Reconnexion

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Je voulais me retrouver, m'apaiser, m'éloigner de mon environnement, de mon entourage. J'avais ce besoin presque vital de souffler. Il fallait que je me repose, coûte que coûte.

Longtemps j'ai parlé à mes proches de cette envie de partir seul. Longtemps, trop longtemps, j'ai hésité. Depuis mon dernier grand voyage à New York, je ressentais comme une envie de tout plaquer comme si ma place était ailleurs. Comme si depuis, une brise de liberté s'était installé sur ma peau à tout jamais ...

Mais ça me faisait peur. Beaucoup de mes proches m'avertissaient : c'est déprimant, c'est triste, c'est spécial ... Mon père semblait paniquer à chaque fois que je lui en touchais deux mots. Il se demandait pourquoi je pouvais bien avoir envie de partir soudainement comme ça. Il était inquiet. Il se posait des questions ... "Est ce qu'il va bien ? Ai-je loupé quelque chose dans son éducation ? ... Est-il fou ?". Alors face à tant de désarroi de la part des personnes les plus importantes de mon entourage, le Louis Crétenet névrosé a refait surface. "As-tu pensé à ton argent ? L'essence ça coûte le peau du cul ... C'est bizarre, tu vas t'emmerder, tes idées noires vont ressurgir, seul, à l'autre bout du territoire ... Et si l'un de tes pneus aurait envie de se faire la malle au beau milieu de la Corrèze, hein ? J'voudrais bien t'y voir !". Comme très souvent dans mon existence, je n'écoutais que la voix du diablotin et non celle de la raison. Mon corps, mon esprit et tout ce qui me compose désiraient vivre. Et je me fermais à ça.

Puis récemment j'en ai eu ma claque. Après que l'envie et le désir aient terrassé le type en rouge avec la fourche sur mon épaule droite, j'ai fait ma valise. Le côté vital du désir avait enfin surpassé la personnalité complexe et destructrice dans laquelle je m'étais trop souvent réfugié.

Hop, voiture fermée, ceinture bouclée, contact enclenché, pédale appuyée, me voilà parti. Enfin.

Je n'ai jamais été aussi calme que sur ces quelques journées. Pour la première fois depuis longtemps, le sentiment de bonheur surpassait, et de loin, tous les autres. Je pouvais tout m'autoriser. Je regardais tout ce que je voulais regarder, j'écoutais tout ce que je voulais écouter, j'avais tout le temps de réfléchir, de remarquer, de contempler, de respirer, de sentir ... Le vent, la pluie, les gens, le temps, les bâtisses, l'océan, le ciel ... Je pouvais enfin prendre le temps de penser, de m'émouvoir sur les éléments futiles. Je me sentais à la fois si proche et si loin de tout. Tout ce que je faisais, tout ce que je voyais me rendait heureux, comme si je revivais soudainement les émotions de mon enfance qui s'étaient trop longtemps enfouis au plus profond de moi. Je m'éveillais de nouveau.

A la fin de mon séjour, je ne voulais pas partir de suite. Oui, ma réservation dans l'AirBnB de Teste la Buch prenait fin, mais il était hors de question que je parte sans me permettre un dernier plaisir.

Je désirais voir l'océan. Le bassin d'Arcachon est magnifique mais je pensais à la grandeur d'une vue interminable, lointaine, infinie.

Les Dunes du Pilat, je connaissais déjà. Je suis donc allé un peu plus loin et là, j'ai croisé un petit chemin qui menait sur une certaine Plage de la Lagune. Le parking, gigantesque axe routier perdu au milieu d'une forêt de pins, m'invita à poser les roues de mon Opel sur ses places vides. Il n'y avait en effet pas un seul de ses compatriotes polluants. Ni même une sandale de vacanciers. Un régal.

Je descendais et me promenais le long de ladite lagune, contemplant toute la magie de la plage qui se trouvait maintenant à quelques dizaines de mètres de moi. J'attendis le bon passage pour oser m'y aventurer, étant aussi mauvais grimpeur que débarouleur. En effet, pour y accéder il fallait ne pas avoir peur de descendre bien franchement à travers un petit chemin escarpé.

Ça faisait longtemps que je voulais en parler de cette plage mais qu'il est dûr de vous la résumer en quelques mots. Je suis d'ailleurs toujours certain que la façon dont je vais vous la décrire et la manière dont je vais vous raconter ce que j'y ai vécu émotionnellement ne lui rendra jamais honneur.

Mais putain, ce qu'elle était belle. Gigantesque. Elle résidait là, paisible, entre les pins d'un côté et l'océan de l'autre. A la fois discrète aux yeux du monde et imposante aux yeux des mortels. Personne, si ce n'est moi, la foulait. Comme si aucune âme qui vive ne pouvait se le permettre. Comme si elle m'attendait depuis toujours.

Je me retrouvais donc seul, les pieds nus sur son sable fin, sous le bruit et la beauté des vagues, entouré par le silence de l'inactivité humaine, à la fois perdu et fasciné. Je marchais, doucement, m'arrêtant toutes les cinq ou six secondes et j'admirais ce tout, ébloui. Je ne me suis jamais senti aussi paisible, comme lié par un fil invisible avec le paysage qui s'offrait à moi. A l'intérieur de mon corps tout se bouleversait. Ma positivité explosait, mes émotions ressurgissaient comme libérées d'un fardeau. Une force tranquille pénétrait tous les pores de ma peau, transperçant chacune de mes peurs, anéantissant chacune de mes colères ... Et personne, pas un son, pas un chouille de distraction ne put empêcher cela.

Je pensais y rester une heure ou deux. Je n'ai pas bougé de toute la matinée.

J'ai rejoint mon véhicule à 13h30. Souvent, je parle seul. J'aime tout commenter, débattre avec moi-même, me rassurer. Là, je n'ai pas touché un mot. Je me suis juste affalé dans la voiture et je suis resté stoïque, le regard dans le vide pendant dix minutes.

A quoi je pensais ? Que plus rien n'avait d'importance. Mais pour la première fois, ça me faisait un bien fou.

Quand vous avez la chance de contempler un tel paysage, aucun de vos soucis ne peuvent rivaliser. Oui, tout paraît bénin et, croyez-moi, ce n'est pas n'importe lequel des névrosés qui vous le balance. Ça vous fait prendre conscience du minuscule que vous êtes. Que la vie des hommes n'est rien. Que tout ce qui nous entoure et immensément plus beau et plus imposant que nous ne le serons jamais. Et qu'au final, le travail qu'est ce que c'est ? L'argent, qu'est ce que c'est ? Les races, les peuples, les langues, qu'est ce que ça veut dire ? La politique, la guerre, la justice, le chômage, les impôts, le pouvoir d'achat, les allocations, la publicité, la crise, les doutes, la compétition, la concurrence, la haine, j'en passe et des meilleurs. Toutes ces choses ...

Rien est concret. Aucun de nous ne l'est. Cette plage, ces pins, cet océan ... Ils ont eu et auront une histoire bien plus riche que la notre. Bien plus riche que tout ce que notre espèce a façonné et façonnera.

Pourquoi autant se prendre la tête sur des éléments immatériels alors que juste là, il y a l'image parfaite de ce que l'homme a toujours recherché : la paix, l'éternel grandeur de la paix, qui a su braver toutes les tempêtes et les folies que le monde a tenté de lui faire subir depuis son commencement ...

Je suis alors parti doucement du parking, ai rejoint la route et j'ai souri.

Oui, j'avais quand même cette désagréable impression de laisser un membre de ma famille derrière moi, je dois l'admettre. Cependant, une sensation de reconnaissance m'a accompagné jusqu'à mon retour à l'appartement. Je remerciais la vie, je remerciais la Terre et enfin je me remerciais moi. Il fallait que je me l'accorde.

J'avais pris la bonne décision.

Je voulais me retrouver, m'apaiser, m'éloigner de mon environnement, de mon entourage ...

J'avais fait mieux que ça.

J'ai mis deux pieds sur la Plage de la Lagune.

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