Une panthère rôdait dans la pénombre, à l'affût de sa proie. L'appel de sa maîtresse la fit brutalement changer de direction. Le fauve traversa à toute vitesse une vaste étendue de feuillus et des terrains de graminées, ne suivant que son instinct. À l'orée d'une prairie, elle repéra sa souveraine, qui lui caressa le dos et la tête dès son arrivée. La panthère émit des feulements de plaisir et se laissa monter.

 Elle remarqua les cages qui se dressaient dans les bois, début d'une époque de malheur.

 — Ils enferment tous ceux qui s'opposent à leurs décisions, lui dit sa maîtresse.

 La panthère noire poussa un grognement de désagrément.

 — Moi non plus je ne suis pas d'accord avec leur nouvelle pratique, ma puce.

 La chevaucheuse de fauve disparut dans l'obscurité, sous le regard méfiant du Gardien qui, comme à son habitude, croisait les bras pour signifier sa contrariété. Il voulut la suivre au galop quelques instants, afin de vérifier qu'elle rentre bien chez elle, mais se ravisa. Jamais Karathris n'avait failli à sa tâche, et il ne voyait pas de raison à ce qu'elle lui désobéisse cette fois-ci. Une de ses filles lui adressa la parole.

 — Père, croyez-vous qu'elle se retournera contre nous ?

 — J'en doute fortement.

 — Pourtant, elle s'est montrée hostile envers nous.

 — Ce n'est pas parce qu'elle ne comprend pas nos raisons qu'elle nous trahira. Elle s'est toujours bien comporté, malgré son caractère peu commode par instants. La colère qu'elle nous a dévoilée ce soir n'annonce aucun changement dans cet équilibre. Je suis certain qu'elle tenait juste à exprimer son opinion, comme elle le fait souvent. Mais je crains qu'elle n'approuve jamais notre décision, peu importe le temps que nous lui laissons...

 — Pourquoi ne pas l'avoir enfermée comme tous les autres ?

 — Tu as encore tant de choses à apprendre, ma fille. Elle est indispensable à notre monde.

 — C'est parce que vous l'aimez, n'est-ce pas ?

 — Oh ! ... Disons que je lui porte une grande admiration pour son travail et une foi inébranlable envers sa loyauté. Retourne au travail, veux-tu ?

 Sa progéniture accepta sans broncher. Iridar l'observa quelques instants construire ces étroites prisons de bois pur et d'acier. Il se retira ensuite sur sa nouvelle colline, d'où il avait vue sur l'intégralité du chantier. Soixante cages accueillaient déjà les détenus implacables qui refusaient sa suprématie. Une centaine d'autres s'échafaudaient sur l'immense plaine. À la lisière, Nolmeraïsha, l'assistante prêtresse, maintenait en place les captifs attendant une cellule, aidée par Ashal, la déesse aux lierres indomptables.

 Cet impressionnant spectacle attrista Iridar. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas eu recours à une méthode similaire, aussi despotique. Il se remit brièvement en question, se demandant si sa décision avait été la bonne. Puis, il jugea que oui. Il était le Gardien, il avait forcément raison. Et ceux qui travaillaient encore sous sa tutelle et le vénéraient étaient légion.

 Son flux de pensées fut interrompu par Ba qui grimpait la colline sous sa forme animale.

 — Ils l'ont bien mérité, affirma l'ours en voyant le regard perdu d'Iridar.

 — Pourquoi se sont-ils rebellés ? demanda le centaure. Je ne comprends pas, c'est comme s'il n'y avait aucun choix correct...

 — C'est parfois comme ça, dit Ba en se métamorphosant. Il n'est pas toujours possible de plaire à l'intégralité de la population. Ces imbéciles ne savaient pas ce qu'ils voulaient... Vous avez fait le meilleur des choix.

 — Merci, Ba. Prépare les troupes immédiatement, nous agirons dès l'aube.

 — Entendu, Gardien !

 L'ours dévala le monticule en courant d'abord à deux, puis quatre pattes.

 Iridar soupira. Les humains méritaient-ils toute cette agitation ?