Plusieurs années passèrent et, toujours avec son grade de général — puisque la mort n'était pas raison suffisante pour recommencer une carrière militaire depuis le départ — Kros vécut un drame. Par inadvertance, un archer maladroit tua sa femme lors de son entraînement. Depuis ce jour, le général refusait catégoriquement que son corps de guerre ne comporte ne serait-ce qu'un seul de ces maudits archers. Ce qu'il ne savait pas, c'était que cette décision l'avait trahi. Iridar organisa une nouvelle réunion en sa présence.

  — Il faut que tu reprennes des archers avec toi, Kros, lui avait demandé le dieu suprême. C'est notre formation de base, tu te dois de la respecter.

  — Hors de question. Je suis tout de même le général, faites-moi confiance et laissez-moi décider de la stratégie à adopter !

 Iridar fut foudroyé. Kros ne le devina que plus tard, mais le ratio d'archers dans une armée était aussi régulé par l'Influence. Les dieux avaient compris qu'il avait compris. Kros n'était plus victime de leur joug.

  — Kros, tu dois t'exiler. Si tu ne te décides pas à coopérer, nous devrons te détruire.

  — Pourquoi cela ? Je suis toujours sous vos ordres, je combats toujours pour vous ! Vous n'avez pas le droit de me tuer comme ça !

  — Tu représentes un trop grand danger. Tu pourrais ruiner tout notre ordre et le plonger dans le chaos si jamais tu venais à révéler ce que tu sais.

  — Mais enfin, cela fait plusieurs années et je n'ai rien fait en ce sens !

 Kros réalisa alors que le chef sombre avait peut-être accepté de le ramener chez les siens avec pour objectif qu'il devienne l'élément perturbateur qui viendrait éclater le système de ses adversaires, telle une bombe à retardement vivante.

  — Nous ne pouvons plus prendre ce risque, Kros.

  — Au contraire, me tuer vous nuirait de la pire des façons.

 Iridar arqua un sourcil.

  — Vous devez me laisser en vie, laissez-moi vous expliquer. J'ai déjà révélé à quelqu'un ce secret, je ne dirais évidemment pas qui. Si jamais je venais à disparaître, cette personne expliquerait à tout le monde l'existence de votre Influence. Autrement dit, si vous essayez de me barrer la route, vous serez pris à votre propre jeu.

 Les dieux, perplexes, se réunirent en aparté et réfléchirent. S'il bluffait ou non, ils n'en savaient rien, mais le risque était trop important. Ils revinrent finalement vers Kros.

  — C'est d'accord, tu peux rester, mais ne fait rien qui pourrait créer un déséquilibre. Nous faisons ça pour le bien, et tu le sais pertinemment.

  — Évidemment, mentit le général. De toute façon, vous savez, si je révèle tout, vous me tuerez, et je n'en ai pas envie. C'est un parfait système de double-verrous.

 Depuis, Kros se pavanait d'autant plus avec sa cuirasse étincelante en guise de provocation, ne la quittant qu'en de rares occasions, et ne comptait plus d'archers dans son entourage proche. Les divinités ne le démirent pas non plus de ses fonctions car, certes, cela risquait d'attirer l'attention, mais en plus, il restait un des plus doués et des plus qualifiés pour son poste de leader.

 Au cours des batailles qui suivirent, le général espérait secrètement retomber sur le maître fana de destruction, ce qui ne se produisit plus jamais. Il semblait que tous les maux à combattre n'étaient pas de son fait...

 Une longue période de paix suivit, l'Arbre installé dans le royaume des Florantiis. Kros commençait à en avoir plus qu'assez. Heureusement, les humains offriraient peut-être un divertissement plus convaincant.