Chapitre 25 : JULIAN ET JON LA NUIT DU 2 JUILLET 1989
"La mort d'une mère est le premier chagrin qu'on pleure sans elle"
John Petit-Senn
J'ai l'impression d'être au bout du rouleau, je n'ai jamais connu une nuit aussi éprouvante que celle-ci, merde, pourquoi faut-il que nous ayons à endurer cela ? Pourquoi Sarah a –t-elle dû mourir? Jamais je ne pourrais répondre à cette question. J'ai pris Jessica dans mes bras, elle dort à poings fermés, j'en profite pour passer un coup de fil. Merde, j'espère que je fais bien, si lui ne nous aide pas, je ne sais pas à qui je vais m'adresser.
— Bonsoir Jon, je te dérange ?
— Bonsoir Julian, non pas du tout. Je suis content de t'entendre, cela fait plaisir d'avoir de vos nouvelles.
— Jon, je...
— Julian, ça va ?
— Non, pas du tout mec, pas du tout. Les larmes roulent sur mes joues, je suis incapable de continuer à parler.
— Julian, réponds !
— Suis là, mais ça va pas, j'ai besoin d'aide Jon, j'ai besoin d'aide, s'il te plaît.
— Ok, tu vas avoir toute l'aide dont tu as besoin, mais je dois savoir ce qui se passe. Je pose les questions, tu réponds, d'accord ?
— Vais essayer, c'est tout ce que j'arrive à dire.
— Vous quatre vous allez bien ?
— Oui, on va bien physiquement, je réponds après quelques secondes.
— Sarah a accouché ?
— Oui, Sarah a accouché. Deux enfants, Jessica et Jackson.
— Les enfants vont bien ?
— Oui, les enfants oui, eux oui.
— Merde, Sarah ?
— Sarah est.... je n'arrive pas à continuer à parler, je n'ai jamais autant pleuré de toute ma vie.
— Julian reste avec moi, s'il te plaît reste avec moi.
— Suis là.
— Sarah est décédée en couches ?
— Ouais, et je sais pas quoi faire Jon. Thomas est au bout du rouleau, on s'engueule, on n'a plus de fric, Brian nous a mis sur la paille, le single sort dans quinze jours, on ne sait pas assurer la promotion, on n'arrive plus à payer l'hôtel, on est à des milliers de kilomètres de chez nous, on est dans la merde Jon.
— Je n'ai pas tout compris, mais vous restez là où vous êtes.
— Jon on n' a plus un rond, je ne sais plus payer, merde, on a des dettes, je ne sais même plus bouffer, on n'y arrive plus.
— Julian, vous restez dans votre suite avec les enfants. Vous êtes toujours au même hôtel ?
— Oui, mais je ne sais plus payer Jon !
— J'ai compris, vous restez là tant que je vous envoie quelqu'un. Je t'envoie une personne de confiance, ce mec se nomme Oliver Quinn. Tu attends là tant qu'il arrive, tu ne bouges pas, je m'occupe du reste.
— Jon, il faut un avion pour rapatrier Sarah. Thomas ne veut pas qu'elle soit enterrée ici, il veut qu'elle soit auprès de nous.
— Tu as l'acte de décès ?
— Oui, c'est en ordre, mais je ne sais même pas payer un cercueil Jon, comment on va la transporter ?
— Tu restes dans la suite avec les kids et les autres membres du groupe. Demain en fin de journée, Oliver sera chez vous, avec un avion. Il s'occupe de tout.
— Jon, je ne sais pas quoi faire !
— Tu fais ce que j'ai dit, tu ne bouges pas et repose toi, ta voix provient d'outre-tombe. C'est un ordre, tu te reposes et je m'occupe du reste. Je te jure qu'Oliver sera chez vous en fin de journée.
— Jon, je viens de te dire que je n'ai plus un clou, on n'a plus rien, on ne sait plus bouffer, toi tu me parles d'envoyer un homme supplémentaire. Comment on fait ?
— Je t'envoie un homme supplémentaire, j'ai entière confiance en lui, il va vous aider et ne t'occupe pas des problèmes d'argent, occupe-toi du groupe, de la musique, des enfants, mais pas des problèmes d'argent.
— Jon, comment on va faire pour te rembourser ?
— Julian, on ne rembourse pas des amis, on s'entraide entre amis. Ne l'oublie pas et vous faites partie de mes amis, alors entre nous, on ne parle pas de fric, compris ?
— Tout à fait, Jon et merci.
— Je t'en prie. Vous restez là, hein ! Et je m'occupe du reste. Dis-moi comment vont les enfants ?
— J'ai dans mes bras, Jessica, elle est magnifique, elle a les yeux clairs, le doc pense que ses yeux vont virer au vert. Elle pèse 2.950 kg et mesure 53 cm, son frère Jackson pèse 3.100kg et il mesure 54 cm. L'accouchement a été long, mais ce sont deux magnifiques bébés. Jon, pourquoi on doit encaisser une telle épreuve ? On a fait quoi de travers ?
— Je ne sais pas Julian, la vie est bizarre parfois, mais c'est comme cela, il faut l'accepter. Les kids sont là, il faut s'en occuper. Tu tiens le coup ?
— Non, je suis totalement anéanti, je n'ai jamais vu Thomas aussi malheureux, je n'ai jamais entendu une personne crier comme cela, c'était atroce. Je l'ai envoyé dormir, il en a besoin.
— Oliver sera là demain, tu peux compter dessus.
— Merci Jon, merci pour ton aide, ton écoute, ta disponibilité et surtout tout ce que tu mets à notre disposition, merci d'être là, merci d'être mon ami.
— Pas de merci entre nous, tu as besoin d'aide et je peux te l'offrir, alors pourquoi ne pas le faire. On va vous sortir de ce merdier, Julian, c'est juré. Repose-toi d'ici demain. Essaye de dormir quelques heures, tu en as besoin.
— Bonne nuit Jon.
— Bonne nuit Julian, prends soin de toi.
— A bientôt.
— Bizz, prends soin de toi, je te téléphone demain.
J'ai déposé le combiné sur son socle et mes larmes sont reparties de plus belle. Je n'arrive plus à arrêter de pleurer, il faut que je me reprenne, je ne peux pas laisser tomber les personnes que j'aime. Jessica choisit ce moment-là pour se faire entendre, elle a faim, je me lève, je la prends dans mes bras et je me dirige vers le salon. Hector est occupé à donner à manger à Jackson, je prépare le biberon de Jessi et je m'installe auprès d'Hector.
— Si j'avais su qu'en mettant un mot aux valves, je donnerai le biberon quelques mois plus tard, me dit-il en souriant.
— Tu regrettes ?
— Pas le moins du monde, Julian. Sauf pour Sarah, je serai vraiment heureux si je donnais le biberon parce que Sarah serait en train de dormir, mais malheureusement ce n'est pas le cas. J'ai l'impression que la vie vient de nous jouer un sale tour, même si je ne regrette rien, au contraire, je vous ai rencontrés, j'ai rencontré vos parents, on vient de passer trois mois sur les routes avec un groupe mythique, non je ne regrette rien, sauf Sarah.
— Elle me manque à moi aussi, mais on va devoir faire sans elle. Je ne comprends pas pourquoi on nous fait endurer pareille chose, merde ! On avait toute la vie devant nous pour avoir des emmerdes, pourquoi aujourd'hui à dix-huit ans ?
— Je ne sais pas Julian, je ne sais pas répondre, ce que je sais, c'est que je suis heureux d'être ici avec vous, de partager votre vie, de partager leur vie, ajoute Hector en désignant les jumeaux.
Nous nous sommes remis dans notre lit. J'ai entrouvert la porte de la chambre de Thomas, il dort, ses traits sont tirés, ses yeux sont rouges, mais il dort. Je sais bien que ce ne sont pas quelques heures de sommeil qui vont changer sa vie, mais il en a besoin physiquement et moi aussi. Je prends Jessica dans mes bras et je vais me coucher. Jessica a quelques heures, pourtant c'est tout naturellement qu'elle s'installe dans mon lit. Je me couche autour d'elle, j'ai peur qu'elle ait froid et je lui murmure un "bonne nuit ma chérie, fais de beaux rêves".
Quelques heures plus tard, je me réveille en sursaut, Jessica n'est plus auprès de moi, je me retourne et je vois Thomas avec elle dans ses bras. Il lui donne le biberon et ajoute :
— Bonjour Julian, elle pleurait, elle avait faim alors je l'ai prise. Elle mange bien, c'est agréable.
Je sors de mon lit, les cheveux en bataille, je viens me mettre à genoux à côté de Thomas :
— Salut mec, bonjour ma belle. Tu n'as pas à te justifier, c'est ta fille, je lui dis en passant ma main sur son bras.
Thomas me sourit. Je sais que cette épreuve nous a rapprochés, enfin si c'est possible ! Malgré le coup de gueule d'hier, nous sommes toujours unis et nous le resterons !
— Ok, je ne me justifie pas, par contre, je te présente mes excuses, je suis désolé de t'avoir traité de tous les noms, je suis désolé de t'avoir frappé, toutes mes excuses frangin, me dit-il en mettant sa main sur la mienne.
— Excuses acceptées mec, ne t'inquiètes pas. Je sais que j'ai une plus belle gueule que la tienne, tu es jaloux c'est tout, j'ajoute en lui faisant un clin d'œil.
Je sais que c'est faux, il n'est pas jaloux de moi et je n'ai pas une plus belle gueule que la sienne. On ne se plaint pas de notre physique, ni l'un ni l'autre, la seule différence est que je suis noir de cheveux et lui blond.
— On fait quoi Julian ? Tu as une idée ?
— T'a oublié mec, je suis Monsieur Je sais tout.
— Pour ça aussi, je suis désolé, je n'aurais jamais dû te faire ce genre de remarque, c'était totalement déplacé.
— Arrête, on s'en fout, je sais que ce n'est pas contre moi. Tu en veux à la terre entière et je te comprends.
— Tu ne réponds pas à ma question, on fait quoi ?
— J'ai pris une décision cette nuit et on va l'appliquer. Je ne savais pas vers qui on pouvait se tourner, alors j'ai téléphoné à Jon. Il nous envoie un homme qui se nomme Oliver Quinn, un homme de confiance qui va nous aider.
— Julian on ne sait plus bouffer, comment on va payer un homme de plus ?
— C'est ce que j'ai dit à Jon et il m'a répondu mot pour mot ceci : "Julian, on ne rembourse pas des amis, on s'entraide entre amis. Ne l'oublie pas et vous faites partie de mes amis, alors entre nous, on ne parle pas de fric, compris ?" Ce type est incroyable. J'ai confiance en lui, je sais qu'il va nous aider.
—Tu lui a dit que l'on était dans la merde et je ne parle pas uniquement de la...
Thomas n'arrive pas à prononcer un mot, ses yeux se remplissent de larmes et il les laisse couler. Je passe ma main dans ses cheveux et je poursuis :
— De la mort de Sarah, non je sais. Oui je lui ai parlé des problèmes financiers et logistiques. Un de ses avions arrive. Oliver va s'occuper du transport du corps de Sarah afin qu'elle soit enterrée auprès de nous, chez nous à la maison. Jon a demandé que l'on reste ici à l'hôtel, le temps qu'Oliver arrive et qu'il puisse nous aider.
— Merci, tu as bien fait, si il y a une personne sur laquelle on peut compter, c'est bien lui.
Hector et Hugo portant Jackson entrent dans notre chambre. L'amitié fait du bien dans de pareils moments. Et vu de l'extérieur, cela ne va pas paraître très viril, quatre mecs qui s'occupent de deux enfants et qui passent leur temps à se tenir dans les bras les uns des autres. En fait, je pense que l'on s'en fout et ce moment de gentillesse entre nous, nous fait prendre pleine conscience des moments présents que nous avons. Nous sommes dans la merde, c'est certain : on a deux nouveau-nés à nourrir, ils viennent de perdre leur maman, on a des dettes inimaginables, nous ne sommes pas chez nous, nous avons un corps à enterrer, mais nous sommes unis dans l'adversité et ensemble nous faisons face.
Notre vie a changé radicalement sur quelques mois de temps, nous sommes responsables de deux enfants, nous devons enterrer la femme d'un de nos frères, mais nous sommes ensemble et nous faisons face à la cruauté du destin. En voyant Hector et Hugo se mettre assis par terre auprès de nous, je sais qu'ensemble nous allons y arriver, personnellement et professionnellement, on va les remplir ces stades, on va faire le métier que l'on aime, on va écrire de belles ballades qui vont marquer les esprits. Notre single sort dans quelques jours, il se nomme "The Loved One". Ce titre est merveilleux, car il n'existe qu'une seule et unique chose sur cette terre qui vaille la peine de se battre, et c'est l'amour.
Annotations
Versions