— Je crois qu'on l'a eu ! s'exclama Karkoff.

 Jankürl le rejoignit entre les ramures les plus solides d'un gemmifère.

 — Vraiment ?

 — Oui, confirma le chef des archers à la tenue de boue en remplissant son carquois des flèches d'un énorme sac rempli qui pendait à une branche, véritable réserve mobile. L'un des nôtres l'a touché à la jambe gauche.

 — Parfait !

 — Malheureusement, il semble s'en être déjà remis, désespéra Karkoff en visant le démon déambulant. Au moins, ça prouve qu'il n'est pas inatteignable.

 — Continuez comme ça, l'encouragea le chef à la longue chevelure. Je pense avoir trouvé le moyen de le tuer.

 Surpris, intéressé, et dans un sens, soulagé, Karkoff détendit la corde de son arc et se tourna vers son interlocuteur.

 — C'est-à-dire ?

 — Il est protégé par un blindage de métal, son corps repose en dessous.

 — Oui, nous l'avions déjà déduit, soupira Karkoff en bandant son arme.

 — Et j'en ai désormais la certitude. Par ailleurs, moi, j'en déduis autre chose ; pour pouvoir se déplacer, cette protection ne peut être totale. Il y a forcément des points faibles au niveau de certaines articulations. Notre priorité est de les trouver.

 Malgati s'éloignant d'eux, ils changèrent d'arbres, suivis par les deux porteurs du sac de munitions, puis reprirent leur discussion. Le flot de projectiles incessant eut raison d'une seconde lanière de cuir. Désormais, ce furent les plaques couvrant son bras droit qui menacèrent de tomber. Malgati les sentit se défaire, et il leva son épée à l'horizontal pour les maintenir en place.

 — Là, vous voyez, indiqua Jankürl. De l'autre côté du genou, sous la jointure de ses jambes. Quand elles sont tendues, une légère ouverture apparaît. Avec le bon timing, nous pourrons le neutraliser.

 — Où ça ? Ah, oui, je le vois maintenant. En effet. Je vais prévenir les autres. Nous aurons besoin de tout le monde pour espérer atteindre cette minuscule cible.

 Jankürl ricana doucement, arrogant.

 — Bah ! Vous oubliez sans doute que je suis le meilleur archer qui soit ! Je ne compte pas sur la chance ni sur le nombre pour venir à bout de mes adversaires. Un seul tir précis et réussi me suffit.

 — Très bien, comme vous voulez... Maintenant arrêter de vous vantez et faites-le, ce tir.

 — Aucun problème.

 L'élite demanda un arc de rechange – ayant perdu le sien lors de son affrontement contre Malgati – et des munitions aux porteurs qui avaient suivis la conversation.

 Il analysa la situation, se déplaça sur un pin au positionnement relatif plus favorable, mesura l'effet du vent ambiant, puis amorça le tir. Il positionna la flèche, tendit la corde, plaça son œil, se concentra et retint sa respiration un instant. Il étudia les paternes de déplacements du soldat. Sa jambe gauche se levait moins longtemps que celle de droite, offrant ainsi une plus large ouverture. L'archer choisit donc de viser celle-ci. Calculant la vitesse de la cible, prévoyant les changements dans sa trajectoire face à la bosse qui gonflait le chemin, il se prépara à lâcher. Pas encore. Il se rapproche. Toujours pas... Maintenant !

 Le dard tournoya dans l'air, déchirant les molécules d'oxygène sur son passage, et vint se loger pile poil dans l'interstice. Un cri retentit dans la forêt de pins, ponctué par le fracas du soldat tombant au sol. D'abord à genoux, ce qui augmenta sa douleur puisque le projectile s'enfonçait plus profondément ainsi, puis allongé à plat ventre. Le silence retomba sur le plateau. Tout se figea. Puis de nouvelles exclamations retentirent. Celles du triomphe.