Malgati se mit en garde lorsque dix serviteurs à la peau cendrée et aux yeux d'or se ruèrent vers lui. Pour ne pas se laisser submerger, il se décala vers l'adversaire le plus à gauche. Son épée dans sa main droite décrivit un demi-cercle pour éloigner l'ennemi le plus proche. La valeureux soldat envoya ensuite l'espadon sur celui qui lui faisait face. L'archer arrêta de justesse la lame qui se répercuta sur celle de sa dague qu'il avait tenu à deux mains. Sa paume saignait... Cela ne l'empêcha pas de tenter un assaut. Il se jeta à terre et essaya de couper une lanière. Malgati le gratifia d'un coup de genou puis rabaissa l'espadon sur lui. Un crâne s'ouvrit.

 — Empêchez-le de passer ! beugla Karkoff.

 Ses guerriers se regroupèrent autour de l'humain. Ils s'en prenaient à sa taille, là où les courroies étaient le plus visible. Certains s'attaquèrent même aux creux poplités. Malgati dansait au milieu de la foule, ses lames tranchant la chair. Yassnä se jeta sur lui, évitant l'épée avec une roulade. Alors que ses collègues s'acharnaient, coupant le cuir comme un steak ou le heurtant comme un marteau sur un clou, elle passa sa lame entre une lanière et l'armure. Elle n'eut plus qu'à tirer vers elle et la basane céda. Malgati le sentit et projeta son pied dans sa face. Il allait balancer son arme dans le bassin de l'archère au sol quand Morlan surgit et planta son poignard dans le flanc découvert du soldat. Ce dernier serra les dents, abattit un adversaire à sa gauche puis flanqua un coup de tête à l'élite.

 Il avait fait une percée. La coutille miniature encore plantée dans sa hanche, il courut du mieux qu'il put, parant quelques attaques.

 — Attention ! signala Milœf en encochant une flèche. Il est quasiment à l'embouchure !

 "Merci de l'info, crétin !" le remercia Malgati.

 Les six dans les arbres hasardèrent quelques projectiles désespérés pour l'arrêter. La lumière de la boussole devenait abondante et insupportable. Elle disparut subitement sous le ventre du soldat lorsque Karkoff lui saisit un pied, le faisant trébucher. À son tour, il planta sa dague dans la partie dévoilée de la cuirasse.

 — Ça, c'est pour tous ceux que tu as massacré !

 Il retira sa lame et s'apprêtait à la planter à nouveau, cependant Malgati lui asséna un coup de coude. Le nez de Karkoff en fut déformé, intensifiant sa fureur. Ce fut un ridicule mais intense combat dans la crasse, la boue et le sang. Ils se démenèrent et se frappèrent avec une violence inspirée par l'instinct de survie. Malgati percuta l'épaule du chef d'un poing de fer, et parvint tant bien que mal à retirer le second poignard de sa hanche. Il grogna, et l'abaissa violemment sur le serviteur. Karkoff agrippa le bras du belligérant et enclencha par la même occasion un duel de force. Malgati le gagnait et la dague s'approchait du cœur de son antagoniste. Plus malin, le chef lui donna une claque dans son flanc blessé et enfonça ses doigts à l'intérieur. Malgati lâcha la dague, qui aurait touché Karkoff s'il n'avait pas effectué une roulade sur le côté.

 Le soldat se remit debout, et aussitôt un second adversaire se précipita sur lui. Malgati l'assomma d'un coup de heaume, et récupéra ses deux lames. Karkoff se releva à ce moment-là.

 — T'aurais pas dû venir me chercher des noises, articula l'humain.

 Karkoff, avec lui aussi deux armes en main, plongea sur le belligérant. Malgati leva le bras et la lueur du compas éblouit le chef, qui ne remarqua pas l'espadon avant qu'il ne lui découpe un bras. Ses yeux devinrent blancs, il s'écroula. Le soldat enjamba son corps sans remords, et suivit la flèche devenue presque imperceptible tant elle brillait. Ses pensées s'embrumèrent, mais il se rappela les paroles du croûton. Il plaqua le pendentif contre son cœur et émit la volonté de traverser les mondes.

 "Je veux partir d'ici, loin de ces abrutis d'archers... Ils étaient vraiment chiants ! Et pathétiques... Surtout celui qui n'a pas osé me remettre l'épée en main propre... Ils se sont obstinés pour rien, jusqu'à la fin... Même ce type qui m'a sauté dessus sans arme, vraiment..."

 La couleur de l'environnement changea brusquement. En fait, c'était l'environnement tout entier qui avait changé. Toutefois, Malgati fut en proie à une curieuse sensation de confusion. Le monde autour de lui s'était certes alterné en un éclair mais, même en sachant qu'il avait quitté un univers pour un autre, il eut l'impression d'une modification progressive.

 "Je me demande comment j'ai fait pour ne pas le remarquer la première fois. C'est si flagrant, maintenant."

 Flagrant, ça l'était encore plus pour celui qui n'avait rien demandé. Perché dans un pin à huit mètres de hauteur, il chuta dès qu'il atterrit dans cette dimension aux petits arbres. Des feuilles fouettèrent son visage, des branchages cinglèrent ses côtes. Amorti par le platane, il percuta le sol sans aucun os brisé.

 Malgati se tourna vers le son. Le serviteur se releva douloureusement en se tenant la tête.

 — Mais... Je te reconnais, toi ! Pourquoi tu m'as suivi jusqu'ici ? Et comment ?

 Londock se frotta le haut du crâne et lui jeta un regard interrogateur.

 — De ? J'en sais rien, j'ai rien fait !

***

 Ba fut ravi de son efficacité. En à peine une heure, il avait convaincu tous les guerriers disponibles dans le monde des humains, et les avait rassemblés dans des infrastructures téléportées pour l'occasion. Iridar pensait que ceux-ci suffiraient pour battre les dominateurs de cette planète. Toutefois, l'ours les avait vus à l'œuvre pendant bien trop longtemps pour les sous-estimer. Une fois son travail terminé, il se dirigea vers la dimension des dieux pour avertir et recruter plus encore.