Scène 6 - Francis

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Christopher s’était attendu à rencontrer un clone de Marc Zuckerberg. C’est-à-dire un type plutôt jeune, habillé d’un simple jean et d’un T-shirt premier prix de couleur grise. Mais pas du tout.

Brice Richard tenait plus de l’ancien major de HEC que du geek de la Silicone Vallée. Bien qu’il ait été tiré de son lit à deux heures du matin, il avait pris le temps d’enfiler un costume sur mesure que Christopher devinait hors de prix. Le policier utilisa ses facultés pour analyser ses traits : visage ovale, petits yeux anthracites et ensommeillés, cheveux gris, nez grec et menton carré. De larges rides barraient son front large. Il ne cherchait pas à dissimuler son hostilité à leur égard.

— Vous en avez pour longtemps ? demanda-t-il sitôt la porte ouverte.

— Ça dépend de vous, Monsieur Richard, répondit Clarice sur le même ton.

— J’ai le droit de savoir ce qui vous autorise à me réveiller en pleine nuit ?

— Secret défense.

— Vous êtes des renseignements ? demanda-t-il en fronçant des sourcils soupçonneux.

— SDAT.

— Pardon ?

— Sous-direction antiterroriste. Nous sommes de la Direction centrale de la police judiciaire. Je suis Clarice Langlais, lieutenant de police, et voici Christopher Lourme, agent spécialisé du bureau de l’identification judiciaire de Torcy. Je me fiche complètement de votre entreprise. Je ne suis pas là pour mener une enquête sur vous ou sur Google. Nous sommes là pour ça…

Elle souleva la mallette qui contenait le scanner de Sarah Mouet. En reconnaissant le matériel, Monsieur Richard ouvrit de grands yeux indignés.

— Où avez-vous eu ça ? Il n’y a que les hunters qui ont le droit de disposer de ce matériel !

— Nous devons consulter les dernières images qui ont été prises par cet engin, poursuivit Clarice en ignorant les paroles du directeur. C’est une affaire en lien avec la sécurité nationale.

— Vous avez un mandat ?

— Non. Mais j’ai le numéro du ministre de l’Intérieur…

Monsieur Richard parut douter quelques secondes, puis finalement, il s’écarta et fit signe aux deux policiers d’entrer.

— Il faut aller au premier étage. Normalement, c’est un ingénieur qui devrait traiter les données de cet appareil, mais je devrais pouvoir m’en sortir. Suivez-moi.

Ils traversèrent un hall et gagnèrent un ascenseur. Les locaux de Google France ne ressemblaient pas à des bureaux. On se serait cru dans une suite contemporaine, au sein d’un hôtel new-yorkais. Canapés design et confortables, papiers peint panoramiques et luminaires aux lignes graphiques, tout était pensé pour qu’on se sente à l’aise et pour en mettre plein la vue. Pourtant, Christopher se fit la réflexion que même les lieux les plus accueillants devenaient angoissants aux heures les plus tardives, quand tout devenait parfaitement désert et silencieux. Plusieurs fois, il se retourna en croyant voir une ombre bouger à l’angle d’un mur.

— Nous y sommes, dit Brice Richard en ouvrant une porte.

Derrière, ils découvrirent une pièce qui ressemblait un peu à une salle de danse : vaste, un plancher lustré et aucun obstacle au sol. La comparaison s’arrêtait là, car en lieu et place des barres d’exercice et du grand miroir se trouvaient des bureaux encombrés et des ordinateurs aux écrans XXL. L’absence d’ouverture vers l’extérieur privait les lieux de lumière naturelle. Christopher pensa aussitôt aux chambres noires d’antan. Après tout, eux-mêmes ne cherchaient-ils pas à faire « développer » quelque chose ?

Puis, il le vit. Au centre de la pièce, sans support ni protection, comme s’il avait été abandonné là, était posé un casque de réalité virtuelle.

— Notre prototype, annonça Brice Richard. Il n’en existe qu’une vingtaine dans le monde. Celui-ci a été surnommé Francis. Ne me demandez pas pourquoi.

Il se dirigea ensuite vers les ordinateurs, s’assit dans un grand fauteuil sur roulettes et démarra les appareils. Il y avait quatre ordinateurs fixes disposés sur deux tables, trois gigantesques haut-parleurs et, au centre, un écran plat panoramique d’un mètre de long environ. Une troisième table était encombrée de paperasse : allant de la revue « chasse et pêche » au plan technique, en passant par des dossiers reliés. Sur ces papiers, des clés USB et des disques durs externes trônaient sur des montagnes de câbles électroniques.

Quand le dernier ordinateur s’alluma, Brice Richard se retourna vers eux et leur lança un regard grave.

— Est-ce que je peux avoir la garantie que vous n’utiliserez pas votre expérience pour autre chose qu’avancer dans votre enquête ? Vous devez me comprendre… Beaucoup de personnes tueraient pour être à votre place aujourd’hui et savoir ce que nous cachons dans cette pièce…

— Je vous répète que nous n’en avons absolument rien à foutre, lui dit Clarice.

— Hum. Bien. Dans ce cas, vous voulez essayer ? demanda le directeur sur un ton grincheux. Je veux dire, ce sera peut-être plus simple pour vous de naviguer dans la maquette qui vous intéresse si vous faites d’abord le tutoriel.

— Il y a un tutoriel ! s’étonna Christopher.

— Évidemment. Nous avons une version de démonstration. Pour les investisseurs. Alors, lequel d’entre vous veut se rendre à l’intérieur du Google Earth VR ?

— L’agent Lourme, répondit aussitôt Clarice.

Christopher se tourna vers elle.

— Moi ?

— C’est toi qui vas aller dans la maquette virtuelle. Tu as des yeux plus sûrs que les miens.

Il comprit soudain la raison pour laquelle elle l’avait choisi lui et pas un autre : elle savait qu’il se souviendrait du visage du terroriste s’il le voyait.

— Tu es prêt ? demanda Clarice.

— Je suis prêt.

Christopher prit une profonde inspiration avant de s’avancer vers le centre de la pièce et vers Francis. Il resta debout devant le casque, sans oser se pencher et encore moins l’attraper.

— Allez-y, n’ayez pas peur, l’encouragea Brice Richard. Vous avez déjà joué en réalité virtuelle ?

— Oui. Une ou deux fois, à « Medal of Honor ».

— Hum. Vous voyez donc comment mettre un casque de VR. Allez-y, enfilez-le.

Christopher se baissa et attrapa le casque. Il pesait plus lourd qu’il ne l’avait imaginé. Brice Richard lui donna quelques conseils pour ajuster les sangles sur son crâne. À présent, le policier n’y voyait plus rien.

— Je vous envoie l’image. Restez calme.

Christopher se demanda pourquoi on lui donnait un tel avertissement, il n’y avait pas de raison qu’il perde son calme. Non ?

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