chapitre 12
Date se rongeait les ongles sous la nervosité. Il était terriblement inquiet. Cela faisait une semaine que Nashran avait disparu dans les appartements d’Ogma maintenant et il n’en était pas ressorti. La porte était sécurisée et un petit logo annonçait que c’était un lieu privé, soumis à l’invitation de son propriétaire. Ce n’était presque rien, mais cela coûtait un bon souhait par ici… Comment avait-il réussi à obtenir ça ? Date n’en avait pas la moindre idée, mais il comprenait à quel point cela pouvait être mauvais. Il avait tenté par deux fois de parler directement avec Ogma mais ce dernier avait juste affirmé, deux fois, que sa vie privée ne les regardait pas. Il avait toujours un petit air condescendant lorsqu’il s’adressait à un réceptacle. Il était bien plus aimable avec Zeyn même s’il ne lui avait pas dit la moindre chose supplémentaire.
Depuis, Date repassait tous les conseils qu’ils avaient pu lui donner. Nashran ne lui avait pas fait l’effet d’un jeune homme timide qui se soumettrait pacifiquement. Au contraire, il lui avait semblé débrouillard : assez pour ouvrir une porte fermée sans en avoir la clé et téméraire : assez pour sortir tout en pensant que c’était interdit pour collecter des informations ! Donc il devait sans doute appliquer les différents points qu’ils avaient envisagé ensemble, mais Ogma ne semblait pas prêt à lâcher pour autant.
Zeyn avait vérifié, il ne s’était pas fait le moindre ami. Cela voulait également dire qu’il n’avait pas la moindre personne qui pourrait les aider à le raisonner. Et il affichait à présent un genre de mépris teinté de colère envers Visu, sans que personne ne comprenne exactement pourquoi.
Installé devant les quartiers d’Ogma, Date ne pouvait que repasser les informations, il n’avait pas la moindre idée de comment réagir. Zeyn savait où il était et le rejoindrait bientôt, sans doute pour essayer de le convaincre de rentrer à la maison un moment. Son inquiétude le rongeait. Quelqu’un finit effectivement par arriver, mais ce n’était pas l’homme de sa vie. C’était seulement Graan avec sa démarche paisible et son sourire tranquille.
- On m’a dit que je te trouverais là…
- Tu me cherchais ?
- Je me suis dit que je pourrais venir te tenir compagnie.
Date lui fit un sourire sincère et soulagé. Soulagé de ne pas être le seul à se rendre compte d’à quel point la situation pouvait être mauvaise.
- Je suppose que la porte ne laisse pas passer le moindre bruit ?
- Non, rien du tout…
- Hum… Ma foi. J’espère que nous n’aurons pas à en arriver à une action des réceptacles. Tu as essayé d’aller à l’accueil ?
- On m’a dit que ça ne me concernait pas… Enfin, c’est pas comme s’il pouvait sortir pour aller se plaindre hein ?
- En effet…
Graan s’installa contre un mur pendant un moment, puis se laissa glisser pour se mettre en tailleur. Durant presque deux heures, il fit de son mieux pour distraire Date, puis il se releva, les jambes et le dos raidit par l’inaction alors qu’Ogma sortait. Sans attendre il l’interpela.
- Reproducteur Ogma ?
L’appellation étrangement formelle l’arrêta et il jeta un regard mauvais en direction de Date.
- Quoi ?
- Je me présente, je suis Graan. J’aurais aimé m’entretenir avec vous, est-ce que nous pourrions nous voir un moment ?
- Pourquoi faire ?
- Il y a de nombreuses opportunités pour un reproducteur et j’aurais aimé vous les présenter.
- Non. Vous êtes là pour mon réceptacle hein ? C’est tout. Mais vous n’avez aucun droit sur lui.
En disant « vous », Ogma avait pointé son doigt vers Date puis vers Graan.
- Aucun droit… en effet. Répondit Graan en souriant poliment.
- Alors pourquoi vous ne me foutez pas la paix !? J’ai dû faire sécuriser ma porte, est-ce qu’il faut aussi que je fasse sécuriser ma rue ?
- Si vous faites sécuriser la rue, il faudra faire le quartier puis bientôt toute la station… Vous ne pourrez pas éviter les réceptacles, nous sommes de partout. Répondit tranquillement Graan.
Il l’observa un instant enrager avant de rajouter :
- S’en prendre à un réceptacle, c’est s’en prendre à tous les réceptacles vous savez… Vous croyez peut-être que nous sommes négligeables mais il se trouve que nous ne le sommes pas et si vous devez vous en convaincre pensez juste à ceci : nous sommes importants pour d’autres reproducteurs que vous. Vous allez vous retrouver très isolé si vous partez sur cette piste.
Ogma se redressa comme s’il faisait face à un défi, ses yeux semblaient lancer des éclairs et il lâcha sombrement :
- Rien ne m’empêchera de faire ce que je veux de mon réceptacle. Il est à moi. J’en ai rien à foutre de vos leçons de morales et rien à foutre de me retrouver seul. Alors si ça vous amuse de perdre votre temps ici, grand bien vous fasse !
Et sans les laisser répondre, il tourna les talons et partis. Graan resta immobile un moment. Nashran l’avait dit, il pensait qu’Ogma n’aurait pas de limites. Il le connaissait visiblement assez bien.
- Date ? Je te laisserais négocier ?
- Négocier quoi ?
- Pour que Nashran ait une heure de sortie sans Ogma, chaque jour. Juste une heure, d’accord ?
- Je n’ai rien avec quoi négocier…
- Ca, je m’en occupe.
Et Graan lui fit un sourire confiant avant de s’éloigner d’un pas un peu plus vif que celui qu’il avait employé pour venir. Oh cela faisait longtemps maintenant qu’il était devenu un réceptacle et son corps, moins jeune que celui des petits nouveaux, était moins plaisant aux yeux de beaucoup. Il ne participait plus que rarement aux orgies d’ailleurs. Mais s’il était toujours là, c’était parce que beaucoup de reproducteur l’adoraient et beaucoup n’aimaient pas entretenir une trop grande différence d’âge avec leur réceptacle. Ogma était jeune et impulsif, il avait encore beaucoup à apprendre, mais il apprendrait. De gré ou de force.
Graan se rendit dans un premier temps à l’accueil. C’était très rare qu’il s’y rende, mais il connaissait tout le monde et gentiment, il s’enquit de la santé de chacun et de comment allait leurs proches. En quelques questions à peine, il réussit à obtenir les informations qu’il désirait. Puis il se rendit chez différents reproducteurs et échangea quelques mots avec eux pour qu’ils fassent passer l’information avant d’en parler aux réceptacles. Ils étaient assez unis pour qu’il soit sûr et certain d’obtenir ce qu’il voulait sans efforts.
Durant tout le temps que cela lui prit pour faire ces trajets et échanger quelques mots avec chaque personnes croisées, Ogma prit son temps pour flâner entre les devantures admirant les objets qui s’y trouvaient. Il ne pourrait pas tout ramener chez lui, bien-sûr et tant que Nashran continuait de s’amuser à tout détruire autant ne rien ramener, mais dans son esprit il formait une liste de souhait et notait chaque élément qu’il possèderait un jour. Il se sentait excessivement riche et adorait cette impression.
Lorsqu’il rentra, il portait l’une de ces petites mallettes contenant des fioles de drogues récréatives toutes plus inventives les unes que les autres. A force de perdre Nashran dans le plaisir, il devrait bien reconnaître qu’il aimait ça ! Le vieux réceptacle pénible était parti, mais le petit impertinent était toujours là et comme attendu, il s’interposa pour lui parler une nouvelle fois.
- Nous pourrions négocier ! lâcha-t-il, surprenant le reproducteur qui s’arrêta.
- Négocier ?
- Oui… Laissez sortir Nashran une heure par jour, une heure, seul, ce n’est presque rien. Qu’il aille voir ses amis, qu’il aille marcher ou s’aérer l’esprit, peu importe. Une heure de liberté.
- Non merci. Nashran est à sa place chez moi.
Ogma secoua la tête et évita le plus petit avant de s’engouffrer dans son appartement si vite que Date ne put pas voir à l’intérieur. Le réceptacle soupira. C’était évident qu’Ogma n’accepterait pas… Il n’avait aucun moyen de pressions, rien pour le faire plier et ce type ne se remettrait visiblement pas en question. Il resta là, à attendre jusqu’à ce que Zeyn le rejoigne et l’embrasse tendrement avant de lui caresser le visage.
- Je n’ai même pas pu l’apercevoir…
- Qu’est-ce que tu aimerais faire maintenant ?
- Je ne sais pas… Je n’ai aucune idée de comment l’aider.
- Alors allons dormir et on verra demain d’accord ?
Date hocha la tête, épuisé et suivit son amant jusqu’à leur quartier. On disait que la nuit portait conseil, mais après une nuit entière à remuer dans son lit sans trouver réellement le sommeil jusqu’à ce que Zeyn, épuisé, lui fasse l’amour et arrive enfin à l’apaiser… après tout cela, il n’avait pas plus d’idées. Il retourna néanmoins attendre devant les quartiers d’Ogma, refusant de lâcher la pression. L’endroit était encore très calme, loin de l’agitation quotidienne qui viendrait dans la journée. Comme chaque jour, des badauds passeraient, des reproducteurs allant d’une zone à l’autre, des gens pressés de rejoindre leurs amis ou leurs amants. Il n’avait aucune idée d’où se déroulerait les orgies du jours, mais ce seraient les points névralgiques attirant le plus de monde. Observer les allées et venues était la seule distraction qu’il avait, alors il notait les allures de chacun, la manière dont ils marchaient et leurs directions, sans même penser à quoique ce soit.
L’endroit était bien animé lorsqu’il remarqua l’un des jeunes réceptacles qui étaient arrivés très récemment s’approcher lentement, hésitant.
- Salut, c’est toi Date ?
- Euh oui.
- Ah ! Je ne connais pas encore tout le monde. On m’appelle Greenyader.
Date l’observa un moment sans comprendre avant qu’il n’ajoute :
- On est bien devant chez Ogma ?
- Oui. Tu le connais ?
- Non.
Date regarda le garçon s’installer contre le mur tout près de lui sans comprendre et quelques minutes plus tard, un autre réceptacle apparut et vint s’asseoir non loin tout en les saluant d’un hochement de tête. En moins d’une heure, ils étaient une quarantaine et en fin d’après-midi, lorsque Ogma ouvrit finalement la porte dans le but de sortir se promener pour se calmer l’esprit après une journée éprouvante auprès de Nashran, ils étaient près d’une centaine. Graan attendait près de la porte avec Date, il le salua poliment et sans laisser à Ogma le temps de se remettre du choc il lui demanda :
- Est-ce que Nashran pourra sortir chaque jour durant une heure ?
- Quoi ? Non !
Graan hocha simplement de la tête comme si c’était évident qu’il refuserait.
- D’accord, nous attendrons alors.
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