Chapitre 3 : Tap tap tap tap
Cette fois, je jetai un coup d’œil autours de moi afin de ne pas faire de conclusions hâtives. Je me mis même à courir dans toutes les pièces mais le fait demeurait inchangé. J’étais de retour sous ma première apparence, dans le même monde. Petit à petit, l’information traça son chemin jusqu’à ma conscience. Depuis le départ, je conservais tous mes objets trouvés à chaque transformation, et le fait que je possédais toujours le poisson et le cœur signifiait que je garderai sûrement les prochaines reliques et donc je pourrai toujours me déplacer entre les mondes. Ainsi, à terme, il y aurait sûrement une scène impliquant tous les mondes, tap tap tap tap, qui signifierait, tap tap tap tap, soit le renouveau du mien, tap tap tap tap, soit sa destruction, tap tap tap tap. Brutalement, je relevai ma tête de frustration. Je n’arrivais plus à me concentrer à cause de ce tapotement qui revenait sans cesse, mais autours de moi, je ne voyais rien. Peut-être devenais-je fou ? Cela commençait à faire un bon moment que j’étais tout seul et les étranges phénomènes auxquels je faisais face, aussi intrigants que repoussants, allaient finir par avoir raison de ma santé mentale, si j’en avais toujours une. Mais alors que je retournai face au miroir, un petit animal attira mon attention. Tap tap tap tap, un lézard tout vert se promenait tranquillement le long du mur. L’observant du coin de l’œil, je vérifiai dans la lettre sur la table les différentes reliques à trouver et en effet, le lézard était bien ma prochaine transformation. Alors me redressant, je cherchai un moyen de l’attraper mais rien dans la pièce ne pouvait m’aider. Heureusement, j’avais gardé avec moi le bocal rempli d’eau. Je me dépêchai donc de vider l’eau du récipient dans le pot posé sur le placard avant que la bête ne s’enfuisse puis je l’attrapai, prenant soin de bien fermer le verrou du bocal. Ensuite je retournai devant l’autel et échangeai le cœur et l’animal. J’eu la chance de constater que les quatre bougies étaient toujours là et allumées. Ainsi, sans plus tergiverser, de m’élançai dans le vide bleu.
Oula.
En prenant une grande inspiration, je rouvris doucement les yeux. Le sang afflua immédiatement dans ma tête. Tête qui était en bas. J’avais en effet les pieds, ou plutôt les pattes, accrochées au plafond. Mais impossible de m’en séparer, j’allais donc devoir trouver vite la sortie de ce monde avant de m’évanouir. Comme d’habitude, j’avais atterri face au miroir qui me renvoya l’image d’une silhouette d’homme à tête et pattes de lézard. Cependant, je n’avais cette fois pas le loisir de m’attarder devant cette transformation, alors je me mis plutôt à chercher un nouveau symbole dans le reflet. Il était, cette fois, situé à ma droite et représentait un triangle barré d’un trait sanglant. Je mémorisai le signe avant de me détourner vers le reste de la pièce. Il était plus dur de se repérer la tête à l’envers mais un élément attira tout de suite mon attention. Dans le pot posé sur le placard, un objet arrondi se tenait. Cette fois bien plus facile d’accès, je mis ma patte dans le pot et récupérai une bille jaune.
— Encore trois à trouver, j’imagine.
Sans perdre plus de temps, je fis un pas vers la porte quand je me rendis compte de l’évidence. La bille n’était pas mouillée. Il n’y avait pas d’eau dans le pot. Ainsi, l’eau dans le pot en terre n’était présente que dans le monde dans lequel j’avais un cœur. Cela renforça mon hypothèse selon laquelle de nombreux aller-retours m’attendaient. C’est sur un soupir de fatigue que je passai alors la porte de droite. Cette fois, en plus de l’autel se trouvait un lustre. Dans un premier temps, j’ouvris les fenêtres devant l’autel et remarquai qu’à part le lézard, il n’y avait ni coquillages, ni bougies. J’étais persuadé qu’il fallait dès lors compléter les coupelles avec des billes. Content de ma trouvaille, je posai ma première bille en haut à gauche, donc en bas à droite de mon point de vue. Ensuite, je me tournai vers le lustre. Il y avait six bougies, mais aucune n’avait la même taille qu’une autre. Avec mon paquet d’allumettes, je me décidai à les allumer mais lorsque mon feu entra en contact avec la mèche de la bougie la plus à gauche, elle ne s’alluma pas. Intrigué, j’essayai avec la bougie d’à côté. Elle ne s’alluma pas non plus. Peut-être était-ce la faute des allumettes ? Avec du recul, sous ma forme de poisson, elles n’avaient pas dû aimer l’eau. Seulement, elles étaient aussi sèches que le pot dans la pièce d’à côté. Pour me donner contenance, je réessayai une dernière fois d’allumer une bougie. Sans trop d’espoir, je posai mon allumette enflammée sur la bougie cette fois la plus à droite, et quelle ne fut pas ma surprise quand je vis la flamme s’élever sous mes yeux. En fin de compte, il n’y avait peut-être aucun problème avec mes allumettes. Cependant, lorsque j’allumai la bougie juste à côté, il ne se passa rien. Pire, la flamme de la première bougie s’évanouissait. Mais cette fois, au lieu de frustration, ce fut la logique qui l’emporta en moi. Peut-être traumatisé par l’étrange cornichon, j’étais presque persuadé qu’il fallait allumer ses six bougies dans un certain ordre. Je retentai alors d’allumer la bougie de droite, qui ne se fit pas prier pour s’illuminer. Quelle particularité avait cette bougie ? Je la fixai sous plusieurs angles pendant deux bonnes minutes avant de comprendre. C’était la plus petite de toutes les autres. Ainsi, avec d’infimes précautions, tremblant d’espoir, je posai une autre allumette sur la deuxième bougie la plus usée et retint mon souffle. Dans un léger frétillement, le feu prit et enflamma la mèche. C’était ça ! Il ne me restait plus qu’à allumer toutes bougies, allant de la plus petite à la plus neuve. Lorsque la dernière mèche s’alluma, un compartiment secret s’ouvrit dans la potence qui tenait le lustre accroché au mur. À l’intérieur, une nouvelle bille. Je la saisis alors prudemment entre mes griffes et la plaçai dans l’autel. Plus que deux.
Dans la pièce suivante, l’horloge comtoise n’était plus seule. Au-dessus d’elle, ou en dessous selon les points de vue, se trouvaient maintenant trois tableaux pour le moins très étranges. Le premier tableau, et c’était incroyable de le dire comme ça, me représentait. Enfin, me représentait sous ma forme de cœur. Une silhouette fantomatique, sombre, grésillante avec deux trous blancs, semblables à des torches, à la place des yeux. Je, la forme dans le portrait plutôt, semblait assise dans un vieux fauteuil. Je me demandai s’il y avait une certaine signification derrière l’œuvre, si c’était quelqu’un d’autre que moi, l’entité qui me dirigeait. Cependant, aucune réponse ne se présentait à moi pour le moment, alors je me contentai de me planter devant le deuxième tableau. Celui-ci était vraiment perturbant. Sur une île qui ressemblait fortement à celle qui ornait le dessin me faisant croire qu’il y avait une fenêtre devant l’autel, il y avait un bâtiment. Or, cet édifice ni ouvert, ni fermé était composé de trois parties. A l’arrière-plan, un cocher s’élevait dans le ciel, juste devant, une forêt d’arbres morts, foncés, pointus, s’enchevêtraient. Enfin, au premier plan, une barrière coupée d’une haute et épaisse porte fermait le bâtiment. Malheureusement, ce tableau ne m’évoquait rien et je n’avais pas le loisir d’étudier ses sens. Mais un léger détail me titillait. Je ne souhaitais pas abimer l’œuvre mais un coin se décollait. Méticuleusement, je tirai sur le morceau pour découvrir une nouvelle bille encastrée dans le bois. Bonne pioche. Peut-être le troisième tableau en renfermait une également ? Une peinture abstraite faisait penser à une grotte aquatique mais le plus important n’était pas là. Rien ne se décollait mais sur le bois du cadre étaient gravés des chiffres, 03:55. C’était assurément une horaire, alors je décidai de placer les aiguilles de l’horloge cassée sur trois heures cinquante-cinq du matin pour provoquer, je l’espère, quelque chose. Un petit cadran s’ouvrit alors au-dessus du douze sur une clé triangulaire. Je me rappelai avoir déjà vu la serrure. C’était celle du coffre de l’horloge mais il me fallait trois clés triangulaires pour l’ouvrir. J’allais donc devoir garder précieusement celle-ci en attendant de trouver les autres. Dans la pièce suivante, une nouvelle bille jaune était coincée dans une étagère remplie de livres. Ces derniers, tous désordonnés, laissèrent tomber un roman lorsque je les rangeai. Cependant, étant accroché au plafond, il m’était impossible de récupérer cet ouvrage au sol. De plus, ayant fait le tour des pièces, il ne me restait plus qu’à retourner devant l’autel, mais malgré les quatre billes en ma possession, je n’avais pas trouvé de relique. Sans oublier le livre tombé. Soudain, j’eu une idée. Il suffisait que je retourne dans le monde du cœur pour avoir les pieds sur terre et récupérer le livre. Alors ni une, ni deux, je déposai le cœur sur le socle, les billes dans les coupelles et plongeai.
Comme prévu, le livre était par terre, ouvert sur une page. Première page, une graine, de l’eau, un pot.
— La graine du sacrifice.
Deuxième page, en face d’un visage noir, sans trais, un poisson et un lézard, trois triangles
— Souviens-toi de l’heure.
Troisième page, une montre à gousset indiquant huit heures vingt-cinq.
— Le passé ne meurt jamais.
Quatrième page, un rectangle dessiné, puis en dessous, un visage, un poisson, un lézard et un ver.
— Les miroirs ne mentent pas.
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