Déterminé

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L'Assemblée générale est convoquée pour 9h30. J'arrive quelques minutes en avance, le temps de fixer mon vélo aux barres devant le bâtiment, d'aller saluer quelques personnes et de signer la feuille d'émargement. Tous les adhérents ont reçu il y a 3 jours le détail du rapport d'activité et des comptes de l'année antérieure. J'ai tout imprimé et lu attentivement, accompagné d'une tasse de café. Sur le budget, rien à redire, le résultat est particulièrement bon par rapport aux rentrées d'argent qui n'ont pas été formidables cette année. Par contre, je ne peux cautionner le rapport d'activités. Sur l'exercice 2017, pas un seul mot sur la pétition que j'ai initiée; pire : rien sur les raisons qui m'ont poussé à le faire! Ma décision est donc prise : je vais empêcher la tenue de cette assemblée générale aujourd'hui.

Lorsque je m'installe dans la salle, au milieu des autres, je choisis la place en face de celle réservée au président directeur général, pas très loin de la presse. J'ai prévu ma déclaration, les coupures de presse appuyant mon propos et les statuts me permettant de m'opposer à cette assemblée délibérante si le quorum n'est pas atteint. Une faille juridique que nous devons justement combler lors de l'assemblée générale extraordinaire à venir. Quelle ironie du sort! La faille que je n'aurai jamais remarquée sans l'appui de notre expert juriste qui l'a pointée lors de la dernière réunion va me permettre de me faire entendre pour empêcher le vôte. Il n'y a pas à dire, rien ne vaut le travail d'équipe!

A 9h40, le Président fait son entrée en scène.

"Bonjour à toutes et à tous. Merci d'être présents si nombreux pour cette assemblée générale. Malheureusement, le quorum n'est pas tout à fait atteint. Ainsi, à moins que quelqu'un ne s'y oppose, je vous propose de convoquer immédiatement la nouvelle assemblée générale, conformément à nos statuts."

Voilà. C'était maintenant. Je lève la main.

"Oui, monsieur?

- Moi je m'y oppose.

- Vous vous opposez à la tenue de cette assemblée générale?

- Oui, je m'y oppose. Parce que vous ne mentionnez pas ma pétition dans votre rapport d'activités.

- Monsieur, je ne mentionne pas votre pétition car il ne s'agit pas d'une action menée par notre structure.

- Je suis désolé, mais ma pétition a recueilli plusieurs milliers de signatures. Nous en avons déjà discuté, il m'apparait primordial que la fermeture de l'antenne qui a eu lieu l'année dernière soit prise en compte dans le rapport d'activités. Vous n'avez pas le droit de faire disparaître ce que vous voulez comme ça, simplement en évitant de le mentionner!

Voilà. Moi qui ne voulais pas m'énerver d'emblée, c'était bel et bien raté.

- Monsieur Passurant, vous savez comme moi ce qu'il en est est. Il n'y pas eu de fermeture d'antenne comme vous dites, simplement l'arrêt d'un service qui n'en était plus un depuis bien longtemps.

- C'est faux! Et vous le savez aussi bien que moi! Ce "service" comme vous dites, c'était mon activité!

- Appelez-le comme vous voulez, il n'en revient pas moins que ce n'est pas un sujet. Maintenez-vous votre position?

Le brouhaha s'emplifiait dans la salle, je perçois bien l'hostilité qui grandit. Une dame demande la parole. Je ne l'ai jamais vue, encore une qui ne vient que pour se montrer quand le grand patron est là.

- Franchement, moi j'ai fait une heure et demi de route pour venir, je n'ai aucune envie d'être renvoyée chez moi! Ecoutez Monsieur, je ne sais pas de quoi vous parler, mais vous avez la parole et pouvez largement en faire état. Cependant, je tiens vraiment à ce que l'on tienne l'Assemblée générale, au moins par respect pour toutes celles et ceux qui comme moi, se sont déplacés ce matin! Merci.

Evidemment, que moi non plus, je n'ai pas envie que chacun rentre chez soi. Mais pourquoi personne ne s'intéresse à ce que je défends? Si les autres me suivaient, le Président serait obligé de s'expliquer...Pourquoi ne le comprennent-il pas? Tous des moutons...

- Monsieur Passurant, maintenez-vous votre position de vous opposer à la tenue de cette Assemblée générale?

- J'ai une proposition à vous faire!

- Nous vous écoutons avec attention !

Il avait dit ça avec un sourire carnassier, l'assistance émettait désormais de petits rires nerveux.

- Ce que je vous propose, c'est de tenir l'Assemblée générale.

- A la bonne heure!

- Attendez, ne m'interrompez pas! Je vous propose de tenir l'Assemblée générale, si toutefois vous reconnaissez publiquement ce que vous avez fait l'année dernière. Dites-le! Dites-le que vous avez cédé à la bien-pensance, à la municipalité et que vous avez supprimé une activité de l'entreprise. Dites-le, la presse est présente et l'entendra. J'accepterai alors que se tienne normalement l'Assemblée générale.

"On en a rien à foutre!" Le cri avait fusé d'une rangée plus haut, rendant impossible l'identification de l'auteur de l'invective.

- Croyez-moi, si vous saviez ce dont il s'agit, vous n'en auriez pas rien à foutre. Ce qui s'est passé est un déni de démocratie. Et nous vivons dans une démocratie que je sache, où chacun est libre de penser ce qu'il veut!

- Monsieur Passurant, je ne cèderai à aucun chantage. Vous souhaitez vous opposer à cette assemblée générale, ce n'est pas grave, vous ne faites que déranger les autres et entraîner tout le monde contre vous.

- Mais vous avez fait fermer mon service, sans avertissement, en changeant les serrures du jour au lendemain, simplement en avertissant par un simple message sur le panneau d'affichage! Vous n'avez pas honte?

- Honte? Mais honte de quoi? D'avoir fait fermer un local où vous étiez sensé recevoir du public? Mais pas une seule personne ne venait vous voir depuis des années et vous savez pourquoi? Parce que personne dans mon entreprise n'irait se confesser! Votre religion n'a pas de place chez moi! Elle vous regarde et je refuse que vous soyez payé à regarder la télé dans une salle qui a désormais une utilité! Mon entreprise n'est pas une église! Alors foutez-moi la paix maintenant avec vos conneries de déni de démocratie!

- Donc, vous reconnaissez avoir pris une décision brutale? Vous savez, rien que le fait de savoir que cette possiblité existait pour les salariés les rassurait!

- Monsieur Passurant, le médecin de travail a indiqué que vous n'étiez pas apte psychiquement pour continuer à travailler. Alors, arrêtez, je vous en prie!

- Un complot!

Le brouhaha couvre alors mes paroles. Tous me regardent. Certains sourient, comme pris de compassion envers moi.

- N'empêche, vous venez de reconnaître que vous avez pris une décision brutale, tenez-là donc votre Assemblée générale! Moi, je n'ai plus rien à faire ici."

Je me lève, prend ma sacoche et quitte cet amphithéâtre. Ils peuvent bien décider de ce qu'ils veulent à l'intérieur, je m'en fiche. Il a reconnu ce qu'il a fait. Je peux désormais rentrer chez moi et me replonger dans mes lectures. Enfin la presse est informée et tout le monde a du écouter. Je ne suis plus si seul.

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