Les fidèles de la Réceptrice s'étaient rapprochés du camp adverse, espérant encercler les gardes lorsqu'ils se rendraient vers Karathris. Cependant, à leur grand étonnement, un seul d'entre eux leur passa devant, à une vitesse telle qu'ils n'eurent le temps de l'attaquer. Puis, Nolmeraïsha revint vers eux contre son gré sous le coup de la déesse. Devinant qu'il s'agissait de leur opposant, Londock n'attendit pas qu'elle se relève pour lui décocher une flèche.

 Seulement, la chouette de la prêtresse l'avait suivie, et cette dernière vit arriver le projectile sans même ouvrir les yeux. Elle le rattrapa en plein vol, puis le relança, d'une force supérieure à celle fournit par l'arc, vers Karathris.

 — Quoi ? s'étonna Londock. Mais comment c'est possible d'avoir des réflexes comme ça ? Qui c'est celle-là ?

 — C'est elle qui m'a enfermé, expliqua Perr, non loin de l'archer. Elle tient sa puissance des pouvoirs que Karathris lui a conféré pendant son initiation, à une époque où elle croyait pouvoir lui faire confiance. C'est en réalité Ashal qu'elle sert, malgré toute l'admiration qu'elle avait pour la Réceptrice, et rien ne pourra changer cela, exceptée la mort. Peut-être.

 Londock, qui ignorait tout de l'Influence, ne saisit pas le sens du discours de l'oiseau.

 Les soldats du camp ne comprirent d'abord pas pourquoi Nolmeraïsha s'était soudainement absentée sans les en avertir. Puis, le craquement des troncs à proximité leur fit comprendre ; des ennemis ! Les serviteurs se préparèrent, quittèrent la clairière, à l'affût. L'un d'eux s'empressa de livrer la nouvelle au campement central.

 La flèche ricocha sur l'épaule de Karathris, impassible. Elle se propulsa sur son antagoniste et arma son poing droit. Nolmeraïsha durcit sa tête pour contrer le coup, mais sa mentore avait feinté ; elle frappa avec sa main gauche l'abdomen de la prêtresse. Une fois de plus, elle fut envoyée dans les airs. Les branches lui cinglèrent les côtes, lui flagellèrent les bras et le visage. Quand elle retomba durement, deux de ses os se fêlèrent. La frappe de la déesse lui avait laissé un trou dans le ventre d'où ruisselait le sang. Et pourtant, Nolmeraïsha se releva encore, chancelante.

 — Elle a survécu à l'impact ? s'étonna Unio. Même l'armure de Kros a été réduite à néant en un seul coup...

 La prêtresse passa ses mains sur son corps meurtri, de la lumière azurée s'échappant de ses paumes. Ses blessures se refermèrent progressivement.

 — Comment est-ce possible ? lui demanda Karathris en s'approchant.

 Nolmeraïsha ricana.

 — J'ai beaucoup appris durant toutes ces années où vous ne m'avez rendu aucune visite. Je voulais tellement vous impressionner, je consacrais mon temps à développer tout le potentiel des aptitudes que vous m'avez fournie, tout ça pour le jour où l'on se reverrait. Si j'avais su que j'en m'en servirai contre vous...

 — Tu voulais m'impressionner, et c'est exactement ce que tu fais. Ce qui m'impressionnerait plus encore, c'est que tu parviennes à te libérer de l'Influence et que tu me rejoignes. Tu serais ma plus puissante alliée.

 — Désolée, mais j'ai n'ai plus le désir de vous plaire. Si j'utilise vos pouvoirs, c'est uniquement pour vous vaincre. On dirait que j'ai même fini par les développer de façons que vous n'avez jamais réussi à concevoir...

 La Réceptrice comprit alors. Nolmeraïsha enveloppait son corps entier de la faculté de durcissement, d'une manière moindre que la partie centralisée. Karathris, elle, durant toute sa très longue vie, n'était jamais parvenue à étendre la zone de son pouvoir au-delà d'une certaine limite.

 — Tu es spéciale, Nolmeraïsha. C'est pour cela que je t'ai choisie, même si tu n'adhères pas à toutes mes idées.

 — Je me sentirais presque flattée si je vous pensais aussi forte qu'autrefois. Maintenant, je sais très bien ce que vous valez. On dirait que l'élève a dépassé le maître.

 — Ne sois pas si sûre de toi.

 À ce moment, les trois archers décochèrent une flèche. La prêtresse cessa de panser ses plaies. Elle rattrapa deux projectiles en même temps avec chacune de ses mains, puis arrêta le dernier entre ses dents. Elle cracha le métal et le bois déchiquetés et plongea sur son ex-instigatrice sans chercher à se soigner davantage. Karathris l'imita. Cette fois-ci, elle fit mine de frapper de son poing, mais comptait user de son pied. Nolmeraïsha planta les deux flèches dans les épaules de son adversaire avant de recevoir le coup dans l'estomac. La déesse tomba de douleur. La prêtresse revenait pour l'achever.

 Malgati et Mastiff s'échangèrent un regard quand ils virent leur guide sur le point de perdre.

 — Bon, quand faut y aller...

 Les deux soldats débarquèrent à la rescousse, dans le dos de Nolmeraïsha, qui évidemment les voyait venir grâce à son compagnon spectral.

 — Non ! hurla Karathris en se redressant. Elle vous tuera !

 Une clameur s'éleva de l'autre côté de la forêt. Les guerriers du retranchement étaient là.

 — Vous, avec moi, occupons-nous d'eux ! ordonna Unio. Vous autres, suivez l'humain et allez sauver la Réceptrice !

 Perr reprit sa forme de corbeau, vola au-dessus des gardes et leur retomba dessus sous son apparence humanoïde. Il déchaîna les vents, des bourrasques sortirent de ses mains et renversèrent l'opposition. Unio et la fille aux yeux éclatants se chargèrent en priorité des autres archers. Le fer s'entrechoqua, la chair fut fendue. L'embuscade tendue par les troupes de Karathris, qui tenaient en tenailles les quelques sentinelles perdues, eut raison de la plupart d'entre elles. Seuls les gardes les plus habiles parvinrent à blesser les moins prudents des guerriers de Karathris. Un soldat du camp venait de mettre au sol son adversaire. Alors qu'il s'apprêtait à lui porter le coup fatal, son corps fut transpercé entièrement. Laos venait de lui tomber dessus.