Chapitre 6 : Le temps d'une journée
À peine l’aiguille du cadran se fut-elle posée face au soleil couchant du cadran, que le ciel autour de moi changea brutalement de couleur. Le bleu azur laissa place à un orange rougeoyant, illuminant avec douceur le nid proche de l’horloge. C’est alors que l’ombre d’une feuille m’attira.
Un joli tournesol était déposé dans l’abris, comme si le soleil était venu jusqu’à moi. Je récupérai la fleur avec bienveillance et changeai de pièce. À l’instant où je passai la porte, un avion de papier fendit l’air pour tournoyer entre moi et le meuble aux tiroirs. Je le regardai voleter quelques instants, hypnotisé par ce mouvement doucereux, puis m’avançai vers lui lorsqu’il toucha le sol. En le dépliant, je trouvai à l’intérieur une nouvelle plume ainsi que le dessin d’un téléphone, précédé de l’inscription « élève-toi ». Alors que les plumes allaient à coup sûr m’aider à ouvrir l’autel, la phrase devait, quant à elle, être un indice pour l’étrange point d’interrogation qui sortait du combiné. Mais avant d’aller voir de plus près l’appareil, qui était dans une autre salle, je jetai un coup d’œil au ciel de cette salle. On pouvait maintenant apercevoir un soleil couchant, tout de jaune et orange vêtu. Il me paraissait par ailleurs bien petit et, en tendant la main je pus sans problème le toucher. Pareil aux nuages, je pouvais le déplacer à ma guise. Mais avant, je plantai mon tournesol dans le pot de terre qui était juste à côté du soleil. J’étouffai un soupir d’émerveillement en contemplant le fabuleux spectacle qui se déroulait sous mes yeux. Le soleil étant bas, la plante baissait la tête. Mais quand je pris le soleil pour le poser loin dans le ciel, la fleur se redressa de toute sa taille, si haut, en réalité, qu’elle perdit l’équilibre et fit tomber le pot. En-dessous se camouflait une petite graine que j’enveloppai en creux de ma main.
Lorsque je décrochai le combiné, ce ne fut cette fois non pas un, mais huit points d’interrogation ornés d’ailes qui s’envolèrent. Cependant, ils portaient maintenant chacun une lettre avec eux. Alors, sans plus me poser de question, j’entrepris de tous les aligner dans un ordre précis, formant les mots « élève-toi ». Au moment où tous les caractères furent en ligne, ils s’envolèrent un à un dans les cieux, bientôt suivis d’une petite montgolfière, aussi grande que la paume de ma main, qui sortait de sous la table. Mais très vite, celle-ci monta si haut que je la perdis de vue. Voilà qui était peut-être la seule façon pour moi d’avoir un salut, et elle s’était échappée entre mes doigts. Ravalant, ma frustration, je tournai le dos à cette pièce maintenant sans importance pour retourner face à la comtoise. Soudain, au moment de passer le seuil, mon souffle se coupa. Immense, le haut du ballon dépassait de la plinthe. Plus je me rapprochai, plus l’aéronefs grimpait haut dans le ciel et lorsque je fus tout près, j’étais face au panier. À première vue, il paraissait vide et je commençai à perdre espoir quand brutalement, une main émergea de la nacelle pour aussitôt retourner se cacher. Sans chercher à comprendre, je pris une allumette pour allumer le brûleur. Immédiatement, le ballon d’éleva encore mais s’arrêta de nouveau quelques dizaines de centimètres plus haut. Je m’emparai alors du couteau que j’avais encore pour couper le sac de sable. Cette fois, la montgolfière s’envola sans demander son reste. Quant à moi, je me hâtai vers le sac. À l’intérieur étaient dissimulées deux balances et une petite boite. Cette dernière était fermée par un code de quatre étranges symboles à trouver, chacun surplombé d’un œil dans lesquels la pupille n’avait jamais la même place. Je ne m’en préoccupai pas vraiment, accaparé par les deux autres objets.
À grandes enjambée, j’entrai dans la toute première pièce et accrochai les deux balances aux crochets. Dès lors, je me mis à comparer le poids des différentes reliques avec l’unique poids que je possédais. La tache fut ardue et me prit pas mal de temps mais j’arrivai enfin, au bout de ce qui me semblait être une éternité, à un résultat. Tout d’abord, la masse du lézard était égale à celle du poids, ensuite, le cœur correspondait à quatre lézards et le poisson, à un cœur plus un lézard, donc cinq poids. Le ver, lui, était bien trop léger, si bien que je l’associai au chiffre zéro. Ainsi, le prochain horaire à trouver, « ver, cœur : lézard, poisson », était alors quatre heures quinze du matin. D’un pas décidé, je partis donc tourner les aiguilles.
Outre la sombre aiguille qui s’était placée face à la lune du cadran, rien n’avait changé dans la pièce. Malgré la nuit qui était tombée sur les murs noirs, la multitude d’étoiles qui les parsemaient m’enveloppaient d’une agréable lumière divine et je pus aisément passer d’une salle à l’autre.
La première chose qui attira mon attention fut cette fois l’arbre. Néanmoins, je ne voyais de lui qu’une silhouette sombre ainsi qu’un animal posé à sa cime : un hibou. Mais alors que j’avançai vers lui, il s’envola légèrement dans un bruissement d’aile, tout en passant devant une pleine lune. De loin, elle paraissait normale, mais en m’approchant, je remarquai une fine entaille en son cœur. Prenant mon couteau d’une main, j’incisai avec précision jusqu’à ce que le satellite soit traversé de toute sa largeur par ce trait profond. C’est alors que petit à petit, un immense œil à la pupille bleue, s’ouvrit au centre de la lune. Comprenant instantanément la situation, je m’empressai d’attirer l’attention de l’iris, afin qu’il se tourne dans diverses directions. En effet, lorsque l’œil regardait vers le coin en haut à droite, une étoile filante traça un simple trait dans le ciel. Mais quand ce fut vers le bas du même côté qu’il se fixa, les astres dessinèrent cette fois une croix renversée dans les cieux. De la même manière, en haut à gauche, la pupille observait un carré séparé en trois, et en bas, une sorte de S. C’était le code permettant d’ouvrir le coffre caché dans le sac à sable ! Après quelques manipulations, un déclic familier retentit et je pus constater ce que contenait la boite. Il y avait à l’intérieur une montre à gousset cassée, bloquée sur huit heures quarante-cinq. Encore un nouvel horaire…
D’un mouvement rapide, je me remis debout et courus devant la comtoise. Cependant, un magnifique hibou grand-duc blanc y était maintenant accroché. Mais voyant qu’il ne bougeait pas alors que j’allais dans sa direction, je tendis une main vers lui. Son plumage glacé était en fait composé de plaques métalliques et je n’étais pas au bout de mes surprises. Dès lors que j’appuyais sur son aile droite, sa tête se tournait dans cette direction. Et il en allait de même avec l’aile gauche. Soudain, je me rappelai le mystérieux poème caché dans le livre. Il fallait peut-être tourner la tête de l’animal mécanique, comme il était écrit ? Je posai donc ma main sur l’aile droite puis deux fois sur l’aile gauche. Ensuite, j’exerçai une nouvelle pression sur le membre droit pour ramener la tête de la bête vers moi. Enfin, j’appuyai deux fois sur l’aile gauche pour que le visage se retourne complètement. Aussitôt, l’animal disparu, ne laissant derrière lui qu’une jolie plume blanche, la troisième. Je continuai de contempler l’ombre de l’animal s’envolant dans l’obscurité quelques instants avant de me concentrer sur l’horloge.
Suite à de nouveaux mouvements d’aiguilles, l’épine noire du cadran fit désormais face au soleil levant. Le ciel se tinta d’un violet liserai et un cri d’oiseau me fit sursauter. Dans le nid de branches, c’était cette fois au tour d’une cigogne de s’y prélasser. Elle ne quitta pas son perchoir en me voyant arriver, au contraire, elle m’étudia avec des yeux affamés. Alors, sans trop savoir pourquoi, je lui lançai mon ver qu’elle avala. Mais, il lui en fallait plus. Je lui lâchai alors mon poisson qu’elle engloutit bruyamment. De la même façon, elle dévora mon lézard. Fallait-il lui donner le cœur à manger ? Elle avait l’air de vouloir manger toutes les reliques, sans quoi sa présence n’aurait aucun sens. Mais pourquoi lui donner ce cœur me faisait-il si mal ? Pourquoi était-ce si dur ? Au fond de moi, je savais pourquoi. C’était l’une des seules réponses que j’avais à mes questionnements. Ce cœur en moi était ce qui me permettait d’avoir la forme la plus proche d’un être humain, et non pas d’une créature sortie du néant. Malgré tout cela, je me forçai à tendre mon bras, et d’un geste ample, je lançai l’organe qui atterrit droit dans le bec de l’oiseau. Pendant quelques secondes, il ne se passa rien, et je sentis mes jambes flancher de désespoir. Mais un bruit de déglutition me fit relever la tête. L’animal était en train de régurgiter quelque chose. Son bec entrouvert laissa entrapercevoir un crâne rose, puis un corps, un fœtus. La dernière relique, celle qui me permettrait d’atteindre ma liberté. Les bras tremblants, je saisis ce corps d’enfant à peine formé et l’emporta avec moi. Je le posai sur l’autel, entouré des trois autres plumes. Mais cette histoire n’était pas finie, il me restait un quatrième morceau d’aile à trouver.
Il n’y avait plus grand-chose sur moi. Seulement des allumettes, mon couteau, une crevette et… une graine. Mais oui, bien sûr ! Il suffisait que je retourne à quatorze heures pour donner la graine à l’écureuil. Ni une, ni deux, je modifiai l’heure de l’horloge et rejoignis l’animal à la cime de l’arbre.
Tendant la main sur laquelle reposait la graine de tournesol, je le vis s’y élancer tout en lâchant son butin, la plume.
Doucement, de peur que le vent ne l’emporte, je la récupérai.
La clé de mon salut.
Ma dernière transformation.
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