"Je t'aime dans le temps.

Je t'aimerai jusqu'au bout du temps.

Et quand le temps sera écoulé, alors, je t'aurai aimée.

Et rien de cet amour, comme rien de ce qui a été, ne pourra jamais être effacé."

Jean D'Ormesson

"Un jour je m'en irai sans avoir tout dit" 

 Je me suis endormi en tenant Thomas dans mes bras. Lui, il ne dort pas, jamais dans un avion, même lorsque nous sommes dans nos avions privés, il ne fait que se reposer. Nous arrivons en Europe, en Allemagne plus précisément. En effet, l'idée est que nous remontions le Danube afin de voir l'étendue du travail qui attend Jackson et Jessica. Le Danube est le deuxième plus grand fleuve d'Europe, après la Volga. Il traverse divers pays comme l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie. Oliver nous a établi un planning au travers de ces divers pays. Nous y restons huit semaines. Les deux premières semaines de travail des enfants sont plutôt théoriques. Ils ont déjà fait divers stage durant leurs études, et le dernier chez Solvay, mais maintenant ils vont faire connaissance avec l'équipe qui va travailler avec eux sur place. Le métier, ils le connaissent en théorie, la pratique se fait sur le terrain et commence avec les personnes qui sont sur place.

 Nous partons vers notre hôtel et les enfants vont rejoindre leur équipe. Cela me fait sourire "les enfants", ce ne sont pas les miens biologiquement parlant, pourtant je me souviens encore des mots de Sarah qui m'a fait promettre de veiller sur eux et sur son homme. Je ne sais pas si elle accepterait ma décision de vivre avec Jessica, je pense que oui. En pensant à elle, je lève les yeux au ciel et je lui dis "veille sur nous, s'il te plaît, je t'aime ma grande". Je ne vais pas dire que je suis un fervent catholique et encore moins un grand pratiquant, mais je pense qu'il y a quelque chose, quelque part, je ne sais pas où, ni sous quelle forme, mais Sarah est auprès de nous, j'en suis certain.

 J'ai passé le restant de la journée sur la terrasse à paresser au soleil et cela m'a fait du bien. Nous nous sommes tous installés et nous avons récupéré du voyage et je pense aussi de la tournée. Nous avons trois mois de relâche et nous en avons besoin. Jessica me rejoint vers dix-huit heures. Pour une fois, je n'ai pas pris de chambre commune avec Thomas, il dort avec Jackson. Jessica lui a expliqué qu'elle avait besoin d'être avec moi, elle avait besoin de parler, son job était un sacré défi ! Je ne sais pas si Thomas se doute de quelque chose. Si oui, il ment aussi bien que moi, car je ne vois rien. Si non, s'est toujours confié à moi : son premier petit ami, sa première sortie ou ses mauvaises notes. Je pense que cela passe inaperçu, enfin j'espère car je ne suis pas prêt à expliquer à Thomas que je vis avec sa fille.

 J'ai vraiment peur de sa réaction, ce qui est, je sais, tout à fait idiot. Je connais Thomas depuis trente-quatre ans, cela fait un bail et jamais, je dis bien jamais, nous ne nous sommes mentis et ce pour aucune raison. Alors aujourd'hui, j'ai l'impression de le trahir, pourtant, je n'ai pas encore trouvé les mots qu'il faut pour lui expliquer que j'aime sa fille. Enfin c'est quelque chose qu'il sait, mais il voit mon amour comme le sien et si j'ai toujours aimé Jessica, j'ai détesté qu'elle grandisse. Plus elle grandissait, et moins je l'aimais comme ma fille. Je la voyais comme la magnifique jeune femme qu'elle est devenue, comme ma femme. Même si nous avons passé de nombreuses nuits dans le même lit, cela ne fait qu'une semaine qu'il se passe quelque chose entre nous, je ne sais pas l'expliquer, c'est physique, chimique, un mélange des deux. C'est simplement le bonheur qui est enfin venu frappé à ma porte, ou le bonheur que j'ai enfin autorisé à entrer dans ma vie.  Je ne sais pas l'exprimer, surtout pas lorsqu'elle se déshabille et qu'elle vient me rejoindre sous la douche. Je sais que je suis heureux et amoureux et cela me comble parfaitement. Je ne veux rien de plus, à part cette splendide femme qui ondule face à mon corps.

 Nous passons à table et la soirée est très animée. Jessica et Jackson nous louent les mérites de leur job et de leur équipe. Ils sont contents, ils sont épanouis, cela s'entend dans leur façon de parler. Oliver nous a réservé le restaurant pour nous seuls. Cela fait très caprice de star, pourtant ce n'est pas dans nos habitudes. La tournée a été longue, enfin comme les autres, mais bon on vieillit comme tout le monde, un jour de plus, un jour à la fois. Après le dîner, nous sortons en ville faire un tour à pieds. Il fait beau, chaud, et nous nous promenons comme n'importe quel groupe d'amis, jusqu'au moment où l'on entend un "Juliaaaaaaaaaaaaaaaaaan".  Un groupe d'ados nous fonce dessus. Pas moyen d'y échapper, malgré tout, nous prenons plaisir à faire quelques photos et à signer quelques autographes, c'est le revers de la médaille, la rançon du succès, je ne sais pas comment il faut le nommer et c'est vrai que l'on voudrait passer une soirée tranquille, mais bon sans notre public, nous ne sommes rien.

 En rentrant, nous nous disons "bonne nuit" et c'est idiot, mais j'adore l'idée de rentrer dans la même chambre que Jessica. Nous sommes amants aujourd'hui et cela me réchauffe le cœur, surtout la jalousie qu'elle témoigne en se mettant dans mes bras :

— Monsieur Joli cœur, la fille dans la rue, elle t'a reconnu toi, pas papa, ni Hugo, ni Hector, TOI me dit-elle en appuyant ses doigts sur mon torse.

— Que veux-tu ma belle, je suis victime de mon physique. Que veux-tu que je fasse à cela ? Je suis la belle gueule du groupe, aucune femme ne me résiste, je lui réponds en la prenant dans mes bras et en embrassant sa mâchoire.

— Aucune femme ne te résiste ?

— Absolument aucune. Je t'explique, tu viens d'entrer dans la chambre et tu es déjà dans mes bras !

— Idiot va ! Cela n'a rien à voir.

— Mais si, au contraire, tu es une femme et splendide en plus, tu entres dans ma chambre et tu es dans mes bras. Cela confirme ce que je dis, aucune ne me résiste. Si tu veux, on fait l'expérience avec une autre, je lui dis en souriant.

 J'adore sa réaction. Elle me saute au cou en agrippant ses jambes autour de mes hanches et en me plaquant contre la porte,

— Si tu t'imagines que je vais te laisser me démontrer cela, tu te fourres le doigt dans l'œil ! Tu es à moi et à personne d'autre, tu m'entends, à personne d'autre !

  Elle joint l'acte à la parole. Son corps se fond sur le mien, je me noie en elle en quelque minutes. Une fois de plus, nous n'avons pas atteint le lit et c'est par terre que l'on se retrouve à faire l'amour comme deux enragés. Il va falloir que l'on se calme, enfin quoi que j'avoue que j'apprécie le côté félin qui est en elle.

 Elle est couchée sur moi, j'entends sa respiration qui se cale au même rythme que la mienne. On n'est même pas déshabillé ! On n'a pas le temps pour cela. Parfois, notre amour me fait peur, j'ai l'impression de le consumer à toute vitesse. On prend feu, on s'embrase et c'est un volcan qui se déverse dans nos corps. Ma main est dans son dos et j'embrasse ses cheveux en lui murmurant :

— Faudrait que l'on prenne l'habitude de faire l'amour dans un lit. Tu as un petit vieux ma belle, ce n'est plus de mon âge de faire l'amour contre une porte et puis par terre.

— Un petit vieux ? me dit-elle en grimpant sur moi. Tu es certain d'être vieux ? Je ne veux plus jamais faire l'amour avec un jeune alors.

 Elle me fait sourire, elle a raison en tous cas, elle s'est installée sur moi et quelques secondes plus tard, je bande comme un âne une fois de plus et une fois encore nous faisons l'amour par terre. Elle a raison, je ne suis pas si vieux que cela. Nous avons pris une douche et nous sommes dirigés vers notre lit.  Elle s'installe dans mes bras et me murmure un "je t'aime". J'aime de l'entendre me parler tendrement. Je lui embrasse les cheveux et je la serre dans mes bras.

— Je n'ai pas envie de dormir, ma belle, cela doit être le décalage horaire.

— Moi non plus, me dit-elle. Mais pour une fois, il n'y a rien de coquin dans la remarque. Elle ajoute, parle-moi de ma naissance. Vous étiez où quand nous sommes nés ?

— On était à Mansfield.

— On est né à Mansfield !

— Oui, je sais où tu es née, ma belle. C'était le dernier concert des Bon Jovi pour lequel on avait signé. On est resté quelques jours après le concert, Sarah était essoufflée, gonflée comme une baudruche, elle ne savait pratiquement plus marcher, pourtant, elle ne disait rien, elle était toujours souriante. Tu lui ressemble beaucoup pour cela, toujours un sourire sur les lèvres !

— Tu l'as toujours dit, j'ai le physique de papa et le caractère de maman. J'aurais aimé la connaître, tu sais. Elle me manque, même encore aujourd'hui. Je voudrais lui parler de toi, de nous.

 Elle se serre un peu plus près de moi en me disant ces mots. Je sais ce que c'est. Ma mère biologique n'a jamais voulu de moi, j'ai été une erreur, un accident, mais heureusement, j'ai fait la connaissance d'Adam et de Carole et pour moi, ce sont mes parents. Je ne les ai jamais vus autrement, mais parfois j'avoue que je voudrais connaître ma mère biologique. Je l'ai connue physiquement, mais elle ne m'a jamais aimé comme une mère devrait le faire, alors ce manque, je le connais aussi.

— Je pense honnêtement que Sarah serait au courant "pour nous" et depuis longtemps, tu sais. Quelques temps avant votre naissance, elle m'a fait promettre de m'occuper de vous et de son homme.

— Tu te souviens de ce genre de choses ?

— Que veux-tu ma belle, beau et intelligent. Tu as une perle rare dans ton lit !

— Idiot va ! me dit-elle en m'embrassant le torse.

— Comment "idiot"? Pas du tout, tu n'as pas écouté, j'ai dit "beau et intelligent", j'ajoute en l'embrassant dans les cheveux.

— Sérieusement Julian, tu te souviens de ce genre de remarques ?

— J'avais intérêt à écouter ta mère, tu sais. Elle ne parlait pas beaucoup, elle était calme, attentionnée envers les autres, mais quand elle disait quelque chose, on l'écoutait car cela avait du sens, elle voulait te faire passer un message lorsqu'elle parlait. Je pense qu'elle m'a dit quelque chose comme : "Je suis sérieuse, je veux que tu me promettes que quoi qu'il arrive, aujourd'hui, demain dans vingt ans, mon mec et mes enfants auront une personne sur laquelle ils peuvent compter et je veux que ce soit toi".

 Je m'en souviens, je me vois en face d'elle.  Elle avait aggripé mon t-shirt. Elle me manque à moi aussi. Je reprends et mentionne :

— Parfois je me dis qu'elle ne se sentait pas aussi bien qu'elle le laissait voir. Elle ne s'est jamais plainte, jamais, pourtant, Sarah était énorme, elle pouvait à peine marcher et lorsqu'elle était assise, elle avait besoin d'un bras pour se relever. Vous étiez prévus pour le 8 juillet et vous êtes nés le deux. On était resté à Mansfield pour quelques jours. Nous avions terminé le vingt-neuf juin, on voulait rentrer, mais Sarah n'était plus en état de voyager.

 Le deux au soir, nous avons été mangés à l'extérieur mais sans elle, elle ne le voulait pas. Elle avait commandé un petit repas qu'elle a fait monter dans la chambre. Elle pouvait à peine manger, vous étiez volumineux, deux beaux bébés, vous preniez beaucoup de place, mais une fois encore, elle ne se plaignait jamais, elle grignotait tout au long de la journée, mais elle n'avait plus fait un repas convenable depuis plusieurs semaines. Nous sommes rentrés vers minuit à l'hôtel et tu sais, si votre naissance a bouleversé nos vies, les quelques heures qui ont précédé votre arrivée nous ont fait sortir de l'adolescence et définitivement. Nous étions devenus des hommes en quelques instants, comme si une baguette magique s'était déposée sur nous et "pouff" nous voilà transformés.