Chapitre 42 (2) - Tennessee Williams
La neige tombait depuis deux jours. Elle avait dissuadé beaucoup d’étudiants de venir à la bibliothèque universitaire. Marianne y arriva après sa pause déjeuner. Les tables étaient clairsemées. Il lui restait une petite demi-heure avant de retrouver Zofia. Elle en profita pour rapporter un livre à la banque de prêt et demander au bibliothécaire s’il avait un ouvrage dont elle lui donna la référence. Après vérification de ses fiches, il lui indiqua dans quel rayon le trouver. Elle parcourut les longues allées de la section littérature et mit plusieurs minutes avant de mettre la main dessus. C’était un livre sur la littérature américaine au programme ce trimestre. Elle choisit une table inoccupée et regarda le sommaire. Elle sortit un crayon de sa trousse et nota quelques noms d’écrivains que le professeur leur avait indiqués dans l’introduction de son cours. Un panorama rapide de la littérature américaine des XIXème et XXème siècles. Emily Dickinson, Henry James, William Faulkner, John Steinbeck, William S. Burroughs...des noms inconnus à ses yeux hormis Mark Twain et Jack London qu’elle avait lus enfant.
Il était quatorze heures passées de dix minutes et Zofia n’était toujours pas arrivée. La neige l’avait-elle retardée? Elle continua à étoffer son cours, quand elle sentit une présence derrière elle.
- Bonjour Marianne, tu me reconnais ?
- Heu...oui... dit-elle, étonnée de voir ce visage qui se présentait à elle.
- Tom. On s’est croisés avec Paul au Petit Marcel ! Je peux m'asseoir à ta table ? A moins que tu n’attendes quelqu’un, dit-il de son plus grand sourire.
Marianne regarda sa montre. Décidément Zofia était en retard. Avait-elle oublié ?
- Oui, j’attends quelqu’un...mais...non vas-y je t’en prie, installe toi.
- Tu viens souvent étudier ici ? Paul m’a dit que tu étais en lettres avec Zofia.
Alors comme ça, Paul lui avait parlé d’elle ?
- Non, je ne viens pas souvent, à vrai dire. Mais il est temps que je travaille sérieusement si je veux espérer avoir ma première année.
Tom lut le titre de l’ouvrage que Marianne consultait.
- Tu connais Tennessee Williams ? Il a écrit des pièces de théâtre. J’adore !
- Désolé, je ne connais pas du tout, dit-elle, honteuse.
- Oh tu sais, il n’y a pas si longtemps, je ne connaissais pas moi non plus. C’est un ami qui me l’a conseillé. Les personnages de ses pièces sont souvent des marginaux ou des hommes et des femmes qui ont subi des coups durs dans la vie. Ils luttent pour devenir ce qu’ils veulent vraiment, sans y parvenir. C’est triste mais tellement beau.
- Merci pour le conseil alors.
- De rien mais je ne suis pas un spécialiste de la littérature américaine, pas comme toi dans quelques mois !
Marianne ne put s’empêcher de sourire. Elle lui demanda si Paul allait le rejoindre cet après-midi. Tom lui répondit par la négative. Il s’installa et sortit ses affaires.
- La révolution française ? Eh bien quel programme ! s’étonna Marianne.
- C’est une période de l’histoire qui me fascine. Je suis trop content de suivre ce cours que j’avais raté l’année dernière. Je repique ma première année, alors je mets les bouchées doubles.
- Vous suivez les mêmes cours avec Paul ?
- Oui, pratiquement tous. Nous formons une bonne équipe. Paul est quelqu’un de très organisé et d'assez efficace, ce qui n’est pas forcément mon cas, alors il me motive à fond.
Marianne reconnaissait bien Paul dans la description que Tom lui en faisait. C’est lui qui l’avait aidé dans la dernière ligne droite du baccalauréat. Elle était tellement stressée dans ses révisions que Paul était venu chez elle pour lui organiser un planning sur mesure. Aujourd’hui, elle ne savait pas comment elle aurait fait sans son aide.
- Avec Paul, tu ne peux que réussir, il est formidable pour ça !
- Oui je suis tout à fait d’accord. Mais quand monsieur a décidé de réviser, mieux vaut ne pas le déconcentrer sinon gare, plaisanta Tom.
Marianna rit de bon cœur.
- Chuuuuut, leur lança une autre tablée d’étudiants. Ils se regardèrent, le sourire aux lèvres.
- C’est vrai que Paul est un garçon formidable. Je suis content d’avoir fait sa connaissance, ne put s’empêcher d’ajouter Tom.
Oui c’était vrai. Paul était un de ses meilleurs amis. Comment avait-elle pu se comporter de manière aussi odieuse avec lui? Elle regarda ses notes et poursuivit sa lecture. Puis elle prit son courage à deux mains.
- Ecoute Tom, je crois que j’ai été un peu maladroite avec lui, enfin avec vous, quand on s’est rencontrés. Je voulais m’excuser.
- T’inquiète, c’était juste pas ton jour, c’est tout, répondit Tom d’un air léger puis il retourna à son cours comme si de rien n’était.
Marianne se sentit aussitôt soulagée. Elle se remit à travailler tout en l’observant à la dérobée, concentré qu’il était dans sa prise de note.
Zofia arriva en retard à la bibliothèque. Assoupie dans son fauteuil, elle n’avait pas vu l’heure passer. En arrivant elle vit Marianne et reconnut le jeune homme à ses côtés. Elle préféra se cacher quelques minutes derrière une rangée d’étagères pour ne pas être vue ni les déranger. Après ce que lui avait révélé Barbara, elle avait compris avec amertume qu’elle était tombée amoureuse d’un garçon inaccessible. La vérité serait encore plus dure pour Marianne. Elle se souvenait très bien de son attitude envers Paul, quand elle l’avait vue en compagnie de Tom au Petit Marcel. Même si elle avait accepté ses excuses, elle préférait à présent ne pas se mêler de leur relation.
- Te voilà enfin Zofia, dit Marianne quand elle la vit s’approcher d’eux.
Zofia s’excusa platement et prétexta avoir eu un retard de bus, dû à la neige. Marianne et Tom rassemblèrent quelques-unes de leurs affaires afin de lui laisser suffisamment d'espace. L’après-midi se poursuivit tranquillement, dans un silence feutré, parmi les étudiants peu nombreux ce jour-là.
Annotations