The mechanical girl

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The mechanical girl

La jolie poupée toute démantelée gisait sur le sol de l'atelier. Sa petite tête détachée de son buste fixait le vide. Ses bras éparpillés sur le sol se confondaient avec le reste de ses entrailles métalliques. Un joli métal doré où se reflétait le visage perdu d'un homme. Au-dessus d'elle, il se tenait violemment la poitrine comme si l'air venait soudainement à lui manquer. Il se tortillait. Ses joues étaient empourprées et des perles de sueur constellaient sa face crispée. Une douleur muette se peignait sur son visage qui brillait sur le corps de l'adorable poupée désarticulée. Le visage de la belle endormie sous la lumière tamisée semblait encore sourire à l'homme qui l'avait cruellement assassinée.

« Lorsqu'on évoque Dieu, je me représente immédiatement Gepetto et mes doutes expirent »

-Wyatt Brook au cours d'un dîner mondain

Wyatt Brook se leva impatient. Il s'habilla avec empressement. Ses gestes étaient vifs et désordonnés comme si un être malicieux et déchaîné l'habitait (ce démon l'avait habité toute sa vie ). Il jeta un rapide coup d’œil au hublot opaque qui faisait office de fenêtre dans la chambrette. Dehors, il faisait encore nuit mais la ville volante continuait de s'activer avec ce même labeur coutumier qui caractérisait cette époque étrange (où tout semblait aller trop vite, trop loin avec un empressement fatal). Les usines à vapeur sifflaient au loin dans le décor industriel et une lumière artificielle constante illuminait les rues déjà bondées. La foule marchait en cadence et se fondait dans le paysage urbain. Les immeubles montaient très haut comme pour se perdre au milieu des étoiles incendiaires. Wyatt Brook avait le cœur battant. Il passa une cravate sombre autour de son cou mais l'excitation qui l'animait ne lui permit pas de l'attacher convenablement. Il avait la très nette (et très agréable) impression d'être arrivé en bout de parcours, de se réveiller d'un long rêve éreintant qui lui avait pris plus de dix ans de sa vie. Dix années de travail féroce qui allaient enfin être récompensées : la gloire à portée de main. Et c'était une main de métal qui allait lui offrir cette reconnaissance tant méritée. Oh ! Parce qu'elle est justement méritée cette reconnaissance et elle récompenserait à la fois le travail, le labeur, le génie et l'homme qu'il était. Son cœur tambourinait violemment contre sa poitrine (Plus vite ! Plus vite !), une bouffée de chaleur embrumait presque son esprit. Alors qu'il descendait d'un pas précipité les escaliers qui menaient à son atelier, il se retint un instant à la rambarde pour qu'elle soutienne son corps vacillant. Euphorique déjà à quelques secondes à peine de son réveil. A quelques heures à peine de son couronnement (oui, couronnez-moi car j'ai fait, j'ai créé cette jolie poupée de toute pièce, cette jolie poupée qui va vous faire perdre la tête !). Mais, son ahurissante invention ne l'avait pas quitté dans ses rêveries au cœur des vapeurs de béatitude qui embrumaient son esprit et son âme. Oh, oui ! Il avait tant rêvé ce jour où la foule entière stopperait sa cadence mortelle pour l'acclamer et le hisser au sommet.

Il avait laissé son atelier éclairé durant son court sommeil. Il avait oublié de chausser ses mocassins et il posa douloureusement le pied sur une curieuse petite invention (un wagon de train minuscule retourné sur lui même qui pédalait dans le vide) qui traînait sur le sol. Des ballons transparents flottaient dans l'atelier, des petites boîtes sifflaient sur les étagères encombrées. Un étrange réveil pingouin applaudissait par intermittence en s’élevant de quelques centimètres du sol. Tout bourdonnait, ronflait, sifflait.

Elle était là, (et il n'avait yeux que pour elle), l’œuvre magnifique de toute une vie : Léto (sa tendre Léto). Sa fille de métal. Elle était adossée à un siège de bois brun. Elle dormait encore ( simple cage de fer inconsciente qui allait soudain s'animer et vous enchanter). Il s'agenouilla à ses côtés. Son genou chuta contre les pieds de la chaise. Il l'avait sculptée à même le métal ( un métal doré, brillant où son propre visage n'avait de cesse de se refléter) ; travaillé longuement son corsage, sa poitrine sulfureuse et ses entrailles métalliques. Il avait orné son corps d'une science exacte. Lui avait offert un cœur de métal ; un cœur qui pouvait l'animer et lui donner une fantasmatique réalité. Une œuvre exemplaire ; le miroir de sa gloire prochaine. Une avancée fulgurante pour l'époque et pour lui... Oh, oui ! Il avait mis tout son cœur à l'ouvrage. Ses mains portaient encore la marque de ses années de labeur à travailler la matière, à méticuleusement (si méticuleusement) poser chaque fibre artificielle de son être. Il avait vieilli (et prématurément) rongé par l'angoisse d’échouer, que Léto reste sur sa chaise en pantin inutile. Inutilement assise sur son fauteuil à ne rien faire d'autre que lui rappeler son cruel échec. Alors, il avait travaillé, travaillé à en perdre la raison, le sommeil et même la faim. Oh, oui ! Si vous saviez, il avait mis tout son cœur à l'ouvrage pour que celui de Léto un jour batte.

Agenouillé, il retint involontairement son souffle et actionna la machine. Il ne se passa rien tout d'abord (mais la brume qui s'était levée dans l'esprit de Wyatt conditionnait dans son esprit, sa réussite) puis lentement les deux paupières dorées de Léto s'élevèrent. Deux sphères bleues (un bleu profond et fatal) se posèrent naturellement sur lui. Wyatt bégayait. Wyatt implosait. Léto doucement (gracile, gracieuse Léto) se hissa sur ses deux jambes ambrées et tendit sa main à l'homme qui tremblait (d'aussi délicates larmes que les courbes de Léto coulaient de ses yeux fatigués à sa bouche balbutiante). Il la lui prit (elle lui offrait l'éternité d'un nom gravé dans le souffre et la vapeur des siècles à venir) :

- Je ne pouvais pas faire mieux, souffla t-il à la curieuse femme de métal.

- Je ne pense pas, répondit Léto.

Elle eut un rire étrange (le rire qui venait d'une gorge de fer). Il ne voyait pas son cœur de métal sous l'acier blond de son poitrail mais il l'imaginait battre, battre, battre, d'une cadence parfaite.

La salle était comble, ils étaient tous venus ce soir assister à son triomphe (ce fameux triomphe) : les hommes dans leur queue de pie noire (qui traînait presque sur le sol), ( velours, velours, voleur je ne vois que du velours sombre et des vestes diamantées) ; les bourgeoises outrageusement maquillées dans leurs grandes robes victoriennes (de la dentelle blanche jaillissant des riches tissus orangés). Aux extrémités du cercle de mondains qui discutaient vivement, les marginaux aux coiffures démentielles (dans leurs costumes incroyables, en cuir brun, percés au niveau des épaules par de véritables ailes mécaniques repliées contre leurs omoplates). La presse, affalée contre le buffet et l'estrade bien sûr déjà sous le feu des projecteurs. Wyatt Brook dans les coulisses ( dissimulé par d’épais rideaux de velours pourpre ) trépignait et se régalait de cette contemplation : tous ces gens rassemblés pour lui, pour le congratuler ( l'entourer et le chérir ). Sur la scène Léto était encore dissimulée de la foule (qui se prélassait en attendant que résonnent les prémices de son apothéose) par une teinture ivoire. Il faisait incroyablement chaud ; les hélices au plafond semblaient brasser dans le vide. Une femme ailée s'épongait le front avec le revers de sa manche.

Enfin, Wyatt Brook s'avancait alors sur l'estrade accompagné par quelques applaudissements polis (ils ne savaient pas encore... ). Il avait salué l'assemblée et l'instant d'après Léto leur apparaissait à tous (enfin !). Le voile tombant brusquement à ses pieds. Radieuse comme un soleil étincelant (une centaine de visages se réfléchissant sur son corps ambré). Sa tête s'était tournée vers le cortège des ahuris (quelques flashes au fond de la salle retentissent) et elle avait tendu sa fine main hâlée à la foule comme elle l'avait déjà fait auparavant pour son créateur. Ses petites lèvres de métal semblaient adresser à la foule un sourire langoureux. Son expression était belle, presque humaine et la foule était déjà en délire. Wyatt s'était avancé  sur l'estrade, un tonnerre d'applaudissements résonnant dans la pièce. Wyatt avait sourie de toutes ses belles dents blanches ( ses lèvres s'étirant de long en large ) et il avait salué encore, encore. Euphorique, il se sentait aussi léger que si ces hommes étranges lui avaient prêté leurs ailes insolites. Oh, oui ! C'était son moment. Son moment tant désiré ( il était né pour cet instant ). Au cœur des flashes et des lumières, son cœur s’était emplie de fierté ; il se sentait vivant ( vivant ! Oui ! Tout simplement vivant ! ).

Mais, bientôt le public s'était rassemblé uniquement autour de Léto qui saluait gracieusement l'afflux de ces bourgeois fascinés, se penchant en avant et serrant les mains avec ferveur. Son petit sourire honorant l'assemblée et son rire cristallin ( si particulier ) hantant déjà les esprits pour les nuits ( et les siècles ) à venir. Elle tourbillonnait sur elle-même et des visages radieux lui répondaient. Elle imitait l'Homme et l'homme l'imitait à son tour et l'embrassait du regard ( ils la vénérèraient ). Elle imitait l'Homme mais en mieux encore. Renversante. Et sa tête se renversait et le cortège approuvait avec un enthousiasme démentiel. Ses prunelles bleues toisaient la foule et son humanité ( irréelle, et si parfaite à la fois ) fascinait. Wyatt Brook n'est qu'une ombre et elle, le phare qui guide la foule. Une voix s'était élevée pour féliciter le créateur mais l'univers entier n'avait déjà yeux que pour la femme de métal et son rire enjoué qui vient d'un autre univers et n'a d'autre point de mire que de consumer le cœur des hommes. Une œuvre de génie ; et le génie dans les ténèbres s'efface.

Son cœur déjà s’était emplit de colère. Le venin de la haine déjà s'injectait dans son être. Un goût acide infiltrant les parois de sa chair.


Le cœur de Léto bat, bat, bat encore d'une cadence mélodieuse.

Il avait rêvé de gloire et de succès toute sa vie mais l'intérêt qu'on lui porta ne dura qu'une brève semaine. Ensuite, l'attention fut monopolisée... et exclusivement par Léto. Léto toujours Léto sans même que le nom de Wyatt Brook soit évoqué ( une ligne à peine dans une prestigieuse revue de presse '' L'Homme et la Machine n°448 '' ).

Pour l'homme qu'était Wyatt Brook, c'était un coup bien plus dur encore que tous ceux qu'il avait endurés durant sa vie et les dix dernières années de labeur qui l'avaient saigné. Toutes ses heures penchées sur Léto en rêvant de cette gloire, de cette attention qu'il n'avait jamais obtenue.

Léto défrayait la chronique. Son nom était sur chaque lèvre, dans chaque discussion. Il la présentait et l'attention entière semblait figée sur ces incroyables yeux qui semblaient animés d'une conscience et d'une essence uniques : un songe d'humanité. Ils marchaient tous deux et la foule à la manière d'un essaim d'insectes s'attroupait à ses côtés, l'interrogeait, la questionnait. Elle, qui n'était que machine, répondait avec ivresse et parfois il semblait presque à Brook que ses joues rosissaient légèrement à la vue de certains hommes, ou sous l'effet de la flatterie.

Lorsqu'il se couchait et elle à ses côtés, elle chantonnait d'elle-même sur la couchette où elle mimait un sommeil réparateur. Ses yeux le pénétraient et étaient par instant traversés d'une étincelle d'intelligence incompréhensible. Déroutante. Elle répétait les gestes, les expressions avec acharnement devenant chaque jour plus réelle, plus humaine, plus irrésistible encore. Attablée, elle portait méthodiquement la nourriture à sa bouche ( répétait, répétait ) sans pouvoir s'en sustenter. Elle souriait de manière appliquée. La ville entière l'adorait. Et il semblait même à Wyatt Brook, qu'elle adorait être adorée. Oh ! Ils la vénéraient tant car elle était l'humanité sans ses vices ; un être pur fait de bonne volonté et de mensonges conventionnels. Mais, Brook pensait, pensait qu'elle lui volait délibérément la gloire qui lui était dûe. Oh, oui, il pensait. Il pensait très souvent à ça ( cette sale petite voleuse ) et la fureur dans son âme faisait rage. Il n'était plus rationnel mais elle non plus n'est-ce pas ? Elle n'était pas douée de raison pardi ! Si humaine semblait-elle être !

Wyatt Brook marchait dans les rues bondées, la foule se ruait sur l'étonnante invention ( l'étonnante Léto ). Dégoutté, il changeait de trottoir mais pas Léto qui toute satisfaite répondait aux questions des badauds excités. Il y avait même ces femmes fortunées qui l'imitaient ( elle, la machine ) et se paraient d'or et d’accessoires métallisés.

Plus tard, en tête à tête dans l'atelier, elle lui envoyait un regard désolé et saisissait sa main comme pour le consoler. Il se laissait faire, appréciant le contact chaud du métal ( pourquoi était-il si chaud ce métal qui devrait être froid comme un hiver glacé ? ). Il se perdait dans la contemplation muette de ce visage exquis qu'il avait dessiné et soigneusement découpé dans l'acier. Il avait fondu chaque parcelle de ce corps de fer mais il n'y avait qu'elle au sommet de l'affiche ; il disparaissait dans son ombre grandissante, dévorante et son nom ( le nom qu'il lui avait donné ) supplantait le sien comme si elle s'était faite elle-même. Et c'était inadmissible. Intolérable.


Le mois qui suivit la naissance de Léto fut l'un des plus riches et des plus enrichissants que ce siècle connut. Léto stimulait les esprits malins et c'est de cette même période que les premières recherches sur les machines à téléportation furent datées. Mais Léto fut sauvagement assassinée un mois et neuf jours après cette fascinante scène où elle fut pour la première fois exposée aux yeux du public.

Wyatt Brook et Léto, l'extraordinaire assemblage d'acier, étaient une nouvelle fois réunis dans l'atelier qui l'avait vu s'éveiller au monde. Le cœur de Wyatt était dur et amer. La haine avait empli son être et chaque pensée, qu'il avait, méprisait et condamnait la jolie Léto qui subjuguait toujours la foule. Le Gouverneur de la cité volante l'avait conviée la veille à une cérémonie sophistiquée où lui-même n'avait pas été convié. Elle avait siégé au côté du gouverneur, gloussant comme une collégienne intimidée à toutes ses boutades ( ces images avaient été transmises sur toutes les chaînes télévisées et en première page du quotidien, le lendemain ). Wyatt en était venu à haïr la bête de foire qui avait usurpé son règne ( bête de foire, rien d'autre qu'une bête de scène irritante ).

Il s'était soudain levé au bord de la rage ( mais cette fureur était muette et lorsqu'il se redressa l'air menaçant, Léto le regarda interdite). Et il avait saisi les outils même qu'il avait utilisés pour la créer ( cette bête poupée, cette voleuse envahissante ), l'avait frappée de toutes ses forces. Avait brisé l'acier, puis empoigné le métal ( le corps de Léto qu'il avait façonné avec amour et patience ), avait battu ses formes ravageuses. La jolie poupée ne criait pas ( des larmes perlaient au coin de ses paupières d'acier ? ). L'adorable poupée volait en éclats. Il abattait ses poings contre elle et ses petites mains s'écrasèrent violemment sur le sol. Comme ivre, il s'acharnait avec hargne sur le squelette doré qui ne réagissait plus ( se laissait dériver dans les airs ). Sa tête chuta l'instant d'après, percutée par la violence de Wyatt ( emportée par le geste colérique ). La tête roula sur le plancher. La jolie poupée toute démembrée, affalée au sol, ne brillait plus.

Wyatt lâcha le corps cassé ( c'était fini ) ; la tête de Léto acheva sa course sur le tapis rosé de l'atelier. Il tenait dans ses mains,qui avaient saigné des coups portés, le torse brisé de Léto. A bout de souffle, la réalité lentement reprit ses droits. Et au milieu des entrailles métalliques désordonnées, au lieu du cœur de métal qu'il lui avait offert, battait faiblement encore un vrai cœur ( un organe rouge, un cœur d'Homme qui s'éteignait et battait encore d'une cadence mortuaire ). Le cœur battait. Un vrai cœur qui mourait. Et soudain, une violente douleur fusa dans la poitrine de Wyatt. La gloire qu'il avait tant rêvée ( tant désirée ) filait dans l'abîme. Et alors que le cœur de Léto expirait, Wyatt sentit son souffle lui manquer. Il tomba à genou, les bras portés contre son torse. Son propre cœur brûlait contre sa chair.

Il faut dire qu'il avait mis tout son cœur à l'ouvrage.

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