Chapitre 36 (2) - Tu connais le Petit Marcel ?

5 minutes de lecture

Tristan remonta le col de son manteau gris, mit son bonnet en laine et resserra un peu son écharpe. Les nuages menaçaient à présent. Le ciel laissait présager l'arrivée d'une averse. Il marcha droit devant lui. Le dimanche matin, il appréciait le calme de la rue, quand les passants se faisaient rares et que la circulation était faible. Il était en colère après sa petite amie. Il avait de plus en plus de mal à supporter son tempérament. Cette fois-ci, il ne s’était pas laissé faire. Il ne s’en voulait pas particulièrement, car voir Paul dans cet état de détresse l’avait complètement chamboulé. Il serait là pour lui. Ce n’était pas pour rien qu’ils étaient amis après tout.

Durant ces dernières semaines, Paul lui avait manqué. Surtout leurs soirées en duo et leurs conversations à bâtons rompus. Il se souvint de ces moments privilégiés, allongés tous les deux sur le tapis de sa chambre à écouter de la musique. Paul était la seule personne avec qui il n'avait pas eu honte de partager sa passion pour le jazz (Jimmy Smith, Gerry Mulligan, de véritables légendes à ses yeux). Le doux souvenir de cet après-midi, dans le salon de ses grands-parents, un jour de pluie de novembre. Son grand-père lui avait fait écouter Moanin d'Art blakey, il en avait eu des frissons. De voir son copain si passionné, Paul qui ne connaissait rien au jazz, avait commencé à écouter tous les vinyles que Tristan lui mettait dans les mains. Il avait été plus sensible au piano de Bill Evans. Il lui avait alors avoué que parfois, pour faire le vide dans sa tête, il écoutait les disques de musique classique de son père.

Aujourd’hui, plus que jamais, Tristan mesurait sa chance de pouvoir compter sur lui. Il se sentait connecté avec lui, même s’ils ne se voyaient pas souvent. Pourquoi ne pas essayer de passer plus de temps avec lui? Avec ce qu’il venait de comprendre, il était prêt à tout pour le soutenir, n’en déplaise à Marianne.

Sa colère commença à refluer. Son pouls avait retrouvé un rythme presque normal. Il n’avait pas fait attention à son itinéraire. Il s’arrêta au milieu d’un passage piéton, regardant à droite puis à gauche. Un tour sur lui-même pour réussir s’orienter. Il passa devant une gendarmerie où étaient stationnés les véhicules des forces de l’ordre. La porte d’entrée du bâtiment s’ouvrit sur un homme, remontant la fermeture éclair de son perfecto en cuir. A la vue de sa tête fatiguée, on pouvait imaginer qu’il avait dû passer une mauvaise nuit. Il lui passa devant, manquant de le percuter. Il ne m’a pas vu! se dit-il en s’arrêtant net. Il reprit sa marche, derrière l’homme qui filait comme lui, en direction d’un pont. Il le regarda s’arrêter renouer ses lacets. Tristan le dépassa, jetant un regard derrière lui. Mais n'était-ce pas...

- Rickie, c’est bien toi ?

L’homme se releva.

- Tristan !

- Comment vas-tu ?

A peine avait-il prononcé ces mots qu’il regretta déjà ses paroles. Rickie avait vraiment une mine atroce, les cheveux en bataille, les traits tirés et de grosses cernes noirs.

- Désolé, t’as pas l’air en forme, si je peux faire quelque chose...

- J’ai l’air si mal que ça? Merci Tristan, mais non, tu ne peux plus rien faire pour moi…

Rickie sortit un mouchoir et se moucha bruyamment.

- Désolé, je suis vraiment fatigué, j’ai pratiquement pas fermé l'œil de la nuit.

“Je t’ai vu sortir de la gendarmerie…”

C’est là que Rickie s’effondra en sanglots. Tristan, pris au dépourvu, lui fit une accolade et attendit qu’il reprenne ses esprits. Il s’excusa et Tristan lui proposa de continuer leur chemin ensemble, puisqu’ils allaient apparement dans la même direction. Au milieu du pont, Rickie s’adossa à l’épaisse rambarde de fer et contempla la rivière.

- Je viens de vivre la pire nuit de ma vie.

Une fine pluie commençait à tomber. Tristan n’osa pas poser de question. Une longue histoire, le prévint Rickie qui venait de s’attacher les cheveux avec un élastique. Il lui proposa d’aller prendre un verre. Tristan regarda sa montre, Marianne allait s’inquiéter… Tant pis pour elle.

10h. Ils entrèrent dans le premier café qui se présenta à eux, Le café du Pont, les vitres couvertes de buée. À l'intérieur, une odeur de moisissure, mélangée à celle de la cigarette froide, leur sauta à la gorge. Les clients et le personnel plaisantaient ensemble. Le serveur arriva pour prendre leur commande, sans se presser. Assis sur une banquette en cuir craquelé, ils attendirent, sans échanger un mot. Le serveur finit par leur apporter deux cafés et un croissant chacun. Il les déposa négligemment sur la table dont la propreté laissait à désirer. Tristan sentait que Rickie était tendu, à fleur de peau. Lui-même était nerveux car il repensait à sa conversation avec Marianne.

- Je voulais te remercier pour la soirée au restaurant, pour ce Noël entre amis. C’était très gentil à vous d’avoir accepté que Barbara vienne avec un ami” dit Rickie gentiment.

- Ca nous fait toujours plaisir de rencontrer de nouvelles personnes. Nous avons passé une excellente soirée.

Rickie attaqua son croissant.

- Sinon, ne crois pas que je passe tous mes samedis soirs à la gendarmerie pour ressortir ravagé et tomber en chialant sur le premier venu.

Tristan était gêné par ce que Rickie venait de dire.

- Ça va, t’inquiète, comparé à toi, je suis un vrai cliché…dit-il avec un morceau de croissant dans la bouche.

Rickie le regarda perplexe.

- Je suis sorti me balader ce matin pour éviter ma copine avec qui je viens de me prendre la tête.

- Marianne, celle avec une grande gueule ?

Tristan sourit malgré lui.

- Oui, c’est bien elle. Tu te souviens de notre copain Paul ? Tu l’as vu au 31 chez nous.

- Ça oui, je m’en souviens Tristan. Quand je suis parti de votre fête rejoindre Barbara...et bien… Je l’ai revu plus tard dans la soirée…

Rickie réalisa trop tard qu’il avait peut-être fait un impair.

Tristan reconstituait les pièces d’un puzzle dans sa tête.

- Ah oui ? dit-il songeur. Mais dis-moi, si je ne suis pas trop indiscret, vous n’auriez pas passé le reste de la soirée au Petit Marcel par hasard ?

Rickie finit son café pour cacher son étonnement.

- Tu connais le Petit Marcel ?

- Et bien oui… En fait non, nous y sommes juste allés brièvement pour la première fois, hier soir, avec Marianne et Zofia. Barbara a dit à sa sœur qu’elle pourrait sûrement y trouver Paul. Elle avait raison d’ailleurs puisque nous l’avons vu… Il était avec un ami qui te connaissait, Tom” dit-il d’une voix mal assurée, curieux de savoir comment Rickie allait réagir.

- Vous avez passé une bonne soirée j’imagine. J'y vais souvent, c’est un café très sympa” dit-il enthousiaste.

Tristan hésita un instant à lui dire la vérité. Rickie semblait bien connaître ce lieu.

- Pas vraiment en réalité.

A la tête de Rickie, Tristan vit qu’il était déçu, voire troublé. Il ne s’attendait pas à une telle réponse.

- Voilà pourquoi je me suis engueulé ce matin avec Marianne... avoua-t-il.

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0