La fuite [LUNDI]

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Après plusieurs mois à batailler avec son patron, il était finalement parvenu à obtenir une rupture conventionnelle. Ce poste l'avait laissé vidé de toute énergie. À peine arrivé sur le marché du travail, et déjà désespéré d'en sortir... Pitoyable, se disait-il.

Il avait fait de longues études, s'était plus ou moins laissé porté par son inspiration de licence en master, et avait glissé sur les difficultés. Il avait toujours été premier de la classe sans effort, ce qui ne lui provoquait aucune fierté. Son employeur de stage lui avait fait une offre d'emploi et il avait accepté sans réfléchir. En conséquence, quand il était passé de stagiaire à employé, la chute avait été brutale. Seul à son poste, il n'avait désormais plus personne pour lui dire quoi faire ni comment. Et malgré sa capacité à s'adapter, il s'était peu à peu enlisé dans le burn-out.

Son patron l'avait pourri, d'abord parce qu'il ne performait plus assez bien, puis parce qu'il était trop souvent en arrêt-maladie. Au final, ils s'étaient retrouvés par deux fois dans le grand bureau vitré pour négocier les termes de la rupture.

Enfin... Il était libre.

Libre, mais de faire quoi ?

Il avait longtemps tourné en rond dans son studio en se demandant s'il était capable d'avoir un emploi tout court, s'il allait finir dans la rue parce qu'il était inapte au capitalisme... Chaque fois qu'il se posait devant son clavier pour regarder les offres d'emploi, une boule se formait dans son estomac et il avait la nausée. Quelle que soit la proposition, c'était forcément trop loin, ou ennuyeux, ou pas dans ses valeurs, ou tout cela à la fois. Dans tous les cas, se disait-il, il ne trouverait rien.

Il n'allait plus chez le médecin pour se faire prescrire des arrêts, n'avait pas de psy et pas d'amis pour se libérer de ces pensées. Il ne lui restait que sa fidèle Suzuki V-Strom qui l'attendait sagement dans le garage. Avec elle, il savait pouvoir s'évader.

Il l'enfourcha sur un coup de tête, sans prendre d'affaires, juste ses protections, et roula par-delà l'horizon, jusqu'à avoir épuisé son réservoir. Sans même regarder les panneaux, il traversa villes, villages, chaînes de montagne, et finit sa course dans un village pommé dont il ne retint pas même le nom. Il gara sa Suzuki derrière l'église et retira son casque avec un soupir, essuya la sueur de son front avant d'ôter le reste de son équipement. Puis il erra dans les petites ruelles en pierre, désertées en ce dimanche. Il croisa bien une grand-mère assise sur un banc et une poule sur la route, mais guère plus.

Le lierre qui s'accrochait aux façades, les vieilles portes en bois qui pendent sur leurs gonds, les toiles d'araignées couvertes de sciure... Il avait déjà tout ça, d'où il venait. Ce village n'avait rien d'extraordinaire : un terrain de pétanque, un lavoir, une croix, des maisons vides, comme de nombreux autres en France. Pourtant, alors qu'il marchait péniblement dans son pantalon de moto, il se sentit revigoré. Ce vide apaisant finit par l'atteindre en contemplant les montagnes. Il inspira l'air pur à pleins poumons et se laissa emporter par le chant des hirondelles.

Pourquoi avait-il fallu qu'il s'enfuie si loin pour retrouver ce qui l'attendait d'ordinaire au pas de sa porte ?

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Photo du jour : https://pixabay.com/fr/photos/ruelle-passerelle-moussue-270515/

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