7. Le poids du pardon

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- 5 Décembre 2020, 21h23

San Francisco -

Je pousse un énième soupir en pliant mon linge. Pour la dixième fois de la journée, je me repasse tous les événements depuis mon arrivée. Tout a dérapé quand Crystal est arrivée. Et évidemment, elle est la cause de mon mal-être actuel.

Pourtant, pour une fois, elle n’a strictement rien fait.

Je prends ma tête entre mes mains en retenant le cri qui voudrait s’échapper de ma gorge. Lorsque j’ai demandé à Crystal de ne plus m’adresser la parole, elle m’a écouté. L’aînée de la fratrie a déserté le domicile familial après être allée chercher Harper à l’école. Résultat, voilà deux jours que je rumine dans mon coin.

Son départ n’était pas ce que je voulais. Enfin, si. Mais tout compte fait, je regrette de l’avoir poussé à partir. Surtout quand je repense à ce moment où elle a passé la porte d’entrée en ignorant les supplications de ses cadets.

Elle a planté une toute dernière fois son regard empli de culpabilité dans le mien et je me suis contentée de garder un visage fermé alors que tout mon être me criait de la retenir, ne serait-ce que pour Lennon et Harper. Ses yeux clairs se sont recouverts à nouveau de ce voile de peine et de détresse que j’avais vu dans sa chambre ce soir-là.

J’attrape mon téléphone avec hésitation. Il faut que j’essaie. Tant pis si elle m’envoie bouler, au moins, j’aurais tenté.

En remontant dans ma chambre après son départ, j’ai découvert un petit post-it sur mon bureau avec un mot d’excuse et un numéro de téléphone. J’ai rentré la suite de chiffres dans mon portable sans pour autant l’utiliser.

Je dois me rendre à l’évidence. Je peux essayer de me persuader que je la déteste, je ne fais que me voiler la face. Sa présence dans cette maison me manque et pas seulement à moi. J’aimais la voir rire avec Lennon, observer l’attention qu’elle porte à sa petite sœur. Et plus qu’autre chose, ses yeux me font et me feront toujours chavirer, peu importe ce qu’ils me montrent. Après avoir écrit et effacé une dizaine de messages, je finis par en envoyer un.

Ange - 21h38 : Salut, Crystal. C’est Ange. Reviens, s’il te plaît. J’ai été conne, je veux pas que tu partes, je veux pas non plus que tu m’ignores. Je veux juste pouvoir t’aider à… je sais pas, peut-être juste à aller mieux ? Tu manques à Lennon et Harper, à Maggie. Et aussi dingue que ça puisse paraître, tu me manques à moi aussi. Je ne sais pas ce que tu m’as fais, mais s’il te plaît, rentre… Je suis désolée de t’avoir hurlé dessus (même si tu le méritais un peu :p), je m’en veux d’avoir provoqué cette tristesse dans ton regard. Je m’en veux d’avoir réagi comme ça, mais j’ai mes raisons comme tu as sûrement les tiennes et je ne te demande pas de te justifier, juste de me laisser t’aider. Je ne sais pas si tu prendras la peine de lire ce message, mais si tu le fais, sache qu’on attend que ton retour. Signé, Cupidon, un ange incompétent.

Je reste assise face à mon bureau, mon portable posé au centre, le stress nouant mes entrailles. Je sens mon estomac se tordre dans mon ventre, mon coeur faire des looping et ma jambe droite tremble encore et toujours pendant que je passe ma main dans mes cheveux.

Je sursaute lorsque le bruit de la notification résonne dans le silence de ma chambre.

Ma respiration part au quart de tour et j’avance une main secouée de soubresauts vers l’appareil. Crystal.

  • Bon sang, un peu de courage, Ange !

Je finis par baisser les yeux sur l’écran en le déverrouillant.

Crystal - 21h56 : Ange… C’est pas à toi de t’excuser. Je suis le démon qui a voulu détruire chaque parcelle de ton âme, je suis l’horrible personne qui brise tout ce qui m’entoure. Alors… Pardon d’être comme ça. Pardon de t’avoir blessée. Pardon d’être incapable d’agir autrement. Pardon de me comporter comme la pire des connes. Pardon, pardon, pardon. Excuse-moi d’être entrée dans ta vie. Je suis désolée d’avoir dit que j’allais te faire vivre un enfer. Et merci, merci de m’avoir stoppé avant que j’y parvienne. J’ai détruit tellement de filles, je ne mérite pas que tu m’accordes ton attention. Je vais juste disparaître de ta vie, ne plus te faire de mal, ne plus remettre ma douleur sur le dos de ceux qui n’ont rien demandé. Je suis désolée de te faire te sentir mal pour moi alors que tu ne devrais pas, Cupidon…

Mon cœur se brise dans ma poitrine lorsque je lis son message. Pourquoi agit-elle comme ça ? Pourquoi refuse-t-elle de comprendre ?

Prise d’une impulsion nouvelle, je clique sur le bouton d’appel et me mets à arpenter la pièce en attendant qu’elle décroche.

  • Crystal ! m’exclamai-je instinctivement lorsqu’elle répond.
  • Cupidon…, souffle-t-elle, la voix cassée et étrangement rauque.
  • Reviens, s’il te plaît, murmurai-je.

Seule la respiration hachée de la jeune femme me répond.

  • Crystal, tu m’écoutes ? soufflai-je.
  • Je peux pas, pleure-t-elle.
  • Tu peux pas quoi ?
  • Je peux pas revenir, pas tant que tu seras là, avoue la brune.
  • Si, si, tu peux. Je suis désolée de m’être énervée sans chercher à te comprendre. Rentre, Crys, murmurai-je.
  • Les étoiles brillent comme dans tes yeux, ce soir, sourit-elle.

Je m’arrête de marcher, coupée par mon cœur qui loupe un battement.

  • Qu’est-ce que tu dis ?
  • Il fait nuit et les étoiles brillent, comme dans tes yeux quand tu me regardes, répond-t-elle d’une voix presque absente.

Ses mots m’électrisent. Je ne doute pas de sa sincérité, je l’ai déjà compris et visiblement, elle aussi.

  • Est-ce que tu as bu ? demandai-je, incertaine.
  • Non… Un petit peu, mais c’était pour te sortir de ma tête, c’est tout, promet-elle comme une enfant que l’on s’apprêterait à gronder.
  • T’es où ?
  • Devant la mer, il fait un peu froid, affirme-t-elle.
  • Crys, écoute-moi, s’il te plaît.
  • Hum…
  • Tu veux bien rester là où tu es ? Si c’est beau, tu peux, non ?
  • Si.
  • Très bien. On va continuer à parler, d’accord ?
  • Oui.
  • Comment tu te sens ? demandai-je en enfilant mes baskets.

Pas de réponse. Je m’apprête à lui redemander lorsqu’un sanglot me parvient.

  • Je sais pas… Tellement mal. Pourquoi il a fallu que ce soit toi ?
  • Moi ?
  • Oui, tu lui ressembles tellement, pleure-t-elle.
  • À qui, Crystal ? À qui je ressemble ? fis-je, intriguée.
  • Je veux pas en parler.
  • D’accord. De quoi tu veux parler ? enchaînai-je.
  • De rien, je veux rentrer à la maison.

Sa supplication me fend le cœur et j’accélère en dépassant les limites autorisées. Ce n’est pas prudent, mais je n’en ai rien à faire, je veux la retrouver et la ramener chez les Harrison.

  • Est-ce que tu veux que je vienne te chercher ? la questionnai-je alors.
  • Je sais pas. Une partie de moi le veut, mais l’autre refuse de te blesser à nouveau, déclare-t-elle de sa voix éraillée par les pleurs.
  • Tout va bien, je vais venir, d’accord ? souris-je, certaine qu’elle ne s’y opposera pas.
  • Je crois pas que ce soit une bonne idée, Cupidon, contre-t-elle sans grande conviction.
  • J’arrive et c’est non négociable.

Avant de partir, j’ai pris soin de localiser son portable pour la trouver. Je me gare près de la plage et descend les quelques escaliers en courant. Je marche en balayant l’étendue de sable devant moi jusqu’à ce que mes yeux se bloquent sur une silhouette à quelques mètres de l’eau et ses remous.

  • Pourquoi ta respiration accélère, Ange ?
  • Parce que je t’ai retrouvé, murmurai-je en courant vers elle.

Crystal se tourne légèrement et, comme si un aimant nous unissait, je jette mes bras autour de son cou pour m’assurer qu’elle est bien là.

  • Tu m’as manqué, putain. Quel sort m’as-tu jeté, Crystal Harrison ? me lamentai-je en enfouissant mon visage contre sa peau froide.

Ses doigts glacés se faufilent sous mon manteau et se déposent sur mon dos seulement recouvert de mon haut de pyjama.

  • T’es congelée, Crys, la grondai-je.
  • Et toi, brûlante, s’amuse-t-elle.

Je ne saurais dire si ses joues et le bout de son nez sont rougis par le froid ou la présence d’alcool dans ses veines mais la seule chose qui m’importe c’est que je vais la ramener chez elle.

Je me détache d’elle et attrape son visage entre mes paumes, l’observant sous tous ses angles. Bon sang, ce qu’elle m’a manqué. Je n’arrive pas à cerner ce qu’elle provoque en moi, ce tourbillon d’émotions contradictoires qui font bouillonner mon être.

Mon regard accroche le sien, si bleu. La tendresse a remplacé toute trace de haine ou de culpabilité dans ses yeux et je me sens fondre de bien-être. Mon front contre le sien, je ferme les yeux pour reprendre mon souffle et calmer mon cœur qui s’emballe. Qu’est-ce qu’il m’arrive ?

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