Scène 1 - Ouverture

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 À deux heures et cinquante minutes de l’après-midi, le 23 août 2025, la sonnerie du lycée pour fille Merkaz Hatorah sonna le début de la récréation. Au même moment, Sarah Mouet dépliait son trépied sur le trottoir du boulevard de l’Est, juste devant les cloisons infranchissables de l’établissement. La chasseuse de paysage travaillait sur ce périmètre depuis huit heures du matin, positionnant son scanner 3D tous les 500 mètres. Après avoir vérifié que le support était bien stable, elle s’accroupit devant sa valise sécurisée pour en extraire le scanner 3D qu'elle fixa sur le trépied. Cette machine se présentait sous la forme d'un gros cube, aussi volumineux qu’un pavé en granit. Contrairement à un appareil photo classique, ce boîtier métallique lisse et gris ne comptait pas un objectif, mais six. Les longues fentes ouvertes des objectifs donnaient à l'engin des allures de tour de guet entourée de ses meurtrières. Sarah appuya sur le bouton de démarrage. Sur l’une des faces, l'écran d’affichage s’illumina, puis une série de notifications s’y succédèrent. Les doigts de Sarah s’activèrent pour choisir les réglages les plus pertinents et géolocaliser le point central de ce qu’elle allait scanner. Sans plus tarder, elle enclencha la numérisation et recula de cinq pas.

 Un bourdonnement électronique s’éleva, d’une fréquence si haute qu’il était difficilement audible ; en l’occurrence, il était couvert par les rires et autres hurlements des lycéennes dans leur cour. Vinrent ensuite des flashs lumineux qui arrosèrent les environs. Les platanes dont les racines crevaient la chaussée, le lichen qui pullulait sur les tuiles du pavillon au 42 bis, la jeune femme passant un coup de fil au volant de sa Mercedes grise et l’enseignant de français qui fumait en cachette dans l’abri à vélo du lycée… tout cela serait immortalisé parmi les données brutes de l’appareil de Sarah.

 Quand le travail du scanner cessa, la chasseuse de paysage se rapprocha de son matériel, mais elle s'arrêta avant de l’atteindre, figée sur place.

 Le premier coup de feu venait de retentir. Un instant, elle se demanda s’il pouvait s’agir d’un pneu crevé, d’un pétard, ou de tout autre bruit qui ne serait pas ce qu'elle croyait avoir entendu. Après tout, elle n’avait jamais entendu de coup de feu auparavant. Mais, lorsque les cris de paniques suivirent, que les détonations revinrent en nombre, elle sut que sa première impression avait été la bonne.

 Elle franchit alors les derniers mètres qui la séparaient de son appareil. Ses doigts s’activèrent de nouveau sur l’écran tactile du scanner. La chasseuse de paysage relança la machine et, au milieu du chaos, alors que les passants prenaient la fuite autour d’elle, et bien qu’elle ne puisse elle-même rien voir du carnage qui se déroulait au-delà des cloisons du bâtiment, elle fit de nouvelles numérisations des environs.

 Les coups de feu se poursuivirent longtemps, sans interruption ou presque. On entendit même la sonnerie une seconde fois, annonçant la fin de la récréation. Enfin, les grilles du lycée s’ouvrirent non loin de Sarah et les premières rescapées sortirent en courant. Des adolescentes en uniforme : longue jupe plissée et chemise blanche. Certaines criaient, certaines pleuraient. Toutes fuyaient aussi vite que le permettait leurs jambes. Sarah ne bougea pas de sa position, elle enclencha son scanner 3D, encore et encore, jusqu’à ce qu’on entende les sirènes de polices et que les premières blessées ne sortent dans la rue.

 Plus tard, lorsqu'elle sortirait du coma, les policiers lui répéteraient qu’elle avait eu du courage de rester là, que beaucoup d'autres seraient partis plus tôt. Elles les écouteraient en songeant qu’elle se jugeait moins courageuse que téméraire, que si c’était à refaire, elle ne renouvellerait pas une telle folie. Elle aurait fui plus tôt, avant de voir le sang sur les chemises blanches et sur les peaux claires, avant que le terroriste ne sorte à son tour.

 Cagoule sombre, les yeux dans les yeux. Elle venait de refermer sa valise ; il ne savait même pas ce qu’elle venait de faire. S’il fusilla Sarah, ce ne fut pas par calcul mais parce qu’elle se trouvait là, un geste gratuit, comme l’ensemble de l’acte qu’il venait de commettre.

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