A considérer...
A considérer cette simple symbolique se rattache une signification essentielle, celle qui énonce le Soi relié aux autres Soi, au Soi du monde en son ensemble. Tout est lié alors que la métaphysique de la représentation nous fait croire que nous sommes irrémédiablement, des Sujets faisant face à des Objets. Cette vue arbitraire d’un monde clivé nous encourage à fonctionner à l’intérieur de notre propre cercle, à défaut de connaître les autres, ou bien alors sur le mode du « peut-être », de l’éventualité, de la possible mais non nécessaire rencontre. De cette manière s’énonce la topique puissante de l’ego selon ses habituelles variantes : égoïsme, égocentrisme, égotisme, et l’on pourrait créer des néologismes du type « égomaniaque », « égophile », « égologue », tant cette manifestation d’un Soi exacerbé est manifeste en cette époque fascinée par la mode des selfies et le rayonnement de sa propre image.
Mais il serait naïf de penser au regard de cette profusion de l’être-en-Soi, que le motif de l’altérité serait facultatif, de surcroît en quelque sorte, que nous pourrions en faire l’économie. Certes notre naturelle paresse nous incline à voir notre ombilic, notre centre avant même d’apercevoir, dans une large perspective, tout cet environnement naturel, social, planétaire qui nous entoure et se donne tels les innombrables prédicats dont notre moi a besoin pour trouver son chemin et les justifications qui lui permettent d’aller au-devant, vers son propre avenir. Du monde nous sommes comptables, de l’Inconnu qui passe dans la rue, de cet Amour ancien reconduit au passé, de cette future Amitié qui sera un guide pour notre conscience.
Ecrire, pour qui, pour quoi ? Combien cette tâche paraît parfois inutile, lieu d’un plaisir autocentré, loin du réel, désincarné en quelque manière. Oui, mais nous ne pouvons réduire l’activité d’un être à sa seule écriture. Cet individu vit, aime, souffre, se questionne, commerce, voyage, espère, croit, rêve, autrement dit cet individu est humain en son entièreté, cet individu affirme certes son style singulier dans des phrases, dans des textes, au travers de fictions qui sont comme ses paravents, ses fragiles certitudes, sa manière de connaître le monde et de se connaître.
Jeudi 26 mars 2020. Rien n’a bougé dans le vaste monde si ce n’est l’activité faucheuse de vies du Corona qu’il convient, ici, d’écrire avec une Majuscule. Serait-il une nouvelle figure de l’Être se manifestant à nous à l’aune du tragique, du mortel, renouvelant en nous cette idée de la finitude que le plus souvent nous tenons éloignée à des fins de réassurance, à des fins de vie simplement ? Sait-on jamais ce qu’il en est de cet Être avec une lettre capitale à l’initiale, l’Être historique qui selon les époques se décline sous les traits de l’Idée, de Dieu, de la Nature, de l’Esprit, de l’Eternel retour ? L’Être ne serait-il que l’infinie variante de la tonalité fondamentale des êtres que nous sommes qui pensons, successivement, de manière fort différente, une fois sensibles aux chatoiements de la Matière, une autre fois nous allégeant des contraintes et ne voulant plus connaître que les vertus aériennes de l’Esprit ? Ecrivant, nous questionnons et que pourrions-nous faire d’autre ? Le Monde est si complexe qu’il ne nous montre jamais, à la fois, que quelques unes de ses esquisses, que quelques traits de ses visages familiers. Pour le reste, il nous faut imaginer, créer des hypothèses, se fier en quelque sorte à notre part animale qui se nomme instinct.
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