Élu.

Il venait d’être élu.

Défiant tous les pronostics, faisant mentir tous les sondages.

Ses supporters exultaient. Massés par milliers devant l’estrade, ils scandaient son nom et ses slogans.

Leur rêve s’était réalisé.

Quand le nouveau président élu entra dans le hall, ce fut du délire. Il essayait de rester calme, serein, de ne pas trop montrer son excitation intérieure. Il avait de nouveau gagné. Lui, l’outsider méprisé, celui que personne ne prenait au sérieux, il les avait tous possédés.

Suivi de son vice-président, il monta lentement les marches, saluant ses fans aux anges, pouce levé, sourire de satisfaction féroce jusqu’aux oreilles.

Il attendit patiemment que ses partisans se calment quelque peu, puis il prit la parole, se caressant la mèche blonde de la main gauche et tripotant la cravate rouge de l’autre.

Il approcha son visage du micro et dit d’une voix ferme :

— From now on, it’s Mordor first, Mordor first!

La foule se mit à scander :

— Sauron ! Sauron ! Sauron !

Beaucoup de supporters agitaient des pancartes :

Make Mordor great again !

Ork Women for Sauron !

Mordor First !

Après le mandat du détesté Gandalf, il venait d’infliger une cuisante défaite à son adversaire, l’elfe Galadriel. Il faut reconnaître que Gandalf, trop vieux, en voie de gatisation, et remplacé en cours de campagne par Galadriel, n’avait pas beaucoup aidé sa vice-présidente.

Galadriel, représentante de l’establishment elfique, et aussi de toutes ces minorités que Sauron détestait, comme les misérables Hobbits. Lui, Sauron, venait de lui voler la victoire.

Il paraît qu’il avait même remporté le vote populaire.

Il avait mené une campagne hors-norme, depuis Barad-Dûr, appelé maintenant la Sauron Tower, centre de son empire immobilier. Il avait menti comme un Gollum, insulté ses adversaires, promis tout, n’importe quoi et son contraire. Ses troupes de trolls avaient submergé les réseaux sociaux de fake news et MorgothTV n’avait pas ménagé ses efforts pour le soutenir et détruire la réputation de ses adversaires.

Le choix de son coéquipier, Saroumane, le futur vice-président, fut le coup de maître qui désarçonna ses adversaires.

Pourquoi Saroumane s’était-il rallié à la candidature de Sauron ? Il semblerait, bien qu’il ne l’ait pas dit aussi clairement, que la promesse de Sauron de lever les restrictions sur l’exploitation des forêts, lui fit franchir le pas. Depuis le temps qu’il rêvait de raser Fangorn et qu’il ne le pouvait pas à cause des lois de protection environnementales.

Les foules d’électeurs orques, méprisés, avaient été fascinés. Ils tenaient leur revanche sur ces elfes prétentieux, ces hobbits alcooliques dans leurs réserves, ces rohirrims qui les regardaient de haut, sur leurs chevaux, de ces magiciens vermoulus toujours prompts à leur faire la morale, de ces nains

pleins aux as avec leurs magots bien planqués. De plus, les grands serviteurs de l’anneau, les Nazguls des Gafa l’avaient soutenu ou s’étaient ralliés.

Sauron avait su les comprendre. Désormais, un seul mot d’ordre :

Make Mordor great again !

— Monsieur Frodon...

Frodon ouvrit les yeux. Il respirait difficilement.

— Sam... Je viens de faire un cauchemar... Epouvantable... Pire que tout ce

que j’ai pu imaginer jusque-là.

— Racontez-moi, Monsieur Frodon

— Non... Impossible... Tu ne pourrais pas comprendre. C’était horrible,

horrible !

— Alors ne me racontez pas, Monsieur Frodon.

-— Sam ?

-— Oui Monsieur Frodon ?

— Nous devons réussir notre quête, nous devons détruire cet anneau ! Nous

ne pouvons pas échouer, nous ne devons pas échouer.