Pointe Vénus
J’ai beaucoup de mal à me faire à l’idée que je suis en Polynésie française. Pendant des mois ; nous plaisantions quand on nous demandait où on allait. Nous montrions nos pieds, avant de nommer enfin notre future destination. Après vingt-deux heures d’avion, aller à l’autre bout de la terre a pris tout son sens.
Le logement qui nous a été trouvé est bien, sans plus. Enfin si je peux dire. Nous sommes quand même à cent mètres de la plage. Toute petite plage. Plutôt de l’herbe qui donne sur le bord de mer. Un petit escalier, deux marches, permet d’aller dans l’eau. Bien que nous ne soyons pas dans un port, beaucoup, beaucoup, beaucoup de bateaux mouillent dans le lagon.
Le lagon. Ce simple mot était compliqué à comprendre pour moi. Il prend peu à peu son sens. Étant arrivés vers minuit, nous n’avons pas flâné. Après un si long voyage, la douche et une bonne nuit de sommeil ont été comme une victoire pour le peuple. La journée d’hier, nous a permis de repérer les lieux utiles. Aujourd’hui, c’est plage.
Je sors sur la terrasse qui donne sur la rue pour regarder un peu l’allure du quartier. Enfin je dis la rue, mais il s’agit plutôt d’un chemin de terre. Les voisins me regardent aimablement. Ils me font des signes de salut auxquels je réponds d’un sourire et d’un hochement de tête. Un groupe de jeunes passe près de moi. Plusieurs d’entre eux haussent les sourcils de manière étrange. Mon visage doit exprimer mon incompréhension, car une des jeunes femmes s’arrête devant moi en rigolant. Elle me salue et nous commençons un échange de questions-réponses très instructifs. J’apprends que les Tahitiens se disent souvent bonjour en bougeant les sourcils de haut en bas. Je ne dois pas être surprise si on m’appelle mamie qui est le « Madame » d’ici. Il est utilisé pour les femmes qui sont mères. « Ia ora na » se traduit par « bonjour », même si la traduction se rapproche plus de « que tu vives ». Je me croirais presque dans le film Avatar en entendant ces explications.
Ma pépette se lève à peine de sa nuit quand son père se gare devant chez nous au volant d’une Fiat Panda grise. Il semble heureux de sa trouvaille. l’idée de conduire un pick-up ne me plaisait pas des masses. Cette petite voiture me semble appropriée pour les minuscules trajets que nous aurons à faire. Tahiti est une petite île.
Nous profitons de l’heure avancée pour trouver une roulotte. Le midi, tu y trouves surtout des casse-croûte, des frites, des hot-dogs. Nous en trouvons quelques-uns sur le parc de stationnement qui se trouve devant le futur collège de Perle. Le parrain de Jules nous a dit qu’il y en aura plein ici, quand les cours reprendront. Je ne sais pas si je dois m’en réjouir. Pour moi cela ressemble à une aberration puisqu’il y a un service de cantine bien moins coûteuse et bien plus confortable que ces mini-repas pris entre les voitures.
Notre achat fait, nous rentrons vite nous mettre à l’ombre de notre maison. Nous mangeons affalé dans le canapé, presque les pieds sur la table basse. Enfin surtout moi. Il faut croire que ma petite maman a loupé quelque chose dans mon éducation, car même Perle se tient mieux que moi. La chaleur et un reste de fatigue du voyage nous pousse à la sieste.
Nous émergeons pour l’heure du goûter. Jules veut nous emmener à la Pointe Vénus. Nous enfilons nos shorts de bain et des t-shirts. Je jette à la vas-vite quelques serviettes dans un sac de supermarché. Et zou ! Dans la Panda !
Nous filons en direction de Arue. Nous passons devant une plage où des files impressionnantes de voitures sont garées sur les bas-côtés. Nous traçons jusqu’à Mahina. Au giratoire encadré de pas moins de deux supermarchés, Jules prend à gauche et roule jusqu’à l’entrée de l’espace de stationnement qui semble bondé. L’heure avancée de l’après-midi voit des places se libérer alors que nous tournons. Nous trouvons vite à nous garer.
Quelques minutes sont nécessaires pour comprendre l’agencement du site. Nous repérons le petit restaurant fermé, certes, mais restaurant tout de même. Notre petit tour nous informe qu’un scientifique est passé par là pour mesuré la distance qu’il y a de la Terre à la planète Vénus, donnant son nom à cet endroit. Le phare qui y trône n’est pas très grand. On dirait un empilement de six cubes qui deviennent de plus en plus petits, tel un jouet d’enfant. La vue des bateaux de pêcheur posés sur des supports qui me semblent plus ou moins solides nous amusent. La plupart ont des balanciers. Ce sont donc des pirogues, si je ne me trompe pas. Des tôles recouvrent ce qui forme les barques, évitant ainsi qu’elles ne se remplissent d’eau quand il pleut. Une baraque en bois non loin du phare fait office de magasin à souvenir. Les paréos me font envie. Je résiste à en acheter un. Je souris à l’idée que je ne suis pas une touriste, mais une résidente. Ces trois prochaines années m’offriront bien des occasions d’acheter tous les paréos que je souhaite.
Nous repérons le marchand de glaces et le bâtiment des sanitaires, avant de nous diriger vers la plage.
Et là, c’est l’émerveillement.
Le ciel bleu sur cet océan n’est pas ce qui nous frappe le plus. Ce côté de la plage de la Pointe Vénus donne l’impression d’être entre les montagnes et la mer. À droite l’océan, en face le relief verdoyant de l’île. Le sable noir et chaud me ravit. Nous marchons quelques centaines de mètres et posons nos affaires. Je regarde les structures gonflables de couleurs vives. Ici aussi, il est proposé des attractions aux jeunes vacanciers. Je sors quelques serviettes de bain que je pose en tas, sans prendre la peine de les étendre. Perles n’a pas demandé son reste. Elle a retiré ses baskets à la va-vite et trempe déjà jusqu’aux chevilles. La baignade faite dans cette eau si limpide que cela semble presque irréel me surprend. Peut-être est-ce parce que le fond marin est composé de sable noir, lui aussi. Bien que je sois aquaphobe, je ne peux me retenir de me coucher sur le dos et de me laisser flotter. Mon esprit s’inonde d’une douce quiétude et se laisse bercer par les vagues me faisant prendre pleinement conscience de n’être pas loin du paradis. Nous passons une bonne heure, chacun de son côté. Jules nage. Armé de son masque et son tuba, il passe plus de temps sous l’eau qu’à sa surface. Perle marche. Elle marche sur la plage. Elle marche de l’eau jusqu’aux genoux. Elle marche de l’eau jusqu’à la taille. Ce sont des allers-retours à n’en plus finir. Ces mouvements de tête montre qu’elle se sent bien, ce qui me permet de lâcher prise et de ne penser à rien.
Penser à rien me semblait un luxe ces derniers mois. Cet instant de sérénité en est d’autant plus savoureux. Le retour à la lourde réalité ne semble pas pour tout de suite. Un bref passage aux douches publiques nous permet de nous rincer. Nous nous changeons tant bien que mal dans les sanitaires, dont l’heure déjà bien avancée réduit la file d’attente. Nous avons la chance de pouvoir acheter une glace.
Pour le repas de ce soir, mon envie de coquillettes fait rire mon homme et ma pépette. Devant ma bouille de clown, on me cède le droit de manger mon plat préféré.
Penser à rien, c’est tellement bien.
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