé de leurs nouvelles qu’ils partaient. La sensation de les ennuyer, au vu de leurs regards fuyants, ne le quittait plus. Qu’était devenue l’ambiance du Petit Marcel? Celle qu’il avait connue il n’y a pas si longtemps encore. Celle de ces grandes tablées, où tout le monde riait avec tout le monde? Où les messes basses donnaient lieu à de grands éclats de rire incontrôlables. Où il n’était pas rare que chacun paye sa tournée. Comment tout cela avait pu disparaître aussi vite, s’affadir d’un seul coup? Le temps passait si vite. Sa solitude, non. Durant ces fêtes de fin d’année, il présageait que la plupart des habitués profitaient de leur famille. Il faudrait alors attendre patiemment la soirée de la Saint Sylvestre pour qu’il espère retrouver des visages familiers.
Mais le pire dans tout cela, c’était qu’il n’arrêtait pas de penser à lui. Encore et toujours cet étudiant. Une obsession. Il devait bien reconnaître que lors de sa dernière au Petit Marcel, le simple fait d’avoir revu Tom, attablé avec un autre garçon, l’avait profondément refroidi. Il était toujours aussi beau le salaud. Cela avait été une très mauvaise idée d’aller le saluer et d’échanger quelques mots avec lui. Avec Tom, il n’était pas possible de jouer le rôle qu’il s’était donné, comme avec les autres. Tom était intelligent. Et inaccessible. Il ne le supportait pas. La douleur qu’il avait ressenti en retournant à sa table s’était mue en colère. Une colère sourde qu’il gardait pour lui depuis des mois. Alors oui, il avait perdu le contrôle de lui-même.Et ce n’était pas la première fois. Cette violence qui le rongeait de l’intérieur. Mais pas au point d’en arriver à ce qu’il venait de faire. Ce qui était arrivé était une accident se dit-il pour minimiser ce qu'il avait fait. Il fallait passer à autre chose. Mais en était-il capable ?
Pour tromper son ennui et sa frustration, il alluma son poste de télévision et se vautra sur son canapé en cuir. Ses yeux ne quittèrent pas l’écran avant le milieu de la nuit. Il lui fallut quelques minutes avant de se relever péniblement. Il atteignit sa chambre en soupirant affronter le sommeil et ses fantômes coutumiers.
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