CHAPITRE 16 : THOMAS DEBUT D'ANNEE 1989
"Par les yeux de sa maman, on découvre la dimension de l'amour"
Jean Gastaldi , Le petit livre de la Maman
Nous déposons à l'instant nos bagages dans le couloir de la maison. Carole et Adam nous ont tous invités à New Yprk pour le nouvel an. C'était la première fois que je voyais, que nous voyions Time Square illuminé pour les festivités du nouvel an. Carole a décidé de nous offrir cela comme cadeau de fin d'année et ce fut grandiose. Nous y avons tous été ! Quand je dis tous, ce fut tous : mes frères de sang, mes frères de cœur, la femme que j'aime et les enfants qu'elle porte. Sarah est resplendissante, la grossesse lui va bien, elle est radieuse, mange pour dix et pourtant elle ne s'arrondit que légèrement. Souvent en plein milieu de la nuit, je l'entends descendre à la cuisine se préparer un petit en-cas.
Sarah s'est installée chez nous depuis que ses parents l'ont mise à la porte. Ils ont fait cela le jour de Noël, génial pour elle. Enfin, ici elle a trouvé une famille, des amis, de la chaleur humaine et moi ! Je suis fou d'elle, mais malgré tout, il y a autre chose qui trotte dans mon esprit. Bon Jovi souhaite que l'on participe à leur prochaine tournée, c'est grandiose, indescriptible. Nous avons été trouvés le préfet, enfin il est au courant, vu que l'entrevue s'est déroulée dans son bureau, mais nous avons été chez lui afin de lui demander comment faire pour nos cours. La tournée débute au mois de mars et jusqu'à la fin juin. C'est énorme ! On a accepté sans réfléchir, on a signé. Quand je dis "on", je pense à Julian et à moi-même. D'ailleurs, je voudrais inviter Hector et Hugo à mettre l leur grain de sel dans l'organisation du groupe. Julian et moi c'est très bien, mais plus il y a d'esprits, plus il y a d'idées. Le préfet nous propose de nous faire passer sans examen. On a tous, tous les cinq, Sarah nous accompagne, une excellente moyenne, quand je dis "excellent", le mot est faible. La note la plus faible est un "B+" en mathématiques pour Julian et moi-même et un "B+" pour Hugo et Hector en littérature anglaise. Sarah n'a que des "A". Mes enfants auront son intelligence, j'en suis convaincu.
Nous avons accepté le deal du préfet, après en avoir parlé à Monsieur Robinson. Il pense lui aussi que c'est une bonne idée. En rentrant à la maison ce jour-là après les cours, nous entendons une voix inconnue de nous dans le living. Maman est installée avec monsieur Bertrand, notre banquier et un autre homme que je ne connais pas.
— Bonjour les garçons, vous allez bien ? Je vous présente monsieur McCormak. Il est manager et il vient d'avoir eu vent de votre contrat avec les Bon Jovi. Il souhaite travailler avec vous.
— Bonjour Monsieur McCormak, je suis Thomas, je vous présente Julian, Hugo et Hector, les musiciens du groupe. Merci de venir nous voir.
Un petit gars avec une calvitie naissante se lève tout sourire et nous serre la main. Il me paraît sympathique, mais faux et notre banquier ne tarit pas en éloges sur lui. Deux heures plus tard, nous avons signé un contrat avec lui, il est notre premier manager pour la première tournée que nous faisons. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas voulu plus, j'ai dit d'accord pour la première tournée, celle que nous faisons en suivant Bon Jovi, mais je ne veux pas davantage.
— Thomas, il faut penser plus loin. Vous irez loin, ce que vous faites est excellent.
— Le public nous dira si ce que l'on fait est bon ou pas et tant que l'on n'a pas commencé, on ne peut pas le savoir. Alors, je signe pour une tournée, celle-ci faite avec Bon Jovi qui commence en mars et qui se termine en juin, pas un jour de plus. C'est à prendre ou à laisser.
— Julian il faut raisonner votre ami, mon garçon !
— Ce n'est pas mon ami, c'est mon frère et il est le leader du groupe. Il dit que l'on signe sous certaines conditions, on le fait. Vous acceptez c'est bien, vous n'acceptez pas on trouvera une autre personne.
— Madame Da Vinni, il faut ramener votre fils et ses amis à la raison, il faut signer pour un plus grand laps de temps.
Monsieur McCormak essaye de séduire ma maman, il a essayé avec Julian et cela n'a pas fonctionné. Maman se tourne vers moi et me dit :
— Thomas, tu dois faire ce que tu penses et j'estime que c'est une bonne décision.
— Maman, on ne sait pas ce que l'on vaut en stade, on va peut-être se casser la gueule. On joue dans des bars, maintenant Bon Jovi nous propose de faire des stades, c'est tout à fait autre chose. Je ne veux pas signer pour plus longtemps que le temps de la tournée.
Carole s'est tournée vers nous tous, mais en oubliant monsieur McCormak. Chacun lui a fait un signe de la tête en disant qu'il approuvait ma décision.
— Mes enfants ont pris leur décision, monsieur McCormak, cela sera une tournée, ou cela ne sera pas. Décidez-vous, j'ai un coq au vin dans le four, je ne voudrais pas qu'il brûle !
Monsieur McCormak, Brian, a sorti le contrat, nous l'avons lu, nous avons changé ce que nous voulions et nous avons signé. Dix minutes plus tard, il sortait de la maison et nous étions attablés autour d'un splendide coq au vin. Nous avons mis le pied à l'étrier, en quelques semaines, nous étions sortis de l'adolescence, j'avais mis enceinte la femme de ma vie, mes frères et moi-même allions travailler avec Bon Jovi.
Julian s'est levé, il a été prendre des coupes de champagne et deux bouteilles. Nous avons trinqué à tous ces changements. Malgré tout cela, je pense que ce sont les mots de Julian qui ont le plus comptés ce soir-là. En levant son verre, il a dit :
— Les gars, et Madame (en regardant Sarah), on va jouer avec Bon Jovi, je pense que notre rêve va se réaliser et dans pas longtemps. Je t'ai dit que l'on remplirait des stades, je le sens, je le sais, j'y crois. On va faire un taf formidable et c'est grâce à ce petit cercle d'humains qui est autour de moi aujourd'hui et aussi grâce à une femme extraordinaire qui a changé le cours de mon existence, ma maman Carole. À la nôtre les gars !
On a tous repris en cœur ses bons vœux, mais j'ai vu maman essuyer ses yeux, ils étaient humides. Elle était fière de nous, elle était fière d'avoir une tribu comme la sienne à ses côtés, elle était fière d'avoir un fils de plus en la personne de Julian ; moi j'avais déjà un frère de plus depuis une dizaine d'années, mais Julian ne l'avait jamais appelée "maman" avant ce soir.
— Thomas, on peut se voir quelques minutes ?
— Bien sûr, viens, on va se promener.
Nous sommes sortis avec les deux chiens que nous avions.
— Ça va?
— Je crois que j'ai fait une bêtise.
— A quel sujet ?
— J'ai appelé Carole, "maman", je ne l'avais jamais fait, j'aurais dû t'en parler avant de le faire.
— C'est ça ta bêtise ?
— Je suis sérieux, mec, c'est ta maman biologique, malheureusement pas la mienne, me dit-il en baissant la voix, brisée par l'émotion.
Je me suis arrêté et je l'ai regardé en disant :
— Julian tu es mon frère, au même titre que Matthew ou Luke et maman t'aime comme elle peut nous aimer nous. Tu fais partie de la famille et moi cela fait une dizaine d'années que j'ai un frère de plus. Ne remets jamais tes sentiments, ni les miens, ni ceux de nos parents, et je dis bien ceux de NOS parents, dans une balance. Ils nous aiment pour ce que nous sommes, ce que nous faisons et moi aussi je t'aime, espèce d'idiot.
Julian s'est mis dans mes bras en pleurant et en ajoutant :
— Tu es le meilleur des frères que je pouvais rêver d'avoir, merci d'être toi Thomas, merci.
J'ai embrassé Julian dans les cheveux comme je l'ai toujours fait. Ce mec est mon frère, mon âme sœur, mon double, ma moitié, je suis le jour, il est la nuit, je suis le noir, il est le blanc. Je ne sais pas l'exprimer, ce que je sais c'est que je suis fier d'avoir un compagnon de route comme lui. Je le prends dans mes bras en passant un bras au-dessus de ses épaules et c'est tout naturellement qu'il passe un bras autour de ma taille. Que l'on ne se méprenne pas, on n'est pas ensemble ! On aime les filles, l'un comme l'autre, mais j'ai besoin de l'avoir auprès de moi, il est heureux, je suis heureux, il souffre, moi aussi. On a cette capacité d'exprimer nos sentiments, positifs ou négatifs, mais on exprime ce que l'on ressent, et cela c'est grâce à l'amour dans lequel on a vécu.
On a déambulé dans les rues de notre quartier, et je ne sais pas pourquoi, mais on a savouré cette promenade, j'ai l'impression de découvrir certaines rues, certains aménagements. Je m'accroche à ces rues, à ce quartier, c'est ici que j'ai toujours vécu et dans quelques jours, nous serons sur les routes avec un groupe mythique. Cela m'excite et m'effraie en même temps. On a à peine dix-huit ans pour certains, Sarah, Hugo et Hector, dix-sept pour ma part et Julian et notre vie est en train de changer de façon radicale. Cela me fait peur.
— Je ne sais pas où cela va nous conduire, mais je sais que jamais, tu m'entends jamais, nous ne serons séparés. On est fait l'un pour l'autre !
— Merde, je vais devoir te coltiner encore pas mal d'années, me dit-il en me bousculant.
Nous partons dans de grands éclats de rires. Julian a toujours le mot pour rire, la phrase, le mot, l'éclat de rire qui fait qu'une situation se déride.
— On rentre mec, les chiens sont crevés !
Les jours ont passé, les semaines aussi. Nous étions au taquet, la folie de la jeunesse, l'espoir de vivre quelque chose de grandiose, la vie tout simplement. Nous avons préparé nos bagages et nous avons embarqué à bord d'un avion pour rejoindre Bon Jovi sur leur tournée baptisée "New Jersey Syndicate Tour", une tournée de fous. Elle a débuté en octobre 1988 et leur programme se termine en février 1990. Nous avons pris un avion et nous sommes arrivés à Providence le matin du 2 mars 1989, nous allions donner notre premier concert dans une salle de concert, il y avait quelques quatorze mille personnes. Notre manager nous a accueillis sur place, tout était prêt. On a juste installé notre matos et on a répété. On a joué ensemble pendant certainement quatre heures, Sarah était auprès de nous. Que demander de plus ? J'avoue que j'ai eu mon "petit plus" lorsque Jon est entré sur scène avec des sandwiches et des boissons en mains. Jon Bon Jovi nous apportait de quoi manger :
— Bonjour les gars, vous allez bien ?
— Bonjour Monsieur, oui merci et vous ?
— On va travailler ensemble, je crois en vous, vous faites un boulot formidable, alors faites-moi plaisir, je m'appelle Jon, pas de Monsieur entre nous. Prenez une pause, on va déjeuner.
On s'est assis par terre sur la scène, on déjeunait avec Jon Bon Jovi, tout bonnement incroyable. Quelques instants plus tard, le guitariste du groupe est arrivé, Richard Sambora, dit Richie, un des plus grands guitaristes de sa génération, un des meilleurs au monde. Il s'est assis avec nous, il s'est fait remonter les bretelles par Jon suite à son retard, ce qui nous a franchement fait rire.
— Vous êtes sérieux ? Il arrive dix minutes plus tard, et vous lui faites la remarque, c'est dingue !
— Non Thomas, ne crois pas cela, c'est le respect. Si il arrive en retard aujourd'hui pour vous écouter, il peut arriver en retard demain à un concert et je ne le tolère pas, a ajouté Jon. J'ai l'impression de me voir en toi, il y a quelques années. Vous irez loin, très loin !
— Vous savez, il y a quelques mois, si on m'avait dit que nous serions en première partie de Bon Jovi, je ne l'aurais jamais cru ! J'aurais été fier de porter vos bagages, vous êtes une légende du rock !
— Merci c'est sympa, et puisque tu en parles, il reste des valises dans les camions, a ajouté Jon en étant très sérieux. Julian a été le premier à répondre, comme d'habitude :
— Des valises dans les camions ? Alors que l'on a vu votre avion à l'aéroport.... enfin je veux bien donner un coup de mains, sans souci.
Note : "New Jersey Syndicate Tour", est une des tournées de Bon Jovi. Elle a débuté en octobre 1988 et se termina en février 1990. Une des plus longues et des plus lucratives du groupe. Les villes citées ont été visitées par Bon Jovi, mais les Hard Night n’ont jamais fait leur première partie.
Julian et Richie sont partis dans une discussion endiablée sur les rifts de guitares. Ils se sont levés et ont travaillé pendant une bonne heure. Jon m'a pris à part :
— Thomas, il y a quelque chose qui ne va pas ?
— Non, pas du tout.
— Encore un point, ne me mens pas, si tu veux que l'on travaille ensemble.
— J'ai la trouille, je, enfin nous allons faire votre première partie, c'est énorme ! Je n'ai jamais joué dans une salle comme celle-ci ! J'ai le trac, je ne veux pas bousiller votre programme.
— Viens, m'a dit Jon en me tendant la main.
J'ai pris sa main et nous avons grimpé en haut des tribunes.
— Regarde ! Tout cela est à toi, mais à une seule et unique condition. Tu ne chantes pas pour payer tes factures, tu chantes pour donner quelque chose au public, tu partages, tu donnes et tu reçois. Tu ne chantes pas avec ta voix, mais avec tes tripes, me dit-il en mettant sa main sur mon ventre et si tu exprimes ce soir ce que tu viens de me dire maintenant, le public va t'aimer, le public va vous aimer. N'aie aucun doute sur tes capacités, autrement je ne t'aurais pas demandé de venir, je suis convaincu du travail que tu accomplis. Fais ressortir tes sentiments, n'aie aucune crainte d'exprimer ce que tu ressens et grâce à cela, le public se souviendra de toi, de vous. N'hésite pas, parle ce soir, communique avec tous ces gens qui seront ici. Explique pourquoi tu as écrit telle ou telle chanson, dis leur pourquoi tu as choisi de faire ce morceau-ci à la place d'un autre, c'est ça chanter. Prendre un micro et lire un texte, tout le monde sait le faire. Je vous ai choisi pour ce que vous avez tout au fond de vous, il ne faut pas hésiter à l'exprimer, c'est comme cela que tu grandiras en tant que chanteur.
Jon s'est levé, il a passé sa main dans mes cheveux et a ajouté "à ce soir, prends le temps que tu veux sur scène, tu me donnes juste le titre de votre dernier morceau".
— Jon ?
— Oui, Thomas ?
— Merci, pas pour la tournée, pour ce que tu viens de me dire. Je ne te décevrai pas, je te le promets.
Il m'a souri et a repris le chemin inverse pour se retrouver sur scène. Je suis resté assis quelques instants, puis j'ai rejoint les autres et nous avons encore répété pendant deux heures. Nous sommes sortis et nous avons été nous reposer. On jouait pour la première fois en salle, je n'ai pas su dormir, Julian non plus. Brian nous a tout réservé et on a deux suites pour nous cinq, ce qui est plus que suffisant. Sarah se repose, je referme délicatement la porte et je vais rejoindre Julian. Il est allongé, mais je sais qu'il ne dort pas. Je me déshabille et je me glisse dans le lit à ses côtés. Il se retourne et on se met dans les bras l'un de l'autre.
— Tu imagines, mec ? On va jouer avant Bon Jovi !!! Je n'en reviens pas !
— Pourtant, il y a quelques semaines, tu as dit que tu voulais remplir les stades... j'ajoute en souriant.
— Je n'ai pas cru que l'on y arriverait si vite, cela me fout les boules.
— J'ai peur aussi, mais tu sais Jon m’a dit qu'il nous a choisis pour nos qualités artistiques, on ne doit pas avoir peur de ce côté-là.
— De quoi on doit avoir peur alors ?
— Jon a dit que si on chantait avec nos tripes, on était capable de toucher le public et si on le fait ce soir, on y arrivera le restant du temps.
— Je t'aime Thomas et j'ai confiance en toi.
— Moi aussi je t'aime Julian et j'ai confiance en nous, en nous tous. On va y arriver.
Deux petites heures plus tard, on se réveille. J'entends la porte qui grince, Sarah l'ouvre délicatement et vient s'asseoir sur le lit. Je sens sa main qui passe dans mes cheveux et j'adore cela. J'ouvre un œil et Sarah est auprès de nous. Elle me sourit et débute :
— Bien dormi ?
— Oui ma puce et toi ? Je ne voulais pas te réveiller, je suis venu dormir avec Julian.
— Très bien, merci, j'en avais besoin, ils commencent à être lourds me dit-elle en mettant sa main sur son ventre.
Je m'assieds, la prends dans mes bras et l'embrasse. Julian nous interrompt :
— Pas de ça en me réveillant, s'il vous plaît !
Sarah lui jette un coussin à la tête, je me lève et je vais prendre une douche. Je les entends parler de tout, de rien. Je sors de la douche et j'ouvre la porte. Sarah est debout devant Julian, elle lui a pris les mains et lui parle :
— Tu es son âme sœur, promets-moi de prendre soin de lui pour le restant de tes jours et d'eux aussi par la même occasion.
— Sarah, c'est ton mec, tes gosses, dit-il en riant.
Elle a attrapé son t-shirt et le regarde dans les yeux, je n'entends que des murmures. Des années plus tard, je connaîtrai mot pour mot les paroles qui ont été échangées :
" Je suis sérieuse, je veux que tu me promettes que quoi qu'il arrive, aujourd'hui, demain, dans vingt ans, mon mec et mes enfants auront une personne sur laquelle ils peuvent compter et je veux que ce soit toi.
Je te le promets Sarah, aujourd'hui, demain et dans vingt ans."
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