63/ Le dernier rempart
Des ténèbres invisibles enveloppaient Karathris. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps qu'elle réalisa que ses yeux étaient fermés. Pourtant, quand elle les ouvrit, rien de plus que le vide ne la salua. Voilà, elle y était. Il ne restait plus qu'à retrouver Quinquati dans un espace infini.
Elle ne sentait plus rien, ainsi il lui était impossible de savoir si elle se tenait debout ou allongée, si elle marchait ou restait sur place. Elle tourna sur elle-même, mais ne put savoir de combien de degrés. Même pour elle, il était difficile de se repérer dans ce lieu hors du domaine de la réalité. Combien de détenus n'avaient jamais été retrouvé en son sein ? Et combien de gardiens avaient disparus en les cherchant ? Par chance, l'humain n'était pas rentré il y a trop longtemps, ainsi il n'avait pu errer trop loin.
La déesse utilisa ses dons extrasensoriels pour déceler la présence de Quinquati. Dès qu'elle sentit un indice, son corps se mit à voler en sa direction.
***
— Qu'est-ce qu'elle fout ? s'impatienta Malgati.
De l'autre côté de la prison éternelle, le corps de la déesse s'était figé, ses pupilles et iris ayant virées au blanc.
— Ne la touche surtout pas, précautionna Sati. Ça risquerait de tout faire foirer !
Tous les membres du camp s'étaient tournés vers la divinité immobile dès lors que ses mains eurent touchées le cube. Ils n'avaient plus qu'une mission ; empêcher la Réceptrice de libérer l'humain. Dans cet état, c'était leur meilleure chance de la vaincre.
Le dernier rempart se forma autour d'elle ; Malgati, Mastiff, Sati, Odal, Perr, Pollah, Laos et deux autres rebelles en étaient les constituants.
Sati entendait les lames s'entrechoquer dans toutes les directions. Des explosions sanguines jaillissaient à chaque instant. À sa gauche, Malgati frappait sans réfléchir dans la foule qui se massaient vers eux. Fort heureusement pour lui, ses adversaires ignoraient comment venir à bout de son armure. La violence des combats pétrifia la cuisinière, qui n'osa pas y prendre part. Ce n'est que lorsque le flux de défenseurs se fit plus abondant qu'elle dû entrer en action.
Alors que le soldat humain serait bientôt submergé, Sati prit son épée et son courage à deux mains, abattant de toutes ses forces sa lame dans la nuque d'un serviteur. Elle ressentit jusque dans ses bras le raclement du métal sur les os de sa victime. Son souffle en fut coupé. Elle n'eut le temps de respirer qu'un factionnaire s'avança vers elle, déterminé. Elle parvint à parer le coup de l'assaillant comme elle le put, mais il amorçait déjà une seconde frappe. Un des révolutionnaires à sa droite le tua avant qu'il ne puisse terminer son attaque. À défaut d'avoir la force de Mastiff ou de Malgati, Odal et les deux autres serviteurs du rempart jouissaient d'une technique plus avancée. Cela réconforta la restauratrice, qui savait ses deux flancs en sécurité, n'ayant plus qu'à se concentrer sur les combattants face à elle.
C'est alors que l'ombre d'une pierre immense projetée à toute vitesse obscurcit son champ de vision. Sati s'était déjà résiliée ; elle préféra clore ses paupières, se pensant morte. Seuls des gravillons lui parvinrent. Quand elle rouvrit les yeux, elle aperçut sa sauveuse.
La panthère désagrégeait les rochers qui menaçaient de s'écraser sur Karathris. Dès qu'un nouveau projectile était envoyé, Pollah arrêtait de déchiqueter les importuns pour bondir et détruire la météorite. Certains morceaux assommaient des sentinelles en retombant. Bientôt, les lanceurs seraient à court de munitions. Mais un danger plus imminent se pointait. Un Esprit végétal s'avançait un peu trop. Pollah lui sauta dessus, creusant dans son écorce de ses griffes indestructibles. L'arbre l'entoura de ses lianes, l'écrasant. Perr dû intervenir. Il cessa de déstabiliser les fantassins avec ses bourrasques pour concentrer toute la puissance de ses vents sur la partie supérieure de l'Esprit. Celui-ci tenta trop tard de se retenir à l'aide de ses racines et se fracassa contre le sol ainsi que sur une dizaine de serviteurs, relâchant son étreinte sur la panthère qui n'eut plus qu'à l'achever.
Malgati tuait avec une facilité déconcertante. Tandis que son espadon lui servait à parer, l'épée empruntée à Kros tranchait viandes et ossatures aisément. C'est bien simple, le soldat légendaire ne sentait pas la différence quand il frappait dans de l'air ou dans un corps. Cela lui demandait si peu d'efforts que ça en devenait jouissif. Malgati s'amusait réellement à repousser les flots d'humanoïdes à la peau cendrée qui piétinaient les cadavres de leurs collègues. Le guerrier sortit de sa frénésie quand il entendit à sa gauche un son peu encourageant. Entre les fracas tonitruants de la bataille, un cri sourd lui parvint. Le colossal Mastiff venait de se faire enfiler. Malgati quitta sa position sans hésiter pour abattre celui qui venait de toucher le gaillard.
— Hey, hey, ça va ?
— Bof, parvint à dire Mastiff, la bouche ensanglantée.
— Va derrière-moi, je te couvre !
— Non. Je peux encore...
— Tu vas crever !
— Oui. Justement. Laisse-moi au moins... me battre jusqu'au bout.
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