10. Patinage (pas) artistique (pour un sou)
- 11 Décembre 2020, 14h02
San Francisco -
Je sautille devant elle, excitée comme une enfant le matin de Noël. Je pose une nouvelle fois mon regard derrière moi pour être sûre de ne pas avoir rêvé.
- Mais tu vas te calmer, oui ? rit Crystal en passant une main sur son visage.
- On va vraiment en faire ? demandai-je.
- Je t’ai déjà dit oui au moins trente fois, Cupidon.
- Je t’ai dit que t’étais la meilleure ?
- Trente fois, affirme-t-elle, rieuse.
- Et que j’en avais jamais fait ?
- Pareil.
L’homme devant nous, tenant la main d’un petit garçon emmitouflé dans une doudoune bleue, se tourne vers nous en souriant, se retenant visiblement de rire.
- Regarde, même ce gosse est plus sage que toi, se moque Crystal.
Je mime le choc avant de croiser les bras sur ma poitrine en plissant les yeux. Elle me renvoie un regard empli de défi, une lueur étrange brillant dans ses iris couleur océan.
Ses mains s’approchent dangereusement de moi et sans crier gare, elle s’attaque à mes côtes avec force. Je me tortille entre ses bras, tentant vainement d’échapper à ses chatouilles, la respiration hachée par mes rires incessants. Lorsque la jolie brune met enfin un terme à cette douce torture, je reste blottie dans ses bras, comblée de bonheur.
L’homme et son fils paient et nous libèrent la place face au guichet. Crystal s’occupe des formalités et me prend la main pour nous guider jusqu’à une autre femme qui - après nous avoir demandé nos pointures - nous confie deux paires de patins.
Crystal enfile avec facilité les siens, tandis que je peine à mettre les miens. Elle attrape le patin et me fais signe de mettre mon pied sur le banc. Je m’exécute, la laissant m’équiper. Ceci fait, nous voilà prête à nous lancer.
Je regarde la patinoire avec envie et un semblant de peur se loge dans ma poitrine. Je frotte mon oeil qui s’est subitement mis à me piquer, me rappelant que le moindre pic de stress peut me briser aussi facilement que l’hiver dépouille les arbres de leurs feuilles.
- Cupidon ? m’appelle Crystal.
- Hum ?
- Où est passée ton excitation, dépêche ? sourit-elle.
- Je…
- T’as peur, baby ?
- Non ! me défendis-je en la dépassant pour poser un pied sur la glace.
Peu conseillé lorsqu’on a jamais patiné.
- Mais c’est pas possible ! T’es vraiment dingue, Cupidon, se lamente Crystal en riant alors que je repose dans ses bras.
- J’ai pas fait exprès, bougonnai-je, faussement vexée.
Elle rit de plus belle et finit par m’entraîner derrière elle. Je suis sur un petit nuage, sa main serrant la mienne pour que je tombe pas, me permettant de faire le tour de la patinoire debout et non sur les fesses.
- Alors, ça te plaît ? me demande-t-elle en prenant ma deuxième main.
- J’adore. Merci, Crystal.
Un immense sourire étire ses lèvres et elle lâche subitement mes mains.
- Eh ! Cryyyyys ! criai-je en tombant.
Je me retrouve allongée par terre, sur le ventre, sous le rire incontrôlé de la brune. J’ai beau avoir froid et la respiration coupée par la chute, le son angélique qui passe ses lèvres réchauffe mon âme de la plus belle des façons.
Elle finit par m’aider à me relever en essuyant les larmes de rires qui perlent dans ses yeux.
- T’es méchante, boudai-je en lui frappant l’épaule.
- Et toi, hilarante, se moque-t-elle. Cryyyyys ! mime-t-elle en agitant les bras.
- Eh !
Elle reprend ma main et accélère sa course. Je me sens vibrer au rythme des glissades de mes patins sur la glace, je m’envole dans un monde sans douleur au creux de la main de Crystal, je ferme les yeux un instant, me laissant seulement porter par les sensations qui s’entrechoquent en moi.
- Tu m’étonnes que tu tombes, tu patines les yeux fermés, me taquine-t-elle.
- Je profite, tu me guides, c’est suffisant, répondis-je sur le même ton joueur.
- Et si je décidais de te laisser ? Pourquoi me fais-tu confiance au point de fermer les yeux ?
Un étau serre mon coeur quand je comprends le double sens de ses questions. Elle ne parle pas simplement de cette patinoire mais de tout ce qu’il y a autour. Mes paupières se soulèvent doucement pour croiser le regard orageux de Crystal.
- Parce que j’en ai envie, c’est tout, assurai-je en pressant mes doigts plus forts contre les siens.
- Attention ! crie une petite voix derrière nous, me faisant sursauter.
Nos regards se détachent, ma respiration s’accélère.
Et là, comme pour pousser le cliché un peu plus loin, je réalise que sans l’intervention de Crystal, j’aurais fini le cul par terre.
Mais en sauvant mon postérieur, la magnifique brune perd l’équilibre et m’entraîne avec elle dans sa chute. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je me retrouve à califourchon sur elle, mon visage à quelques millimètres du sien, le coeur battant si fort qu’il pourrait percer ma cage thoracique pour rejoindre le sien. Le souffle mentholé de Crystal s’abat sur ma peau alors qu’elle expire tout l'air contenu dans ses poumons.
Elle finit par exploser de rire en rabattant son bras dans mon dos pour me serrer contre elle avec toute la tendresse du monde.
Un. Deux. Trois. Les secondes défilent et la seule chose que je suis capable de faire, c’est écouter les battements réguliers de son coeur en tentant de suivre son rythme pour apaiser ma respiration.
Le froid engourdi chacun de mes membres mais je ne voudrais bouger pour rien au monde. Là, allongée sur elle à même la glace d’une patinoire publique, sous le regard des curieux, je sais qu’il ne pourra plus rien m’arriver tant qu’elle sera à mes côtés.
- Mon Ange préférée ? Je n’irais pas jusqu’à dire que tu es lourde, mais le sol est froid et particulièrement inconfortable, alors si tu avais l’amabilité de me libérer, je t’en serais reconnaissante, Cupidon, sourit-elle en retirant doucement sa main de mon épaule.
- Oh, bien sûr. Désolée, souris-je en m’empressant de me lever.
Crys se relève à peine qu’elle doit déjà m’empêcher une nouvelle chute. Incapable de tenir sur mes pieds, je titube sur la glace glissante, la poussant à reculer peu à peu.
Son dos heurte la barrière bleue et je me retrouve appuyée contre elle. Encore. Lorsque je lève la tête vers son visage, je croise sans surprise ses prunelles amusées qui me détaillent avec joie. Elle descend ses mains au niveau de ma taille pour me rapprocher encore plus d’elle. Je sens le feu me monter aux joues lorsque ses lèvres se posent sur mon front avec tendresse.
Je m’apprêtais à replonger dans ses yeux envoûtants quand un minuscule flocon glacé vient se déposer sur mon nez, me faisant loucher.
- Oh mon dieu, tu es une perle, Cupidon ! s’exclame Crystal, hilare.
Avant que je n’ai le temps de protester, sa main droite quitte ma taille et un flash retentit juste après. La traîtresse vient de me photographier. Comme pour se faire pardonner, elle vient embrasser le bout de mon nez, me débarrassant de cette perturbation, mais pas de mes rougeurs.
La neige tombe franchement sur nous et je lève la tête pour profiter de ce spectacle magique. Magique, certes, mais pas aussi magnifique que la façon dont Crystal m’observe au même instant. Je détaille à nouveau chacun de ses traits, de sa fossette rieuse au petit grain de beauté au coin de son sourcil, en passant par son sourire moqueur et ses iris emplies de sincérité. Sa beauté me coupe le souffle à chaque fois que je pose mes yeux sur elle.
- Cupidon, tu te souviens quand je t’ai dit que la nuit, les étoiles brillaient comme dans ton regard ? me demande alors la brune, m’arrêtant dans ma contemplation.
Je hoche timidement la tête, mes mains sur ses épaules, les siennes toujours accrochées à ma taille.
- Eh bien, c’est exactement celui que tu as en ce moment que je décrivais, me murmure-t-elle sans me quitter des yeux.
Mon rythme cardiaque s’affole et des papillons naissent et s’envolent dans mon estomac. Nos souffles s’emmêlent alors qu’elle incline légèrement la tête en s’approchant de mon visage. Mes paupières se ferment d’elles-mêmes alors que j’attends l’impact fatidique.
- Je le ferais seulement si tu le veux aussi, Cupidon, susurre Crystal alors que sa bouche effleure la mienne.
Je fais taire ses doutes en agrippant follement sa nuque pour lier nos lèvres dans un baiser passionné, une douce caresse à travers le manteau de neige qui nous enveloppe, une promesse pleine de tendresse et de maladresse. Un Je t’aime silencieux échangé par deux âmes en peine.
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