Sous pression
"- Je ne vous demande là qu'un petit service."
Face à la fenêtre, le ministre patientait. L'homme, dans son dos, était silencieux. L'atmosphère était lourde dans la pièce. La circulation en contrebas était rare. L'extinction de l'éclairage public entre minuit et cinq heures du matin conférait à la lampe de bureau l'aura d'un phare dans l'obscurité malgré sa faible intensité.
Dans le reflet de la vitre, il constatait l'impuissance du chef de la police, les doigts noués sur le dessous de main de son bureau. Le regard de ce dernier était dirigé vers un cadre photo. En s'approchant, le ministre y découvrirait probablement un parfait portrait de famille, mais cela lui importait peu, en vérité.
Dès lors, il comprit que mettre ou non des visages sur les vies avec lesquelles il jouait ne faisait plus aucune différence. Il humecta ses lèvres. Sèches. Comme lui. Un frisson lui parcourut l'échine.
Il était loin le militant vêtu d'un t-shirt uni qui croyait en la démocratie, à la justice et toutes ces valeurs morales qui avaient fait gonfler sa poitrine d'exaltation. Aujourd'hui, il ne croyait plus à ces fadaises, la réalité l'avait rattrapé.
Il tira sur la manche de son costume pour l'ajuster parfaitement, se retourna lentement et posa devant l'officier un papier sur lequel était gribouillé un nom.
Il s'éloigna ensuite. Chacun de ses pas lui sembla plus lourd que le précédent. Il passa la porte. Il le sentit ce point de non-retour qu'il franchissait. Loin des yeux de sa victime, il se massa frénétiquement le poignet, pris d'une démangeaison subite.
Sa mue en super connard débutait.
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