II - L'éclosion

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 Le jour où tout changea définitivement pour elle ne fut pas différent de tous les autres. Généralement, elle passait son temps à contempler la nature qui avait effacé toute l’histoire qu’elle avait connu, et qu’elle commençait à oublier. Elle avait choisi cette forêt par pur instinct. Sans doute car sa mémoire la connectait à sa vie antérieure, cela n’empêchait pas que cette dernière était en train de lui filer entre les doigts.

 Quoi qu’il en était, elle s’y sentait en paix. Les températures étaient toujours clémentes, chaudes, et quand la pluie tombait tandis que l’orage tempêtait, le fond de l’air charriait une douceur indescriptible. Lorsqu’elle s’avançait plus profondément sous les arbres, la forêt se transformait en jungle. L’atmosphère et les températures y étaient plus étouffantes, mais la végétation n’en devenait que plus impressionnante. Les frondes rayonnaient d’un vert splendide, les arbres atteignaient des hauteurs qu’elle ne pouvait comprendre, et l’onde de la rivière qui traversait son territoire frétillait de poissons aux couleurs irréelles.

 Las, toujours aucun autre signe de vie. Et la solitude commençait à avoir un arrière-goût amer d’abandon.

 Et si son frère avait bel et bien raison ? Elle allait finir délaissée, à pourrir avec les plantes qui fanaient durant le cycle des saisons. Elle qui n’avait plus de nom. Cette pensée l’avait prise au dépourvu, alors qu’elle trempait ses jambes dans l’eau, au clair de lune. Ses semblables étaient en train de guerroyer afin de construire les prémices de la civilisation qui allait bientôt peupler Faciem, tandis que l’Architecte avait pris sous Son aile une étoile, qu’Il avait décroché des cieux pour lui donner forme. Il l’avait nommé Kespeth, afin de l’assister dans la direction de Sa création.

 Et elle n’était qu’une poussière dans ce jeu de géant. Depuis le début.

 Des larmes s’écoulèrent de ses yeux. Naturellement, sans qu’elle ne s’y attende réellement, mais les ayant tout de même senti venir brouiller sa vision. Elle ne l’avait pas fait depuis qu’elle s’était tordue de douleur sous Mikal. Bientôt, sa respiration se bloqua dans sa gorge, et elle sanglota. Les sanglots se transformèrent en cris de détresse. À la manière d’un nourrisson qui prendrait sa première respiration, elle réalisait en même temps qu’elle était seule. Seule face à cette immortalité. Seule face aux divinités ; et elle était incapable de pouvoir faire le poids.

 Une autre plainte perça l’air. Elle ne l’entendit pas directement, le son de ses propres pleurs dominant sur tout. Cela recommença, plus fort, la calmant dans sa tristesse.

 Elle n’était pas seule.

 Ses pieds quittèrent l’eau, elle se redressa dans un éclair vif, et contempla les alentours. Ses oreilles, alertes, se concentraient sur les gémissements. Il ne s’agissait pas d’une voix humaine, mais bien d’un animal. Ses jambes se mirent à courir d’elles-mêmes. Elle se faufilait à travers les troncs avec une grâce presque féline, évitant chaque racine et pierre qui barraient sa route. Son ouïe la guida au cœur de la forêt séculaire, au pied du plus grand arbre. C’est là qu'elle trouva ce qui allait changer à tout jamais son existence.

 Un bébé chat. Minuscule, pas plus grand que sa main, se tortillait tant bien que mal dans l’humus. Frappée par la surprise, elle ne bougea pas, essoufflée par sa course, scrutant le petit être qui avait accentué ses pleurs depuis qu’elle était arrivée. Sa mère avait dû l’abandonner. Elle ne voyait pas d’autre explication. Doucement, elle s’accroupit et se mit à avancer sur le tapis de feuille, en espérant ne pas l’effrayer. Quand elle approcha sa main du museau du félin, elle ne le quitta pas des yeux. Maintenant qu’elle se trouvait plus proche, elle put mieux voir à quoi il ressemblait. Le haut de ses oreilles miniatures étaient arrondies, teinté d’un noir profond à leur arrière, où un point blanc trônait au milieu. Sous ses yeux, aveugles et toujours fermés, des tâches de jais formaient des motifs abstraits, répartis d’une manière irrégulière, et pourtant ordonnée. La couleur de sa robe se teintait d’un joli ocre sur son dos et ses flancs. La partie de son ventre était quant à elle d’un blanc immaculé. Mais, la particularité qui frappa le plus la femme, fut les excroissances qui sortaient de ses omoplates, encore sanguinolentes. Telles deux ailes dépourvues de plumes, elles n’étaient pas notifiables au premier coup d'œil, mais dès qu’elle les eût remarquées elle ne put s’en détacher. Quelque chose n’allait pas. Les petites narines de l’animal tressautaient contre sa paume, humant son parfum. Elle attendit quelques secondes, anxieuse de sa réaction. Elle ne pouvait pas le laisser seul ici.

 Mais, à son grand soulagement, le chaton vint se coller contre ses doigts, miaulant de plus belle. Une joie, suivit d’une chaleur immense, parcouru tout le corps de la jeune femme. Avec une précaution infime, elle le souleva délicatement, et vint le coller contre son cœur. C’est là qu’elle sentit des vibrations provenant de la petite créature qu’elle tenait entre ses mains, se répercuter au plus profond de son âme. Sa tête fut prise d’un terrible vertige, et elle dû se faire violence pour ne pas chanceler, afin de ne pas faire tomber le félin. Elle baissa son regard vers ce dernier, qui ronronnait entre sa poitrine. Que venait-il de se passer ?

 Était-ce dû au contact qui s’était créé ? Ou bien était-ce parce qu’elle était restée isolée plus longtemps qu’il ne le faudrait ? Elle n’aurait su dire. Mais présentement, ce dont elle était sûre, c’était que cette petite âme était liée à elle. Il ne s’agissait pas d’un mâle, mais d’une femelle. Les appendices qui sortaient de son corps étaient bel et bien les prémices d’une paire d’ailes. Et, plus que tout, un bout de la femme battait dans le corps du fauve.

 Une seule larme de joie roula le long de sa joue, son regard vairon fixé sur sa fille.

  • Ne pleure pas Plume, nous ne sommes plus seules désormais.

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