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Landon

Ça faisait quelques minutes que Paul me suivait de près. Je me tournai vers lui, la respiration haletante.

— T'en as pas marre d'être second ? le narguai-je.

Sur l'asphalte de la piste de course, je poussai sur chacun de mes pieds avec force, apercevant déjà la ligne d'arrivée au loin. Mes voies respiratoires étaient en feu mais je ne décélérai pas pour autant.

L'amorti de mes chaussures me permettait de ne pas sentir le poids de mon corps sur les articulations de mes chevilles.

Je me sentais voler.

Paul ne répondit même pas, trop essoufflé pour dire un mot. Il n'était pas très bon en endurance mais je savais qu'il me battrait sans problème sur le plan de la résistance.

Je versais dans la rapidité et l'agilité. Il versait dans la force pure.

Quelque part, nous nous étions bien trouvés.

Une fois la ligne d'arrivée franchie, je freinai assez brusquement en prenant soin de ne pas me tordre quoi que ce soit. Mon ami, quant à lui, choisit de se la jouer tranquille et continua à trottiner jusqu'à s'arrêter quelques mètres plus loin.

Je m'accroupis, les avant-bras reposant sur mes cuisses.

— Putain, je sais pas pourquoi tu t'infliges ça... me lança-t-il depuis l'endroit où il s'était vautré.

— Je fais du basket, lui rappelai-je. On est tout le temps en train de courir ou sauter. Faut bien que je m'entretienne.

Il hocha la tête lentement, comme s'il venait de percuter le pourquoi du comment.

— La question... c'est pourquoi je m'inflige ça avec toi, finit-il par dire pour lui-même.

Je haussai les épaules. En réalité, j'avais ma petite idée du type de personnes pour lesquelles il voulait augmenter son endurance, mais nous n'étions peut-être pas encore assez proches pour que je me permette de lui lancer des réflexions aussi graveleuses.

Allongé à même le sol, il souleva son t-shirt et s'essuya le visage avec. Mon regard dériva sur les deux lignes en relief qui disparaissaient sous son bas.

Quand il termina son oeuvre et lorgna dans ma direction, je feignis une quinte de toux.

Paul sembla perdu dans ses pensées pendant un instant, puis reprit la parole :

— Dis, j'ai une faveur à te demander.

À la manière d'un suricate, je tournai la tête vers lui, tout ouïe. Mon expression dût l'inciter à parler car je n'eus pas besoin de lui tirer les vers du nez.

— Ta maison, elle est bien au bord de la plage, non ? C'est une plage privée ?

— Euh, ouais.

Franchement, je ne voyais pas trop où il voulait en venir, et une partie de moi se mit sur la défensive.

Ça m'arrangeait bien d'avoir des parents riches et absents la plupart du temps mais le revers de la médaille, c'était que les gens autour de moi montraient parfois leur vrai visage une fois que l'argent ou les possessions étaient mis sur le tapis.

— Bon, je ne sais pas comment je vais dire ça alors... je vais juste me lancer. Je dois te parler d'un truc dont je ne suis pas vraiment censé te parler. Et j'espère que je ne fais pas une connerie en te le disant.

Je levai les yeux au ciel.

— Paul, tu tournes autour du pot, là.

— Tu te souviens de Reid ?

Reid, l'espèce d'apollon aux tendances un peu cinglées qui m'avait été présenté la semaine dernière ? Le vétéran aux cils fournis qui m'avait fait comprendre en un regard que ma présence le contrariait ?

— Vaguement, mentis-je.

Mon ami se redressa et positionna ses jambes en tailleur.

— J'ai envie que mon ami puisse se réinsérer dans la vie sociale et je pense que ta fête serait un bon point de départ mais... voilà, il est incapable de se montrer en maillot de bain et... bref tu as vu ses réactions quand tu l'as rencontré, je ne pense pas avoir besoin d'étayer.

Je laissai échapper un léger soupir. Le poids dans ma poitrine sembla s'évanouir dans l'air.

— Tu t'inquiètes pour lui, dis-je pour moi-même.

— Écoute. Même les filles et moi on ne l'a pas revu ne serait-ce qu'en t-shirt depuis son retour. On sait qu'il a des séquelles. Et j'aimerais pouvoir l'aider sans lui imposer un rythme trop soutenu. C'est dur pour lui.

Paul avait l'air totalement déboussolé. Je ne pus réfréner un léger pincement au coeur en l'entendant parler de son ami ainsi.

— Combien de temps il y est resté ? Au Vietnam, je veux dire, précisai-je comme si ce n'était pas déjà assez explicite.

— À peu près deux ans et demi. Il a passé environ six mois à s'entraîner en Caroline du Sud après s'être fait tirer au sort, et après ça...

—Attends, le coupai-je. Qu'est-ce que tu viens de dire ?

Paul releva la tête, lentement.

— Bah, je suis entrain de répondre à ta question.

La bouche sèche, je retrouvai une attitude normale et reformulai :

— Tu ne m'avais jamais dit qu'il avait été tiré au sort.

Il fronça les sourcils, confus.

— Je ne pensais pas avoir besoin de le préciser. Absolument personne ne soutient notre présence dans cette guerre. Alors qui voudrait aller y combattre de son plein gré ?

Je me trouvais con. Con, parce que mon esprit triturait deux mots dans tous les sens imaginables.

Pauvre Reid.

Sans vraiment réfléchir à la portée de mes mots, j'ouvris la bouche :

— Comment est-ce qu'on pourrait rendre la fête plus confortable pour lui ?

Il avait surement déjà des idées, et moi je n'avais qu'une envie : remonter le temps pour effacer l'idée remplie de jugement que je m'étais faite de son ami.

— Quand je suis allé lui rendre visite ce week-end, il a osé se baigner avec moi grâce à la vieille combinaison de surf qu'il a retrouvé dans sa chambre. Du coup, je me disais...

Il passa une main dans ses cheveux humides et je l'arrêtai dans son élan d'un signe de main.

— Ne t'inquiète pas, je vais trouver une solution.

J'en faisais une affaire personnelle.

***

Bien positionné sur mes appuis, je bondis, ballon en main. J'ajustai ma ligne de mire et le lançai avec adresse. Quand il atterrit dans le filet du panier, les enfants qui m'observaient poussèrent un cri à l'unisson.

— À votre avis, amorçai-je après avoir récupéré le ballon. Qu'est-ce qui est le plus important ici : l'agilité ou la puissance ?

Lexi, une fillette déjà très grande pour son âge, leva la main. Je lui laissai la parole.

— L'agilité ? tenta-t-elle timidement.

Sans crier gare, je lui lançai le ballon avec aisance. Même assise, elle le réceptionna sans effort et me le renvoya quand je lui en donnai la directive.

— C'est correct. Pourquoi ? demandai-je, me tournant vers les autres enfants en quête de volontaires.

Cette fois-ci, ce fut un garçon nommé Damian qui se manifesta.

— Parce que si on tire trop fort, le tir sera moins précis ?

Je claquai des doigts pour lui signifier que c'était la bonne réponse.

— Bravo à vous deux, c'est très juste ! Le basket est un peu différent du foot, du hockey ou du handball. Dans ces trois sports, les buts se situent au sol et couvrent une surface assez large, alors que dans le basket...

Je dribblai quelques fois et illustrai mon propos en mettant un nouveau panier.

— Le but est à environ 3 mètres au dessus du sol et il est tout juste plus grand que le ballon.

Les enfants hochèrent tous la tête, buvant mes paroles.

— Cette petite différence logistique vous contraindra à adapter votre puissance et votre précision, sinon...

Après avoir récupéré le ballon, je me repositionnai et le lançai exagérément fort. Il rebondit contre le cerceau du panier dans un bruit sourd et je fus forcé de me déplacer en courant pour le rattraper à la volée.

— Vous ne mettrez jamais aucun panier, et pire encore, les équipiers à qui vous faites des passes seront pénalisés par votre lancer, même s'ils sont très bons pour réceptionner.

Une fois mes explications théoriques terminées, je leur fis commencer des exercices d'application. Alors que je surveillai les groupes, une petite tape sur mon épaule me fit sursauter. Richie apparut dans mon champ de vision.

— Tu m'as fait peur, espèce de débile, soufflai-je, la main sur mon coeur.

— N'abuses pas, non plus.

Il leva les yeux aux ciel pour se moquer de moi.

Nous discutâmes quelques minutes pendant que je gardais un oeil sur les enfants.

— Ça te va bien d'entraîner les gamins. Peut-être que tu vas prendre la place du coach Rivers.

— Je veux bien prendre sa place, du moment que je n'hérite pas de sa calvitie.

Richie s'esclaffa un bon coup, et je recadrai un élément perturbateur dans le premier groupe.

— C'est toujours bon pour ce week-end, au fait ?

Je hochai la tête.

— Super, soupira-t-il, l'air guilleret. J'adore les fêtes au bord de l'eau. C'est toujours une occasion en or pour faire s'épanouir mon côté exhibitionniste.

En effet, il n'y avait pas plus pervers que ce mec. À part Paul, peut-être. Ils se comportaient tous les deux comme de gros obsédés, par moments. C'était certainement pour ça qu'ils s'étaient tout de suite bien entendus quand je les avais présentés.

— Il y a juste un changement, précisai-je. On va faire ça sur la plage, finalement.

Mon ami resta pendu à mes lèvres, mais sembla s'impatienter quand il constata que je n'avais pas l'intention de m'étendre plus sur la raison du comment.

— Et on peut connaître la raison de ce changement ? s'enquit-il, les cils battants.

Parce que j'étais un homme arrangeant mais aussi très égoïste et que je voulais que ce Reid m'apprécie. Je voulais juste qu'il se sente un peu moins misérable, à défaut de se sentir bien.

— Parce que j'ai une soudaine envie de faire du surf.

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