- Alors Cendrillon, on se réveille enfin ? C’est comme ça qu’on me remercie ? éructa Marc dans l’oreille de Tom qui finit par ouvrir les yeux.

Il fut ébloui par une ampoule sans abat-jour, pendue au plafond, qui dessinait un cercle de lumière crue et aveuglante. Sa tête était encore lourde. Il ne comprenait pas pourquoi il avait une main attachée à un tuyau vissé au mur. A côté de lui, Rickie était attaché, lui aussi, par des menottes.

- Je suis désolé Tom…, sanglota Rickie.

- Ta gueule toi, le coupa Marc qui le menaçait avec un revolver.

A la vue de l’arme, Tom s’accrocha à Rickie comme pour se protéger. Sa vue floue finit par s’éclaircir. Ils se regardèrent, terrorisés.

- Ce petit morveux s’est introduit chez moi. Il s’en est fallu de peu que tu réussisses à me voler ces photos, dit Marc qui sortit une petite enveloppe de l’intérieur de sa veste.

- Tom, je ne te mentais pas tout à l’heure. Tu n’as plus à t’inquiéter pour vos photos. Je les ai si souvent regardées, si vous saviez ! Lorsque Rickie est venu me voir l’autre soir, le visage amoché, je me suis aperçu que la situation m’avait échappé. leur sourit-il.

- Tu mens, espèce de connard, s’emporta Rickie qui ne put s'empêcher de cracher de dégoût.

Marc évita le crachat de justesse.

- Mais qu’est-ce qui te prend Rickie ? On prend enfin du poil de la bête ? On veut ressembler à papa ? Je pense que vous avez surtout besoin d’une petite leçon de savoir-vivre, annonça-t-il, sur un ton glaçant.

- S’il te plait Marc, tu te rends compte de ce que tu fais ? essaya Tom sincère.

- Ferme ta gueule ! répondit-il plus menaçant que jamais. Tom obtempéra.

- Tu m’a pris pour un demeuré avec ton numéro de chat qui minaude ? Tu crois que je t’ai pas venu venir avec tes compliments de faux-culs. Moi qui voulait vraiment te pardonner Tom. Je voulais faire comme tu m’as dit Rickie, passer à autre chose ! Comment j’ai pu être aussi con. Le léger somnifère que j’ai glissé dans ta coupe de champagne n’aura été d’aucune utilité, c’est bien dommage.

Tom sentit des gouttes de sueur perler sur ses tempes. Les jambes de Rickie flageolaient.

- Vous faites une sacrée paire sans déconner. Je peux bien vous le dire maintenant. Le 31 décembre de l’année dernière, ça se voyait que vous aviez envie de forniquer depuis des mois tous les deux. Dans le cocktail que vous avez bu en fin de soirée, j’avais ajouté un petit remontant de ma composition. De quoi passer une super nuit. Ça vous a donné un bon coup de fouet, n’est-ce pas ? dit-il satisfait.

Les deux garçons se regardèrent, bouche bée.

- Qu’est-ce que je t’avais dit Rickie. Il nous a drogué !

- Vous devriez me remercier au contraire. Mais vous en êtes incapable ! C’est ça qui vous manque, la politesse, bande d’ingrats! Moi qui vous ai accueillis chez moi, les bras ouverts, moi qui vous ai donné toute ma confiance! En retour, qu’est-ce qui me reste ?

Les deux garçons continuaient de se regarder, à la recherche d’une issue.

- Toi Rickie, tu as été si gentil avec moi au début, je ne peux pas le nier. Comment as-tu pu venir chez moi, il y a quelques jours, pour m’annoncer que tu ne souhaitais me quitter ? Je suis qui pour toi ? Après tout ce que j’ai fait pour toi, soupira-t-il furieux.

Rickie baissa la tête, refoula ses larmes et lui répondit à voix basse.

- Arrêtes Marc, tu sais très bien que je t’ai admiré dès le début. Mais tu en voulais toujours plus. Moi, Tom et les autres. Une petite cour autour de toi. Alors quand certains de tes amis en ont eu assez, tes soirées sont devenues ennuyeuses, rasoirs. Tu avais beau chercher de nouvelles proies, en réalité c’est toi qui te lassais rapidement. Sauf que moi, comme un idiot, je suis tombé amoureux. Je sais que je t'exaspère à revenir chaque fois vers vers toi en rampant. Tu aurais préféré Tom je sais bien.

Tom regarda Rickie avec une gêne mêlée d’incompréhension. Il se retourna vers Marc les yeux écarquillés.

- Mon petit Tom, fais pas cette tête là. Qu’est-ce qui m’a pris de croire en toi, dis le moi ? Tu es venu te prélasser avec mes amis. Rappelle-toi comment tu étais heureux parmi eux. Et puis six mois plus tard, hop, plus personne. Silence radio.

Tom soutenait son regard à présent.

- T’as rien compris Marc. J’ai du mal à te croire. Tu n’en pense pas un traître mot. Sois honnête avec toi-même pour une fois.

- Ah non, pas de leçon de morale s’il te plaît! J’en ai déjà eu assez dans ma vie. On croirait entendre mon père. Et puis merde, j’en ai marre de vous, de tout ça, dit-il avec rage, toujours le revolver à la main, qui balayait la pièce.

La sonnette de la maison retentit. Tous les trois levèrent les yeux en direction de l’escalier.

- Attendez-moi sagement ici.

A peine Marc eut-il disparu de l’escalier, que Tom essaya en vain de se libérer de ses menottes.

- Mais putain Rickie, pourquoi t’es pas parti, tu nous as pas entendus arriver ? J’étais sûr que ce plan était foireux.

- Ah ton avis, tu crois que ça m’amuse? J’ai réussi à rentrer par la porte du sous-sol, à l’arrière de la maison. Mais ça m’a pris plus de temps que prévu. J’ai d’abord commencé à chercher dans son labo photos, tu penses bien. Et puis, comme je ne les trouvais pas, je suis remonté fouiller dans toutes les pièces de la maison. Mais toujours rien. Alors je suis redescendu pour vérifier une dernière fois. Et là bingo! Seulement, je me suis fait avoir bêtement. J’ai entendu trop tard que quelqu’un descendait. Et à peine étais-je sorti de son labo qu’il m’a coincé à l’intérieur, puis menacé avec son revolver. Si tu l’avais entendu parler de l’arme de son père, avec ses yeux de fou ! Je ne pensais pas qu’il déprimait autant. Il a complètement pété un câble!

La porte du haut s’ouvrit brusquement. Mais la première personne qu’ils virent descendre fut Paul, le visage trempé par la pluie, les mains sur la tête, les yeux terrorisés.

- Regardez qui vient nous rendre visite? Décidément je suis chanceux, vous ne trouvez pas ?

Il braqua le revolver sous le menton de Paul, le dos collé contre le ventre de Tom qui s’agrippait à lui.

- Ça va beaucoup mieux ton nez, dis moi, Paul. C’est fou, on ne voit plus rien. C’est comme si je ne t’avais pas cogné en réalité! Comment j’ai pu abîmer ta p’tite gueule d’ange ?

Paul le toisa froidement, mais fut incapable d’ouvrir la bouche, épouvanté.

- Où en étais-je? Ah oui. J’étais en train de dire à tes amis que je commençais sérieusement à en avoir marre d’eux et de toute cette merde autour de moi.”

Marc appuya brièvement le revolver sur le front de chacun des trois garçons.

“Tu te crois malin Marc ? cria Lucas qui arrivait par derrière.

Marc eut à peine le temps de se retourner qu’il reçut un coup de poing en plein visage et s’écroula au sol. Aussitôt, Paul donna un coup de pied dans le revolver qui glissa à l’autre bout de la pièce. Lucas en profita pour mettre Marc à terre et le força à s’allonger, les deux bras dans son dos. Marc poussa un long gémissement.

- Désolé Marc, j’aurais préféré éviter ça, mais tu ne nous a pas donné le choix ! Quand on est venu me voir pour me dire qu’on t’avait vu agresser Paul, je ne voulais pas le croire. Comment as-tu pu faire ça, t’as perdu la tête? Où sont les clefs des menottes, dépêche ? s’empressa-t-il de demander, en le secouant vigoureusement.

Marc indiqua, d’un mouvement de la tête, le tiroir où il avait pris le revolver. Paul se jeta dessus, remua tout un tas d’objets et finit par en retirer deux petites clefs. Il délivra Tom qui, une fois libéré, se frotta la main comme pour vérifier que celle-ci fonctionnait toujours. Paul libéra Rickie qui s’effondra à terre, de tout son poids. Il pleurait sans retenue. Tom s’agenouilla à ses côtés, les mains sur ses épaules, pour le réconforter.

- Bon les gars, on fait quoi de lui ? demanda Lucas qui maintenait toujours Marc au sol. Il ne cherchait plus à se débattre.

- Prend-lui l’enveloppe où se trouvent les photos, dans la poche de sa veste, dit Tom.

- Lâchez-le s’il vous plaît, implora Rickie.

Mais Lucas n’avait pas l’air d’en avoir fini avec lui.

- Si jamais tu recommences, que tu oses t’attaquer à l’un d’entre nous ou à n’importe quelle sale pédale, comme tu dis, je préviens directement la gendarmerie. Estime-toi heureux que l’on règle ça entre nous. Et ne t’avise même pas de revenir au Petit Marcel tant que tu n’auras pas retrouvé la raison. C’est compris ! Il libéra sa prise et se releva.

Alors que tous les regards convergeaient vers eux, Paul ramassa le revolver et le pointa en direction de Marc qui se relevait avec difficultés.

- Qu’est-ce que tu fais gamin, pose ça tout de suite, supplia Marc, blême.

- A genoux ! cria-t-il, étonné par sa propre voix, si puissante tout à coup.

Tous le regardèrent, sans oser faire le moindre mouvement. Seul le bruit de la pluie battante, à l’extérieur, résonnait. Un court silence oppressant.

- Je ne vous connais pas monsieur. A ma demande, Lucas m’a raconté, en venant ici, certaines choses sur vous, dit Paul posément, en regardant Marc qui tremblait à présent de tout son corps.

- Vous avez le droit d’être heureux vous savez. Un gamin de 18 ans qui vous dit ça, ça doit bien vous faire rire… En tout cas, c’est le programme de mes prochaines années.

Des larmes coulaient le long des joues de Marc.

- Je t’en prie Paul, je suis vraiment désolé, je ne voulais pas, je ne sais pas ce qui m’a pris…, dit Marc d’une voix à peine audible.

- Je vous crois, ne vous inquiétez pas, je vous crois, répondit Paul qui abaissa le revolver. Il tremblait à son tour.

Les yeux humides, il regarda Tom droit dans les yeux, avec un sourire timide. Il remonta les escaliers sans que personne n’ose bouger. Ils restèrent un instant, médusés par ce qui venait de se passer. Tom aida Rickie à se relever et avec Lucas, ils remontèrent au salon, laissant Marc pleurer, recroquevillé sur lui-même.