Raconter la Brume

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Pour raconter la brume, il me faudrait des sons d'eau, des mots qui s'obscurcissent lorsqu'on essaie de les entendre. Il me faudrait surtout une langue trempée de peur, qui infuserait les oreilles de ceux qui m’écoutent, dont le venin glisserait au creux de leurs gorges pour s'insinuer en eux, et, une fois installée au creux de leur estomac, engendrerait rejeton après rejeton jusqu'à ce que leur monde disparaisse derrière d'épais volutes, que chaque respiration leur donne l'impression de se noyer à l air libre.

Imaginez, si vous le pouvez, une brume si épaisse qu’elle efface la couleur du ciel, les formes alentour. Imaginez marcher sans voir au-delà de vos pieds, avoir votre peau trempée en permanence par cette étreinte mouillée, mais ne jamais pouvoir étancher votre soif, car elle se retire dès que vous tendez votre langue. Imaginez, maintenant, que chaque gouttelette d'eau puisse se transformer en épines d’eau et vous transpercer de part en part.

Imaginez, maintenant, cette brume agitée par des vents de tempêtes, imaginez qu’elle se saisit de n’importe quelle idée, n’importe quel moment, et qu’elle vous le rejette sans fin au visage telle une pierre. Même les instants heureux. Elle tonne, elle gronde. Elle les déchire et vous frappe avec, susurrant en ses voiles que vous ne les méritez pas, et lorsque vous prêtez l’oreille, que vous vous arc-boutez contre ces mots - car vous essayez de résister, malgré tout - vous réalisez que ce que la brume vous renvoie n’est que l’écho de votre propre voix.

Cela n’a pas toujours été le cas. Vous vous rappelez d’un temps avant la brume. Ou du moins, où elle n’était pas aussi présente, mais peut-être grimpait-elle déjà le long de vos jambes, obscurcissait-elle le coin de votre regard. Observer vos souvenirs lui ouvre une porte, la voilà qui s’infiltre, altère les harmonies des voix, l’assurance des gestes. Ce sourire était-il véritable ? Pourquoi s’étire-t-il maintenant avec ambiguïté ? Et cette phrase, lâchée entre deux portes, jusque-là oubliée comme une écharpe sur un portemanteau ? A-t-elle toujours eu ces accents froids ? Sa signification est-elle si claire ?

Vous vous en emparez. Vous la disséquez, creusez chaque mot, chaque silence, pesez chaque syllabe. Peut-être la découvrez-vous aussi innocente qu’au premier jour. Mais alors pourquoi la brume vous l’a-t-elle rejetée à la figure ? Vous recommencez. Vous la comparez avec d’autres phrases, d’autres mots glanés à d’autres occasions, dont les accents vous semblent correspondre, mais jamais exactement. Et tout ce temps, vous la nourrissez, cette brume, vous ouvrez grand vos fenêtres pour l’inviter à l’intérieur. Vous ne vous en rendez pas compte - et quand vous le réalisez, c’est trop tard. La pièce est si emplie de ce rien cotonneux que vous en perdez ses dimensions. Elle est bien trop grande, un labyrinthe a poussé autour de vous. Vous voilà perdu.

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