Le diable y pourvoira, ou bien son assistant.
Michel Wine
Publié le 24/05/2020 19:16
6 mins de lecture
J'ai allumé les bougies, il faut juste faire gaffe de ne pas foutre le feu, ça serait le bouquet, c'est complètement débile, je suis devenu débile, j'arrête de penser.
Un matin comme les autres, au moins quand je me lève, je passe par l'escalier pour ne croiser personne des autres locataires, j'entasse ma poubelle, une semaine de déchets, dire qu'il y a quelques temps c'était presque tous les jours que je jetais mes restes, autres temps autres miettes.
Tant que je suis en bas, j'ouvre la boite aux lettres, à part quelques factures, la relance d'un huissier, il ne reste qu'un mois et je dois dégager, trouver un autre toit, cela fait presque un an que je n'ai pas payé, je n'ai plus les moyens de dormir dans un lit, le revers d'insouciance, la vie y pourvoiras, tu parles d'une connerie, bosser à en crever, il ne reste plus rien.
Et un courrier de plus, la pile est déjà haute, je n'ai pas tout ouvert je sais ce qu'il y a d'écrit, des relances des rappels et quelques injonctions, c'est toujours les mêmes mots, les tournures identiques, la seule chose variable c'est le chiffre à la fin qui change à chaque fois, loin des quelques centimes qui me restent sur la table, je suis devenu riche de sommes négatives.
J'ai encore du courant, j'ai encore internet, les relances par courriels, et sms d'attente, on va changer de sujet tant que je peux encore, surfer un monde virtuel qui n'en a rien à foutre de ma petite personne, la chose qui me rassure, il y a plus mal que moi, mais il y a surement mieux, j'en ai plus rien a foutre a titiller le diable, ou bien le diablotin, association d'idée, "vendre son âme au diable", tiens, ça va m'amuser.
"Magie noire, magie rouge, un peu de magie blanche, tout ce que vous voulez à portée de nos rites", j'étais en train de lire une page de Google, un peu d'amusements ne ferait pas de mal au point ou j'en étais, les pages des prêts bancaires m'auraient tirés des larmes, au moins c'est du gratuit qui ne demande rien.
Un pentacle, des bougies, des mots sur un papier, on brule de l'encens et le tour est joué, mais ne pas oublier la petite clochette qui sonne le début et la fin du rituel, non mais sans déconner, je suis à peu près sûr que certains ont plongé, aux heures d'internet des connaissances actuelles, la ville de Salem et les écrits maudits ont encore de beaux jours quand tout est partagé.
Je me dois d'avouer, je fumais ma moquette, mais j'ai passé une heure à fouiller mes placards; quatre bougies odorantes, et un bout de carton pour faire la cinquième, quelques bâtons d'encens, la couverture d'un livre sur lequel j'ai écris " Je voudrais de l'argent et toit au-dessus", une petite cuiller qui fera la clochette, des couverts de cuisine dessinant un pentacle, j'en suis arrivé là quand j'ai tout allumé, un verre d'eau au milieu prêt à éteindre le feu, et consciencieusement, accroupi sur le sol je récite une formule que j'ai lu tout à l'heure.
J'ai frappé au début, j'ai frappé à la fin de la petite cuiller pour faire le tintement, j'ai vraiment l'air d'un con, mais je me suis amusé, parce que rien ne se passe, mais je ne me vanterais pas, bon, j'attends cinq minutes, mais pas une de plus, je laisse un peu de temps au diable si il existe, il m'a tellement pourri, et au point ou j'en suis pour une fois que j’appelle, il peut bien prendre son temps.
J’éteins toutes les bougies, au moins il y a l'odeur, je range les couverts, je remet tout en place, je suis un peu déçu, mais surtout je rigole de ma pauvre connerie, celui qui est sensé rigole de l'imbécile, je retourne sur l'écran, au moins il n'y a que moi pour se foutre de ma gueule, tiens un nouveau message, je suppose une relance.
"Bonjour Monsieur, suite à votre inscription et à votre demande, vous faites maintenant partie de notre liste et du tirage au sort. A ce titre, vous venez de gagner un lot que nous vous invitons a confirmer simplement par lecture et par acquiescement volontaire."
Je ne suis inscrit nulle part, à part chez des huissiers, qu'est ce que c'est cette connerie, si j'ai gagné je prends, mais je ne réponds surement pas pour confirmer l'adresse, je connais les arnaques.
Mon téléphone sonne juste à ce moment là, un numéro masqué, je décroche mon phone mais je ne parle pas, si c'est un débiteur, je le laisse causer au bout d'un certain temps, quand il n'a pas de réponse, il raccroche tout seul.
"Bonjour Monsieur Michel, nous avons pris bonne note, je viens dans cinq minutes, votre lot avec moi, je serais dans la rue."
Je suis interloqué, je répond bêtement
"Qui êtes vous, qu'est ce qui se passe, vous amenez un lot, vous ne me connaissez pas, c'est pas le bon numéro."
C'est parti d'un seul coup.
Je ne pense plus à rien, enfin si un petit peu, mais c'est tellement confus, un huissier et un lot ? Mon neurone s'affole, il se cogne aux parois.
"Je vous expliquerais, mais vous avez demandé, dehors dans cinq minutes, à bientôt de vous voir."
Je descend doucement, toujours par l'escalier, ça m'a pris cinq minutes, les fameuses cinq minutes, par la porte vitrée, personne ne peux entrer s'il ne tape pas le code, je regarde dans la rue, je me sens rassuré, je n'aperçois personne, je me risque dehors, garé sur le coté, une grande caravane, les gens se font pas chier, une place de parking pour garer un loisir. d'un seul coup la porte s'ouvre.
" Bonjour, Monsieur Michel, je vous en prie venez, je vais tout expliquer."
Je ne fais que résumer, assis dans le mobile, je n'ai pas tout compris, il me manque des blancs, mon neurone est HS, l'homme s'en est allé, il paraissait normal un peu comme moi maintenant.
Mon rituel de magie, le truc sur internet, fait à l'économie avec des bouts de chandelle, le stagiaire du commis de l'employé de bureau, celui qui prend les ordres des sous-fifres du patron, tout à fait par hasard il a lu ma demande, les démons importants sont sur de grosses affaires, comme j'ai demandé peu de l'argent et un toit, il n'a fait que répondre en tendant un billet et une paire de clefs puisque j'ai acquiescé.
J'ai gagné cent Euros et une caravane, bien sur j'ai dû signer, non pas avec mon sang, ils se sont adaptés à l'ère d'internet, j'ai gagné de l'argent et un toit au-dessus, un millier de mon âme, il m'a tout expliqué.
La morale de l'histoire ? Soit j'arrête la moquette, soit je demande plus, il me reste de la marge.
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