Narcose

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Douleur achevée. Je l’ai anéantie. Edition génomique de SCN9A et très certainement des autres sous-unités associées. Je comprends mieux mon échec… Je me souviens. Puis j’oublie ; asynchrone – dissociation. Le sommeil m’est une stase, l’entrave de toute une chair en chaos. Je suis un corps mort, mes poumons s’effondrent. Je coule, m’abime, me noie. Le masque me dévore tandis que je m’oxyde.

Mais il est trop –

– tard.

tôt ?

Tu es toujours de dos, durant les entrevues. Tu t’égares dans la vitre sans tain, ce reflet de toi-même qui ne réfléchit plus à rien. Le projet s’appelle Némésis. Je suis jeune, lâche, sans illusion mais je signe. Je perds mon nom et tu m’offres le tiens, avec un café. Tu seras le cerbère d’un pauvre biologiste un peu geek. Le premier d’une longue lignée.

Une pieuvre ailée picore ma cervelle plombée ; éclaboussures d’aquarelles, des étoiles de métal valdinguent. Magnétoréception en carafe et cryptochromes en détresse.

Mayday ?..

Tu as traversé le miroir. Fragments de futurs brisés. C’est la première fois que tu me regardes dans les yeux. Tellement, tellement de chose à te dire, mais toi, grand muet, tu ne réponds jamais. J’ai l’impression d’être une princesse dans tes bras quand tu me soulèves. La Belle au bois Dormant tombée sous le glaive vorpal.

Je vous hais - toi, les tiens, et tous les chiens de guerre qui croient que le monde leur appartient - mais pas autant que moi.

L’anesthésiste est un putain d’artiste ! Le temps se dilate et s’étiole. Le goût et le sentiment du fer, là, entre mes dents brisées. Tout est blanc puis mute en couleur d’une télévision allumée sur une chaîne défunte. Ça chuinte, gémit et pleure. Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.

Je ne sais plus. Ne peux plus.

Matrixé, mon tombeau est de verre et de sérum. Plasmatique-tac-toc ! Je dé

lire.

Je compte les petites souris. Un, puis deux. Rêves de moutons électriques. Dessine-moi… Grossesse gémellaire homozygote. Trois, puis quatre. Alpha, beta, gamma. Le chat rode autour de moi, se love. Cinq et six et sept et huit. Neuf. Mille neuf-cent quatre-vingts q… KO fonctionnel. Laboratoire flambant et budget indécent. Je dis oui. Mu, delta, kappa. S’il te plaît… Bons baisers pleins de haine.

Le chat dans la boîte. Une vieille blague de physicien. What is Life ? Triomphe et tragédie d’un génie.

Non, ce n’est pas mon livre préféré. Je ne te l’ai jamais dit.

Tu es là. Pulse contre toi le chant de l’acier. Bruit et fureur, Faust et Méphistophélès ainsi réunis. Tu refermes le livre sur tes genoux sans marquer la page. La perfusion égoutte nos non-dits. Ma peau est humide, je frisonne.

– Tu vas finir par te tuer, avec tes conneries, Frank… Mais c’est peut-être ce que tu veux, au final, non ?

Ton reproche est un aveu. Mais il est trop tard pour avoir des regrets. Je n’ai jamais voulu mourir. J’y ai réfléchi. Longtemps. Avec la froideur d’un clinicien face au plus féroces des crabes. Appelons ça de l’acharnement thérapeutique.

C’est toi qui as choisi mon pseudonyme de mission – avec un certain humour, je le concède. Enfin, l’ancienne version de toi. J’ai perdu le compte. Toi ta tête, et moi la mienne.

Je me redresse dans ce lit d’hôpital. Mes yeux clignent, tout est flou, mais te devinent en uniforme. Je tâte mon visage d’étranger, constate les dégâts. Joues lisses comme un gamin, cavité orbitale droite vide. Ces salopard de chirurgiens ont rasé mes cheveux. Les marques des agrafes me tirent derrière l’oreille, jusqu’à l’occiput. D’un bout à l’autre de mon crâne nu, je retrace la trajectoire de la balle, celle de ma dernière expérience.

J’observe mes mains; les ongles longs, les doigts amaigris, les taches de dépigmentation sur cette peau élastique, souple, si jeune pourtant. Je voudrais enlacer mes doigts aux tiens. Ma mise au point bagarre. Je cherche la lumière du jour et alors, seulement, je te vois. Tu portes la cinquantaine du militaire qui cavale comme un lièvre tous les matins mais tu te meurs. Ta respiration est râle, sifflement, glaire en caillot. L’odeur de l’eucalyptus t’embaume comme un mort qui marche.

Tu m’en veux pour avoir refusé de te transmuter. Incompatibilité, j’ai coché. Ça, tu ne me le pardonneras jamais. Alors tu es allé faire le cobaye chez la Reine Rouge, pour un succès relatif. Premier Jango Fett ou ghola telaixu cancéreux congénital de l’humanité. Sujet zéro maintenant au rebut.

Mais je peux arranger ça, n’est-ce pas ?

Temps de latence. Sourire d’orange bleue. Mon esprit a une fulgurance :

– That is not dead which can eternal lie, And with strange aeons even death may die.

Voilà. Maintenant tu te souviens pour moi, Narcisse. Alors, va me chercher ces putains de séquences génétiques que Pablo a fourré dans la pieuvre ailée.

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