Elle ne savait plus comment elle s’appelait. Depuis que celui qu’ils nommaient Mikal s’était approprié tout ce qu’elle était, elle l’avait empêché de la nommer. Il l’avait dépouillé de tout ce qu’elle était, et détestait la manière qu’il avait de se voir comme son sauveur.

 De la terre hostile sur laquelle elle s’était vue renaître, l’herbe avait désormais repoussé. Ce monde était Faciem. Mais elle n’arrivait toujours pas à se sentir chez elle.

 L’Architecte s’était amusé à reconstruire les montagnes et les arbres, donnant également la vie à des dieux et déesses. Il les avait appelé ses “frères et soeurs”, mais la femme se refusait à les considérer tel quel.

 Il y avait tout d’abord eu Son premier fils : Hyrrdrek. Une création qu’Il jugea grandiose, puisqu’Il lui octroya l'habileté d’avoir l’emprise sur le temps qui passait sur Faciem. Puis, quelque temps après, vint Shuk, Sa première fille. Pourvue d’un corps mi-serpent, mi-humanoïde, elle fut attirée dès sa création par les sciences. Le reste suivit bien assez vite, l’Architecte leur donnant le droit de s’approprier leurs propres terres, sur lesquelles ils verront le futur peuple dresser des monuments à leurs gloires.

 Une partie d’elle brûla en apprenant la nouvelle. Comment pouvaient-ils se déchirer pour quelque chose qu’ils n’obtiendraient jamais ? Détruire, reconstruire comme si rien ne leur importait hormis la reconnaissance qu’Il allait leur octroyer lorsqu’Il apprendrait les résultats de leurs guerres ridicules.

 On ne pouvait pas dire qu’elle s’entendait bien avec personne, et les filles et fils de Mikal ne lui prêtaient aucune attention. Ils cohabitaient, dans la haine pour elle, dans l’indifférence pour les autres.

 Car les différences entre elle et ses comparses étaient flagrantes. Pour commencer, elle n’était pourvu d’aucun attribut divin. Pas de cornes géantes, pas de membre en plus et certainement pas de taille à en faire pâlir les plus hauts sommets de ce monde. Aucun pouvoir émanait d’elle, et le lopin de terre qu’elle considérait comme son sanctuaire se résumait en une forêt luxuriante qui ne donnait envie à aucun dieux et déesses de se l’arracher. Tous étaient occupés à se quereller pour tel ou tel territoire, possédant davantage de richesses ou d’hectares.

 Qu’ils s’entredéchirent, cela lui permettait de guérir de sa vie antérieure et de s’habituer à ce nouvel environnement.

 Le seul qui semblait lui accorder de l’importance était le premier né de l’Architecte. Souvent, il descendait lui rendre visite dans la sylve, prenant une taille raisonnable afin de pouvoir converser avec elle. Leurs échanges n’étaient cependant jamais longs.

• Pourquoi ne veux-tu pas te battre aux côtés de nos frères et de nos sœurs ? Nous pourrions former une alliance, je suis prêt à t’aider.

 Outre le fait qu’elle n’avait, pour ainsi dire, aucun atout qui pouvait rivaliser avec leurs habilités, sa réponse fut limpide :

• Je ne peux pas me battre pour ce qui ne m’appartiendra jamais. Certes, ce monde a changé, mais je suis là depuis bien trop longtemps pour prendre part à vos jeux futiles. Je suis lasse des luttes, je n’ai pas besoin de plus que ça.
• Je ne te comprends pas ma sœur, répliqua Hyrrdrek confus. Tu as l’opportunité de gagner ta place parmi nous, et tu préfères prétendre que tu as déjà tout perdu ? Tu n’as que ce piètre bois pour toi, dès que Mikal aura trouvé comment donner la vie au peuple tu finiras oublié par tous.
• Et je ne changerai pas les choses. Je ne vais pas répéter ce que j’ai déjà dit. Pars maintenant, j’ai beau être moins forte je n’en reste pas moins ton aînée.

 Et le futur père des dragons s’en alla, l’air interdit.