Comme à son habitude, Barbara avait été formidable avec lui. Rickie revint chez lui le pas léger, presque sautillant, avec son livre de photographies sous le bras. Il passa la soirée dans son fauteuil à le regarder et à repenser à tout ce qu’il avait vécu avec Marc. Il se revoyait, cet été 1986, demander au directeur de l’imprimerie s’il pouvait préparer des affiches pour un artiste qui allait exposer ses photographies au Petit Marcel. Vous ne le regretterez pas monsieur le directeur, son travail est formidable, il faudra venir et puis je parlerai de vous, de l’imprimerie, ça vous fera une belle publicité. Le directeur qui, à l'époque, venait de l’embaucher, avait aimé son enthousiasme et cette naïveté juvénile. Après quelques réticences, il lui avait répondu favorablement. Il s'était dit qu’un peu de promotion ne pourrait pas lui faire de mal, même s’il doutait des retombées. Contre toute attente, il avait pu décrocher des contrats pour deux artistes et une association pour des évènements culturels de quartier. Durant les mois suivants, Paul s’en était félicité et n’avait cessé de le remercier.

Faut vraiment que t’arrêtes de tourner en boucle, crétin! Ça mène à rien. C’est comme ton père, arrête d’espérer quoi que ce soit de sa part, tu seras forcément déçu. T’as bientôt 24 ans, tu n’as plus besoin de lui. Rappelle-toi ce que tu t’es promis. Une nouvelle année pleine de promesses. Alors mets-toi ça bien dans le crâne et tiens le toi pour dis! Il mit un vinyle sur la platine et s’allongea confortablement sur son tapis, les mains derrière la tête, entièrement disposé à savourer la musique. Il aimait ces moments privilégiés où il ne faisait rien, juste écouter ses disques.

Alors qu’il retournait le vinyle, il releva le bras de lecture pour finalement le reposer sur son socle. Il avait changé d’avis. Il rangea le 33 tours dans sa pochette. Il prit le combiné du téléphone et composa le numéro de Mathieu, inscrit sur un morceau de papier, posé sur une petite table d'appoint. Ne pas laisser refroidir les choses.

La conversation fut brève. Rickie raccrocha, un sourire aux lèvres. Mathieu lui avait donné rendez-vous le lendemain chez lui. Il rangea soigneusement dans son portefeuille l’adresse qu’il avait notée au-dessous du numéro. Il allait passer un samedi soir de rêve.