4/ L'Arbre Immense
Le métal fendit l'air, se flanqua dans l'écorce épaisse et solide. Un sourire se dessina sur le visage du bûcheron. Il frissonna, amorça son deuxième coup. Tandis qu'il s’apprêtait à frapper de nouveau, l'arbre se mit à remuer. Prit par l'élan, il ne put faire autrement que de cogner encore le chêne. Tandis qu'il retirait la hache du bois, l'Immense abaissa ses deux plus grosses branches. Elles frappèrent le sol. Les arbres entourant la clairière se mirent à vibrer, suivant la fréquence du colosse. Leurs racines, fouettant la terre, remontèrent à la surface. Les deux énormes branches s'appuyèrent sur le sol, aidant le tronc à s'extirper des entrailles de la terre, qui se mirent à trembler. En sortirent d'énormes sabots, deux, trois, puis quatre, et cinq, faits de la même matière que le tronc. Celui-ci se craquait, se fendait, se déchirait, affichant une figure gémissant de souffrance. Apparurent sous l'écorce deux grands ronds jaunes et luminescents comme des lucioles, qui fixaient avec désapprobation et colère le bûcheron apeuré. L'humain impuissant recula en marche arrière. L'un des bras du colosse se souleva dans les airs. Quinquati se jeta au sol. Juste à temps pour éviter la branche qui heurta les fleurs, l'herbe, la terre, la roche.
Il vit alors le corbeau qui s'étendait sur lui-même, se gonflait, grandissait, enflait, changeait de forme, se pliait, se redressait, se transformait. Et plus loin, l'ours barbu se levait sur ses pattes arrière, ses muscles se déplaçaient, se modifiaient, se séparaient, fusionnaient, un grand nombre de ses poils tombait, laissant place à des tissus et ornements. Quinquati se releva, sentant la douleur pesant sur sa jambe gauche.
Se tenaient désormais devant lui deux humanoïdes, l'un possédant des plumes, l'autre une épaisse fourrure. De la peau recouvrait leurs visages, à s'y méprendre avec ceux d'humains. Mauve pour l'un, brune pour l'autre. Le colosse avait cessé de le prendre pour cible. Le bûcheron tourna alors sur lui-même, remarquant que les autres arbres autour de lui ressemblaient maintenant à des monstres bipèdes difformes, qui s'approchaient lentement mais sûrement, formant un cercle autour de lui. Au-delà de la clairière, les arbres conservaient pourtant leur forme initiale. L'homme-ours déclara alors, d'une voix rauque et massive :
— Halte ! Que faites-vous à notre bel arbre ? Vous allez payer pour vos crimes, démon !
— Hein, quoi ? Bordel ! Ce n'étaient pas des arbres. Ce n'était pas un corbeau. Ce n'était pas un ours... s'affola Quinquati, sans répondre.
— Si, c'était, répondit l'homme-corbeau, mais plus maintenant. Et vous allez regretter cet affront.
— Abattre notre pauvre arbre ! hurla le barbu.
— Vous détruisiez déjà les autres, qui contiennent les âmes de millions d'êtres, ce qui est à la limite du tolérable. Mais là ! Oser s'attaquer à l'arbre sacré, présent des dieux eux-mêmes, c'est la goutte de sève que fait coller le vase !
— Désolé, je... Je voulais pas.
— Vous l'avez quand même fait, ordure ! aboya l'ours de son timbre animal.
— Oui mais, euh... Mon village et tous ses habitants mourront sans bois pour s’abriter, se réchauffer et cuire les plats, trouva-t-il.
— Je vous crois sur ce point, dit l'homme-oiseau.
— Il y a encore des arbres ailleurs, pourtant ! pestiféra l'humanoïde barbu.
— Alors pourquoi détruire le sacré ? termina l'autre.
— Avec celui-là, se défendit Quinquati, il y aurait assez de bois pour que jamais plus je ne coupe d'autres arbres.
— Hors de question, vous ne devez pas y toucher, protesta l'homme aux plumes. Il est vénéré pour une bonne raison. Le Gardien de La Nature va décider de votre sort. Attendez juste qu'il vienne.
L'arbre géant s'enracina, paisible. Quinquati, lui, fit volte-face et courut.
— Au secours, à l'aide ! Ce sont des tarés !
Il repéra un espace encore non clôturé par les tréants et s'y faufila. Il s'abaissa, esquivant les rameaux s'abaissant sur lui. Jamais il n'avait poussé un sprint si rapide.
Derrière le cercle des arbres, la sylve ne prenait pas de formes étranges et n'essayait pas de le tuer. Il se pensait hors d'affaire lorsque survint un grondement. Des chevaux à bustes humains approchaient, piétinaient, galopaient. Quinquati remarqua soudain qu'un d'eux se trouvait déjà devant lui, bloquant le passage. Il croisa ses bras mordorés, affichant un air sévère sous ses longs cheveux qui semblaient constitués de verdures. Quand ses semblables le rejoignirent, Quinquati observa que celui-là mesurait trois fois leur taille. Ses bois de cerfs grimpaient dans le ciel, à une hauteur qui devait égaler celle des pins du territoire.
— Me voilà ! déclara-t-il d'une voix puissante qui semblait provenir de l'au-delà.
Il ordonna au bûcheron de rejoindre la clairière. Les autres hommes et femmes à moitié équidés le menacèrent de leurs lances. Il fut poussé jusqu'au centre, entre les tréants qui poussaient d'immondes grognements ressemblant à des craquements de bois, à quelques mètres seulement de l'arbre sacré.
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