Lorsque la porte s’ouvrit sur la silhouette inespérée de celui qu’elle ne voulait plus voir, Abby sursauta et la baffe partit sans qu’elle ne puisse la retenir. Quelque part au fond d’elle, elle se sentit fière et soulagée, comme libérée d’un poids qui la hantait depuis quelques temps déjà. Puis, elle se mit à crier rageusement :

— Je peux savoir ce que tu fais ici ?!

De son côté, Max se tenait la joue de sa main qui s’était auparavant aventurée ailleurs. Il la retira aussitôt, d’un air dégoûté, puis répondit sur le même ton que cette fille aux cheveux roses :

— Euh pardon ?! T’es qui toi ?

Quelque chose se mit à vriller dans le ventre d’Abby, et pour une fois, ça n’avait rien à voir avec son bébé. Bordel, ce mec… c’était Tom ! Et il osait feindre ne pas la reconnaître !

— Te fiche pas de moi, Tom ! Comment oses-tu…

Max crut défaillir : cette folle furieuse venait de prononcer le nom de son frère ! Une coïncidence, un hasard ou peu importait, c’était trop fou pour être vrai !

— Tom ?! Euh, y a erreur sur la marchandise là. C’est pas moi. J’suis Max, son… son frère jumeau.

Il haussa les épaules. « Mais oui bien sûr ! » songea Abby en roulant des yeux. Tom n’avait jamais fait mention d’un frère. Jumeau, qui plus était ! C’était tout à fait impossible. IM-PO-SSIBLE ! Il ressemblait trop à Tom pour ne pas être Tom. Ceci dit, les muscles que dévoilait son débardeur semblaient plus saillants, et il émanait de lui une aura empli de quelque chose qu’elle ne lui connaissait pas. Quelque chose qui ressemblait étrangement à… de l'érotisme.

— Ha, je crois pas non ! Oh et puis, c’est tellement naze l’excuse du frère jumeau ! T’assume pas, c’est ça ? Rah, j’y crois pas !

Et même Tom Junior était d’accord avec elle. Il donnait de violents coups comme s’il cherchait à le frapper pour de vrai.

— Mais puisque je te dis que je suis pas Tom ! Et puis qu’est-ce qu’il devrait assu…

Max se tut. Et il comprit en voyant ce ventre rond, à moitié caché par un top quasi trop petit.

— Oh bordel ! Il t’a mise en cloque ?!

Une nouvelle fois, la claque partit toute seule.

— ARRÊTE de te payer ma tête !

C’en fut trop pour Max, qui se retint de plaquer la paume de sa main contre son visage. Il pointa du doigt le nom inscrit sous la sonnette, où était inscrit lettre pour lettre : Max Ella.

— JE SUIS MAX ! Le frère de Tom ! Et ARRÊTE de me taper, bordel !

Abby mit du temps avant d’assimiler les informations, mais l’étiquette indiquait effectivement que ce n’était pas Tom.

— Mais alors…

Elle se pinça les lèvres. Oh. Mon. Dieu ! Elle aurait préféré se terrer six pieds sous terre, dans le jardin commun, plutôt que de faire face à ce regard de jade qui lui jetait des éclairs.

— Je… Désolée !!! J’ai cru que t’étais… Enfin, t’as compris quoi.

Son cœur battait fort dans sa poitrine, dans sa gorge. Elle qui croyait avoir retrouvé Tom. Elle qui croyait pouvoir l’affronter et lui balancer à la figure toutes ces choses qu’elle se gardait pour elle depuis trop longtemps. Elle qui croyait pouvoir ponctuer son discours avec un coup de pied bien placé afin qu’il n’engrosse plus personne. Elle ricana intérieurement : aucune chance qu’il le fasse avec son mec !

Puis, les larmes se mirent à couler du coin de ses yeux noisette. Ah, ces foutues hormones de grossesse… Max eut un mouvement de recul. Elle pleurait pour de vrai ?

— Euh… ça va ? Pourquoi tu pleures ?

— J’voulais juste des fraiiiseuh ! Et voilà que j’tombe nez à nez avec le frèreuh de celui qui m’a brisé le cœur… Booouh !!!

Désemparé par la scène, il ne trouva rien d’autre que de lancer :

— Hé calme-toi, ça va aller… Est-ce que je peux faire quelque chose pour t’aider ?

Pour commencer, il aurait pu arrêter de ressembler physiquement à Tom, mais ça paraissait plutôt compliqué… Foutue biologie ! De tous les voisins de l’univers, il fallait qu’Abby tombe sur celui qui partageait le même ADN que lui… Ah, le monde était franchement injuste pour une jeune femme enceinte et à fleur de peau.

Entre deux sanglots et de la morve s’écoulant de son nez, elle ronchonna d’une petite voix :

— J’veux des fraises…

— OK, il devrait m’en rester encore quelques-unes, je crois…

Le reste avait servi pour une scène olé olé qu’il avait tourné dans la journée, “cadeau” qu’il avait pu ramener à la maison, mais Max se garda de lui en faire part. D’un geste princier, il invita cette inconnue à entrer chez lui. Abby aurait voulu se crever les yeux, il était beaucoup trop sexy ainsi ! Non, stop ! C’était le frère de son ex. C’était le frère de son ex. C’était le frère de son ex. C’était le frère de son ex. C’était-

— J’ai de la chantilly aussi, t’en veux ?

Elle sortit de ses pensées et acquiesça.

— Nutella, t’as aussi ?

— Tu voulais pas juste des fraises ?

Et elle voulait aussi oublier Tom, mais elle ne pouvait pas tout avoir. Donc autant s’envoyer des fraises recouvertes de Nutella et de crème chantilly ! Le bébé qui gigotait dans son ventre en réclamait, lui aussi.

— Tiens, c’est pas du Nutella mais c’est pareil, juste sans huile de palme.

Max déposa un pot de pâte à tartiner, un tube de crème fouettée et une barquette de fraises sur la table, devant le regard pétillant d’Abby.

— De la Nutella !

— Ah non, commence pas avec ça ! On est chez moi, je t’offre le couvert, alors tu vas te plier aux règles et dire du Nutella comme tout le monde !

— Bla bla bla…

Elle grimaça, sourit discrètement, puis s’empara d’une fraise sans se soucier de possiblement se faire empoisonner par un psychopathe qui déterminait Nutella au masculin. Après une, deux, trois fraises, tantôt trempées dans la pâte à tartiner, tantôt recouverte de chantilly, Max décida de poser une des nombreuses questions qui lui brûlaient les lèvres :

— Au fait, c’est quoi ton nom ?

Information pertinente, quand on laissait entrer chez soi la fille qui portait sûrement l’enfant de son frère.

— Abby.

Charmant. Un prénom qui lui allait à ravir, malgré ses allures de folle furieuse. Il baissa les yeux au niveau de son ventre rond de 6 mois, caché sous la table.

— Et… lui ? elle ?

— Je sais pas… Petit asticot ? Bébé boxeur ? Tom Junior… ?

— Pardon, c’était déplacé de ma part…

— Tout comme moi de te demander des fraises, de la chantilly et de la… hum, du Nutella.

Elle rit, dévoilant ses jolies dents blanches, et Max lui rendit son sourire. OK, elle n’avait plus rien d’une personne déjantée et il comprenait mieux pourquoi son frère s’était mis avec elle. Elle était mignonne, avec ses cheveux ondulés rose fuchsia, ses grands yeux bruns globuleux à cause des larmes et ses lèvres naturellement pulpeuses recouvertes d’un rouge à lèvre à moitié effacé. Cherry ne lui arrivait même pas à la cheville, pas même au niveau de ses formes. Hm, si seulement ses collègues de travail étaient aussi attirantes qu’elle ! Il prendrait beaucoup plus de plaisir. Du vrai plaisir.

L’espace d’un instant, il repensa au scénario pourrit qu’il devra mettre en scène le lendemain, et imagina Abby à la place de cette fille polonaise, Nikita, avec qui il devra jouer la comédie. À coup sûr, le sexe serait sûrement mieux avec elle, même enceinte (pourtant, il s’était juré de ne plus tourner avec des futures mamans). Non, stop ! C’était l’ex de son frère. C’était l’ex de son frère. C’était l’ex de son frère. C’était l’ex de son frère. C’était-

Il secoua la tête, se forçant à remettre de l’ordre dans ses idées.

— OK Abby, saches que si tu as envie de parler, ou besoin de quelque chose, je suis là. Je sais pas ce qu’il… s’est passé, mais peu importe. Sens-toi libre de revenir quand tu veux. Par contre, si tu pouvais juste éviter de me foutre des claques la prochaine fois, c’est pas dans mon domaine…

— Comment ça, « dans ton domaine » ?

— Ahem, oublie. C’est pas important…