L'amour n'est pas un sentiment rationnel. C'est la raison pour laquelle il soulève de nombreuses ambiguïtés et peut provoquer simultanément des sensations contradictoires, telles que le plaisir et la douleur, avec une intensité sans égal.

Si l'amour fonctionnait sur le même modèle que l'amitié, les choses seraient infiniment moins complexes et embarrassantes. En effet, la base même de l'amitié est la réciprocité. Il est impossible d'être l'ami d'une personne qui ne ressent pas elle-même de l'amitié à notre égard. L'amitié est une relation fondée sur le partage, qui inclut un perpétuel échange. On est l'ami d'une personne que si l'on juge qu'elle a quelque chose à nous apporter et que l'on est capable de lui en donner autant en retour.

Le sentiment amoureux a voulu s'inspirer de l'amitié. Mais, en multipliant l'ardeur des sentiments, il a laissé dernière lui toute la logique qu'ils incluaient. Ainsi, la véracité de l'amour provient de son caractère inexplicable. Si l'on est capables d'énoncer les raisons précises qui font que l'on aime une personne, c'est que notre amour est intéressé; or le véritable amour doit être dépourvu de tout intérêt.

Contrairement à l'amitié, l'amour n'exige aucun retour, aucun échange, aucune réciprocité. On peut s'éprendre d'une personne qui nous déteste ou ignore tout de notre existence. Et c'est parce que le caractère propre de l'amour le pousse souvent à s'exercer en sens unique que ce sentiment est aussi pur que douloureux. Il n'est pas nécessaire à la personne que l'on aime de nous apporter quoi que ce soit pour mériter notre égard. L'amour se suffit à lui-même et fait passer les intérêts du sujet sur lequel il a jeté son dévolu avant le bonheur de celui qu'il habite.

Le problème du véritable amour est qu'il se propage en nous comme une énorme vague d'acide et nous ronge de l'intérieur, avant même qu'on ait pu réaliser ce qui était en train de nous arriver.

Parce que l'amour est à la fois le plus irrationnel et le plus puissant des sentiments, toute lutte face à lui est vaine et épuisante. Seule la conscience et l'acceptation de notre condition d'esclave vis à vis de nos propres sentiments peut nous conduire vers une certaine forme de satisfaction.

Nous vivons de grands amours à sens unique, mais la non-réciprocité du sentiment n'enlève rien à sa beauté. Et là où il y a de la beauté, on trouve toujours une germe de joie...