Chapitre 16 (3) - J’ai déjà mis mes espions sur le coup !
Lorsqu’ils franchirent la porte du café, en milieu d’après-midi, Paul fut surpris de son ambiance calme et détendue. C’était si différent de la première fois où il y avait mis les pieds! Le ronronnement rassurant de la machine à café, le chuchotement des conversations. Près du radiateur, sur le côté de l’entrée, un couple entre deux âges, assi l’un à côté de l’autre, avec leur tasse de chocolat chaud. A l’autre bout du comptoir, un client reposait avec soin le journal du jour, dans un tourniquet en fer blanc écaillé, où étaient rangés d’autres magazines, brochures et autres cartes postales en tous genres. De retour à son tabouret, il sortit une cigarette de son étui et dut craquer trois allumettes avant de pouvoir profiter de sa première bouffée. En face du bar, un groupe d’étudiants, fumait lui aussi et jouait aux cartes. Un peu plus loin, à une autre table, une mère et son fils. Elle était plongée dans un livre épais, indifférente à son jeune garçon qui peinait à réussir une face de son rubicube, tout en sirotant sa menthe à l’eau.
Ils s’installèrent sur les tabourets usés du bar.
- Tiens, voilà notre rescapé, accompagné de la plus belle russe du pays” dit Lucas qui contournait le comptoir pour venir prendre Barbara dans ses bras. Il regarda Paul de la tête aux pieds.
- Ah je vois que ça va mieux !
Paul le remercia de sa sollicitude et de son aide, apportées ce fameux soir, ne sachant comment se comporter face aux étudiants qui s’étaient soudainement retournés dans sa direction.
- Pour fêter ton rétablissement, je te paye à boire Paul. On saura tous ici qui t’a fait ça et rapidement, j’en suis persuadé. J’ai déjà mis mes espions sur le coup, affirma-t-il d'un ton convaincu en lui adressant un clin d’œil.
Paul se sentit tout à coup soulagé. C’était comme si des gendarmes étaient venus en personne lui annoncer qu’ils avaient arrêté le coupable.
- Tout va rentrer dans l’ordre, ne t’inquiète pas. Et puis, entre nous, tu es entre de bonnes mains ici, surtout dans celles de Tom.
Barbara écarquilla les yeux et recommanda à Lucas d’arrêter de dire de telles âneries, sans quoi elle l’enverrait elle-même au goulag. Lucas mima l’offusqué, en réponse à l’humour noir de sa cliente. Paul se mit à rougir et en profita pour boire le café que Lucas venait de lui servir.
Barbara et Paul écoutaient à présent le récit de la dernière soirée au Petit Marcel. Lucas finit de nettoyer les derniers verres qui restaient dans l’évier. Il suspendit son torchon et s’adonna à son numéro habituel, avec un plaisir non dissimulé, celui d’imiter, avec de grands gestes, des clients du Petit Marcel. Paul ne les connaissait pas mais s’il les avait eus devant lui, il aurait ri de bon cœur, comme Barbara était en train de le faire. En regardant attentivement Lucas, il comprit que c'était juste un peu de moquerie, laquelle n'excluait pas la gentillesse.
- Je te l’avais bien dit Paul, ici on n’a pas le temps de s’ennuyer ou de déprimer. Lucas a l’art et la manière de tout tourner en dérision.
- Pour mieux vous servir ma chère, ajouta Lucas qui termina son imitation par une révérence exagérée.
Paul, ragaillardi, commanda deux parts de gâteau au chocolat qu’il avait vu, en arrivant, sous une cloche, sur le comptoir. Il offrit également une tisane à Barbara. Dégustant sa pâtisserie, elle le bombarda de questions. Aimait-il ce qu’il apprenait à la faculté ? Stressait-il pour ses examens ? Avait-il le temps de sortir un peu? Avait-il une petite amie ? Paul s’étonna de répondre avec décontraction et franchise. Au fil de la discussion, il réalisa que, malgré la peur panique de ces derniers jours, il venait aussi de rencontrer deux nouvelles personnes. Avec elles, il avait eu envie de tout partager, sans se poser plus de questions. A son grand étonnement, il lui était presque plus facile de discuter avec des inconnus. Ils avaient un vrai sens de l’écoute. La bienveillance se lisait dans le regard de Barbara. Sa curiosité spontanée, qui aurait pu passer pour de l’indélicatesse, ne lui déplaisait pas. Il voyait cela comme une envie, chez cette étrangère, venue vivre en France, d’embrasser une autre culture. Quant à Tom, il le revit dans le parc, le regard impuissant lorsqu’il l’avait quitté. S’était-il trompé sur son compte ?
La nuit venait de tomber. Ils remercièrent Lucas pour son accueil et ses histoires qui les avaient fait rire aux larmes, saluèrent les clients du bar et retournèrent dans le froid. Paul la félicita pour son merveilleux Bortsch et pour ces instants partagés. Il avait retrouvé le moral. Barbara s’en félicita et le prit dans ses bras avant de l’embrasser plusieurs fois. Ils se donnèrent rendez-vous dans quelques jours pour la bonne année au Petit Marcel. Il la quitta en lui promettant de se souvenir de cette belle journée qui avait été une vraie bouffée d’oxygène. La vie était tellement imprévisible. Sur cet élan, il s’était décidé, il irait rejoindre ses amis pour la fête du 31 décembre. Il fit un détour, osant franchir la porte d'un caviste (une première pour lui!), pour choisir une bonne bouteille à offrir à ses amis et rentra chez lui.
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